Perspective d’un patient : pleins feux sur un ambassadeur de la recherche – une longue lutte contre la maladie de Dupuytren

Un texte de Jonn Ord, ambassadeur de la recherche de l’IALA

La maladie de Dupuytren touche le tissu conjonctif, qui est le tissu le plus abondant dans le corps humain.

Visibilité

La maladie de Dupuytren touche habituellement le tissu conjonctif des mains, ce qui entraîne une contracture des doigts et de la paume

Le problème, c’est que la maladie de Dupuytren est plus ou moins invisible. On peut voir les conséquences invalidantes de la maladie sur les mains, bien entendu, mais puisque la maladie se développe très lentement au fil des ans et que bon nombre de personnes ne savent pas qu’elles en sont atteintes, la maladie n’est souvent diagnostiquée par un médecin qu’à un stade avancé. Ainsi, les patients signalent peu souvent la présence de symptômes, et les cas de maladie de Dupuytren sont peu documentés par les médecins de famille. Si la maladie de Dupuytren est la maladie héréditaire du tissu conjonctif la plus répandue, elle est aussi la moins connue.

Voici une vidéo en anglais de la Dupuytren Foundation qui explique la maladie.

Il n’existe actuellement aucun remède à la maladie de Dupuytren. Cela dit, les médecins de famille dirigent parfois leurs patients vers un chirurgien pour une intervention chirurgicale ouverte de la main.

Solutions de rechange

Dr Charles Eaton

J’habite en Ontario et je suis musicien; mes mains ont donc été essentielles à ma carrière pendant presque toute ma vie. J’ai décidé d’explorer des possibilités de traitement autres que la chirurgie, et j’en ai découvert aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe.

À l’étranger, le traitement le plus courant est l’aponévrotomie. Le médecin se sert d’une aiguille fine pour sectionner les fibres de collagène qui se forment dans le fascia des doigts et de la paume. Conçue en France et introduite en Amérique du Nord par le Dr Charles Eaton, cette technique est réalisée sous anesthésie locale. J’ai subi ce traitement dans un établissement spécialisé du Dr Eaton en Floride. Comme résultat, mon doigt a été libéré et s’est miraculeusement redressé aussitôt l’intervention terminée!

Mon doigt avant l’intervention
Mon doigt tout de suite après l’intervention

Les patients atteints de la maladie de Dupuytren connaissent souvent une rechute. Dans le cadre de mes recherches, j’ai découvert que la radiothérapie est le seul traitement qui peut enrayer la maladie à ses premiers stades. On m’a assuré que le traitement s’offrait seulement en Europe ou au Royaume-Uni, et certainement pas au Canada. J’ai donc fait mes valises pour m’envoler vers l’Allemagne, pays ayant le plus d’expérience en la matière et où le traitement est courant et relativement peu coûteux.

Sur cette photo, prise près de Francfort, le Dr Herkströter montre l’une des protections de métal servant à définir la zone ciblée par la radiothérapie. Lui-même atteint de la maladie, il a rassemblé au fil des ans une grande quantité de données au sujet de ce traitement ainsi que de récits de personnes de divers pays qui en ont profité.

Dr Herkströter
Ici, on voit la main placée pour le traitement

Le traitement est subi quotidiennement pendant cinq jours, puis il est répété environ six semaines plus tard. Une séance ne dure en fait que 19 secondes.

À mon retour au pays, j’ai appris, plus ou moins par hasard, que la radiothérapie EST bel et bien offerte au Canada. Cette découverte étonnante m’a réjoui, mais lors de mon « entrevue » tant attendue avec les médecins de l’unité en question au Centre de cancérologie de l’Hôpital Princess Margaret, j’ai constaté que l’unité ne traitait qu’environ deux patients par année. Qui plus est, le traitement n’était pas donné de façon proactive; il s’agissait d’un dernier recours. Les médecins ont admis que leur service était presque complètement inconnu, même aux spécialistes du domaine. Au moment de l’entrevue (en 2013), les médecins ne connaissaient aucun autre établissement au Canada qui utilisait la radiothérapie pour traiter la maladie de Dupuytren.

Or, il s’avère qu’une dizaine d’établissements au Canada ont l’équipement et la capacité nécessaires au traitement de la maladie de Dupuytren par radiothérapie. Le hic, c’est que leurs équipes ne savent pas qu’ils peuvent le faire et n’ont pas de protocoles en place pour appliquer le traitement. Nous disposons là un réseau qu’il suffirait de rendre opérationnel.

Le taux de prévalence de la maladie de Dupuytren au Canada est inconnu, puisqu’aucun sondage d’importance n’a été réalisé à cet égard. Aux États-Unis, on estime que la maladie touche jusqu’à 25 % des hommes de plus de 70 ans. Par ailleurs, les femmes ont tendance à présenter des symptômes à un âge plus avancé que les hommes, mais autant de femmes que d’hommes sont atteintes de la maladie plus tard dans la vie.

Tout signe de la maladie de Dupuytren : % de la population américaine par rapport à l’âge et au sexe

Graphique publié avec l’autorisation du Dr Charles Eaton

Description détaillée

Couverture médicale

J’ai été confronté à un autre problème à mon retour d’Allemagne : l’Assurance-santé de l’Ontario a refusé de rembourser mon traitement par radiothérapie, car il n’est supposément pas offert en Ontario ni prescrit par un spécialiste canadien, en plus d’être considéré comme expérimental. Muni d’une lettre d’appui d’un spécialiste canadien et sachant que la radiothérapie est en fait un service couvert et non expérimental offert dans la province pour traiter la maladie de Dupuytren, j’ai interjeté appel auprès de la Commission d’appel et de révision des services de santé.

J’ai laissé entendre que mon incapacité à trouver ce service dans la province s’explique par le fait que l’Assurance-santé de l’Ontario n’a pas vraiment fait en sorte que le service soit connu et accessible, et ce, même auprès des spécialistes du domaine, comme l’exige le gouvernement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

L’Assurance-santé de l’Ontario a reconnu que la radiothérapie est un service couvert. Cependant, le médecin représentant le régime à l’audience a plaidé qu’il n’incombait pas à l’Assurance-santé de l’Ontario de veiller au respect de l’obligation du gouvernement fédéral de faire en sorte que les services couverts soient connus et accessibles. Au bout du compte, la Commission m’a donné raison et a déclaré que la radiothérapie EST en effet un service couvert et « facilement accessible ». Bien que le traitement ne soit pas encore « facilement accessible » en pratique, cette décision a marqué, selon moi, une avancée majeure pour les personnes atteintes de la maladie de Dupuytren au Canada.

Recherche

Malgré l’absence générale de la maladie de Dupuytren dans les priorités en matière de soins de santé au Canada, d’excellents chercheurs se penchent actuellement sur différents aspects de la maladie. Au Canada, le Dr David O’Gorman, de l’Institut de recherche en santé Lawson, s’intéresse à l’immunologie associée à la maladie. Le Dr Boris Hinz, de l’Université de Toronto, axe pour sa part sa recherche sur les éléments fondamentaux de la contraction cellulaire dans le tissu conjonctif. D’autres chercheurs tentent de trouver un biomarqueur permettant de cerner la maladie et d’évaluer les traitements.

Aux États-Unis, le Dr Charles Eaton (mon premier chirurgien) a mis sur pied le Dupuytren Foundation and Research Group, dont l’objectif principal est de trouver un remède à la maladie de Dupuytren. Il fait remarquer que de nombreux facteurs entrent en jeu dans la biologie de la maladie : la génétique, l’immunité, l’âge, la réparation des tissus, l’inflammation et la mécanobiologie. Nombreux sont ceux qui considèrent la maladie de Dupuytren comme une maladie inflammatoire. Or, selon le Dr Eaton, elle serait plutôt une « maladie phare de la biologie des systèmes ». En effet, la découverte d’une façon de composer avec cette maladie permettra de faire progresser les recherches sur d’autres maladies complexes et multisystémiques. Par ailleurs, des dizaines d’articles sont publiés chaque mois au sujet de la maladie de Dupuytren et des maladies connexes.

Perspectives d’avenir

Le Canada est bien outillé, mais, ironie du sort, plutôt mal préparé à faire face à la maladie de Dupuytren au cours des années à venir. La maladie se cache au sein des familles et passe inaperçue aux yeux des amis. Elle est peu connue du public, peu documentée par les médecins et peu étudiée par les professionnels. Il est temps que la situation change. Étant donné que les baby-boomers sont de plus en plus nombreux à en être atteints, la maladie prend de l’importance dans le milieu médical. Cela dit, si un plus grand nombre de chirurgiens de la main traitent des cas de maladie de Dupuytren, ils sont surchargés et les temps d’attente ne cessent d’augmenter. D’ailleurs, l’unité sur le sarcome du Centre de cancérologie de l’Hôpital Princess Margaret a dû réorganiser son travail pour recevoir davantage de patients atteints de la maladie de Dupuytren pour un traitement par radiothérapie.

Comme le Canada ne fait que commencer à mobiliser ses nombreuses ressources pour lutter contre cette maladie, la défense des intérêts, la recherche et le financement seront essentiels pour permettre au pays de se démarquer dans le milieu… et pour définir ce milieu au pays.

Voici certaines mesures à prendre, selon moi :

  1. Financer des études de prévalence pour caractériser l’incidence de la maladie de Dupuytren au Canada. Ces études épidémiologiques doivent permettre d’évaluer la gravité de la maladie selon la province et le lieu de résidence (milieu urbain ou rural). Plus encore, des données précises sur le fardeau financier de la prise en charge actuelle de la maladie de Dupuytren sur le système de soins de santé et la productivité de la main-d’œuvre permettront d’orienter la réforme des politiques en matière de soins de santé.
  2. Étudier et documenter toutes les procédures existantes pour en apprendre davantage sur les variations de la maladie et les réponses à différents traitements.
  3. Établir des partenariats et collaborer avec des organisations avant-gardistes comme le Dupuytren Research Group aux États-Unis pour trouver des biomarqueurs et mettre en place des protocoles de traitement fondés sur des données probantes en Amérique du Nord.
  4. Impulser les réseaux de cliniques de radiothérapie au Canada qui pourraient traiter la maladie de Dupuytren à ses premiers stades et ainsi avoir de fortes chances de stopper ou de retarder la progression de la maladie. En plus de sauver des mains (et des pieds), la procédure est rapide, rentable et peu coûteuse.
  5. Mettre à profit les compétences et les ressources au pays, par exemple en mettant l’accent sur la formation de chirurgien en aponévrotomie, qui est probablement le traitement minimalement effractif le plus courant en Europe pour la contracture de Dupuytren.
  6. Mieux faire connaître la maladie au grand public, aux médecins et aux groupes de recherche et de financement au Canada.

Ensemble, nous pouvons mieux faire connaître la maladie de Dupuytren.

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