Question de méthodes : Méthodes basées sur les arts pour mettre en lumière le genre dans la recherche communautaire
Numéro 5 – Mai 2022

Carmen Logie,
Ph. D.

Carmen Logie, Ph. D., est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité en matière de santé et la justice sociale dans le monde auprès des populations marginalisées et professeure agréée à la Faculté de travail social Factor-Inwentash de l’Université de Toronto. Ses travaux portent sur les interventions ciblant la stigmatisation intersectionnelle et d’autres facteurs socioécologiques liés à la prévention et au traitement du VIH et d’autres infections transmissibles sexuellement. Elle anime aussi le balado Everybody Hates Me: Let’s Talk About Stigma (en anglais seulement) [Tout le monde me déteste : parlons de stigmatisation] où elle s’entretient avec des spécialistes de la stigmatisation de partout dans le monde. Dans ce numéro, nous avons parlé avec Carmen Logie des méthodes basées sur les arts et de leur potentiel pour étudier les questions de genre dans la recherche communautaire dans le domaine de la santé.

Que veut-on dire par méthodes basées sur les arts ?

Les méthodes basées sur les arts font appel à la créativité pour lever le voile sur les expériences vécues. L’art peut être l’objet de la recherche, comme dans le cas des photo-interviews, où des photos sont montrées aux personnes participant à l’étude et ces dernières réfléchissent alors à ce que l’art présenté signifie pour elles. L’art peut aussi faire partie du processus de recherche. Par exemple, dans le cadre d’une recherche utilisant la méthode Photovoix, les participants et les participantes prennent des photos liées au sujet de recherche pour montrer ce qui est important à leurs yeux. Les approches basées sur les arts peuvent servir d’intervention et être intégrées aux formations.

Certaines méthodes basées sur les arts existent depuis longtemps, mais n’ont pas forcément été intégrées à la recherche en santé. Prenons l’exemple des œuvres graphiques sur le thème de la médecine. Cette utilisation de la bande dessinée dans la formation médicale et dans les soins aux patients et aux patientes existe depuis des dizaines d’années, mais seulement quelques études se sont penchées sur leur utilisation dans les interventions en santé. C’est ainsi que les méthodes plus anciennes peuvent être à la fois intégrées et revitalisées. Les nouvelles approches basées sur les arts sont d’ailleurs susceptibles d’interpeller plus fortement les personnes plus jeunes.

Cela dit, avec les technologies émergentes, il faut tenir compte de l’accessibilité. Par exemple, pour le Photovoix, ce n’est pas tout le monde qui a un téléphone intelligent ou qui est en mesure d’aller faire imprimer des photos. Dans un tel cas, les appareils de style Polaroid peuvent être une bonne solution.

Étude de cas : Des perspectives différentes selon le genre dévoilées par Photovoix

Des jeunes déplacés de force en Haïti ont produit des données grâce au processus Photovoix et, par le fait même, cerné des obstacles à l’engagement dans la prévention du VIH. Leurs photographies dressaient un portrait des normes de genre et des dynamiques de pouvoir qui influent sur la santé sexuelle. Par exemple, certains adolescents et jeunes hommes ont pris des photos d’eux-mêmes en train de travailler, illustrant leurs inquiétudes concernant le chômage et l’instabilité politique qui nuisent à leur capacité de répondre aux besoins de leur famille et des femmes dans leur vie. Quant aux adolescentes et aux jeunes femmes, plusieurs ont pris en photo les tentes du campement des personnes déplacées à l’intérieur du pays, symbole de manque de sécurité et de violences sexuellesNote en bas de page 1.

Pourquoi devrait-on utiliser des méthodes basées sur les arts dans la recherche en santé ?

  • Lorsqu’elles peuvent s’exprimer librement et laisser libre cours à leur créativité, les personnes participant aux études peuvent répondre à des questions que les scientifiques n’auraient même pas pensé à poser. Grâce à ces méthodes, les participants et les participantes racontent leur propre histoire et expériences intersectionnelles et en contrôlent l’interprétationNote en bas de page 2.
  • Ces méthodes sont amusantes et intéressantes, et constituent un outil puissant pour parler de sujets difficiles. Au lieu de s’asseoir face au chercheur ou à la chercheuse et de répondre à des questions concernant leurs émotions, leurs pratiques de santé et leurs expériences douloureuses, les personnes ont l’occasion de faire une introspection, puis d’exprimer leurs sentiments de manière créative.
  • Les méthodes basées sur les arts ont le pouvoir de nous toucher, d’éveiller nos émotions et de susciter notre empathie, ce qui peut provoquer un changement social alimenté par un sentiment d’humanité commune entre les personnes participant à la recherche et le public, les responsables des politiques et les prestataires de soins de santé.
  • L’art peut avoir une longue durée de vie. Lorsqu’il naît d’un processus de recherche, il peut servir de produit de mobilisation des connaissances longtemps après la fin de l’étude.

Quelles sont les étapes à suivre pour utiliser des méthodes basées sur l’art dans un projet de recherche ?

  1. Parlez aux communautés avec lesquelles vous travaillez pour découvrir quelles méthodes les intéressent — peut-être qu’elles les utilisent déjà.
  2. Informez-vous sur l’histoire de la méthode. A-t-elle déjà provoqué un changement social ?
  3. Retournez voir la communauté avec vos acquis, échangez vos idées et mettez en place un processus itératif et flexible pour concevoir l’étude. Répétez ces trois étapes aussi souvent que nécessaire.

Étude de cas : Le théâtre-Forum, ou la prise en main de son destin

Le théâtre-Forum, ou théâtre participatif, est né du théâtre de l’opprimé, un style créé au Brésil par Augusto Boal dans les années 1970Note en bas de page 3Note en bas de page 4. Ce dernier se servait du théâtre pour provoquer des changements sociaux en faisant des spectateurs des « spect-acteurs » qui pouvaient décider du dénouement de la pièce et des solutions. Le théâtre a aussi été utilisé au début des années 1980 pour sensibiliser les gens à la question du SIDA et lutter contre la stigmatisation croisée liée aux personnes LGBTQIA/2S et au VIHNote en bas de page 5. Cette méthode est toujours aussi pertinente dans le monde de la recherche en santé. Par exemple, en Eswatini et au Lesotho, le théâtre participatif a permis d’atténuer la stigmatisation des personnes LGBTQ par les membres de la communauté et les intervenants et intervenantes du système de santé, et de renforcer la solidarité entre les personnes s’identifiant à la diversité sexuelle et de genreNote en bas de page 6.

  • Description détaillée

    Illustration de bande dessinée représentant l'anatomie d'un cœur humain, avec plusieurs types d'émotions répertoriées sur et autour du cœur (en anglais seulement). Sur le cœur, on peut lire les mots amour, joie, confiance, fierté, espoir, la passion. Autour du cœur, sont inscrits les mots peur, désespoir, colère, haine, insécurité, honte, ignorance, perte et tristesse.

Étude de cas : La cartographie corporelle et le corps des femmes trans

La cartographie corporelle est un outil d’introspection, de thérapie et de recherche. Il s’agit de créer une représentation artistique de son corps avec le dessin, la peinture ou une autre technique basée sur les artsNote en bas de page 7.

Dans l’étude TRANScending Love, la cartographie corporelle a été proposée comme intervention artistique dans la lutte contre la stigmatisation auprès des femmes trans de couleur. Toutefois, les participantes à la consultation ont fait savoir que cette approche risquait de susciter des émotions assez pénibles en raison de l’attention portée à leur corps. C’est ainsi que trois nouvelles activités ont été conçues en collaboration avec les leaders de la communauté : 1) avec la cartographie du cœur, les participantes étaient invitées à décrire et à illustrer leurs émotions et stratégies d’adaptation sur des dessins anatomiques de cœur; 2) avec le miroir à main et les marqueurs de verre, elles étaient invitées à penser à leurs forces, puis à s’écrire à elles-mêmes un message d’amour; 3) avec les cartes d’affirmation vierges, elles étaient invitées à écrire des messages de soutien pour d’autres femmes transNote en bas de page 8Note en bas de page 9.

Quelles que soient les méthodes retenues, quels conseils donneriez-vous ?

  • Quelles que soient les méthodes retenues, quels conseils donneriez-vous ?
    Remettez en question la croyance que certaines communautés sont « difficiles d’accès ».Cette étiquette est souvent apposée aux communautés, mais pas aux chercheurs et aux chercheuses. Essayez de voir les choses d’un nouvel angle en vous demandant si vous, dans votre rôle de scientifique, êtes parfois difficile d’accès. Que pourriez-vous faire pour tisser des liens et concevoir une étude qui serait stimulante et amusante, et qui mettrait les personnes qui participent à l’aise ? Pour en savoir plus, consultez le livre Working with Excluded Populations in HIV: Hard to Reach or Out of Sight? (en anglais seulement)Note en bas de page 10 [Travailler avec les populations exclues dans la recherche sur le VIH : difficiles d’accès ou ignorées ?] de Carmen Logie.
  • Pensez à ce que vous demandez aux participants et aux participantes et mettez-vous à leur place. Faites vous-même les activités et les interventions avant de demander aux personnes qui vont participer de les faire. Vous aurez une meilleure idée du niveau de vulnérabilité nécessaire et de l’intérêt que ces personnes auront pour vos activités.

Étude de cas : La bande dessinée participative au service des interventions transformatrices en matière de genre

La bande dessinée participative est une méthode peu coûteuse et adaptée aux jeunes. C’est aussi une solution flexible qui permet de renforcer la promotion et la culture de la santé. Les bandes dessinées qui tiennent compte du point de vue des survivants et des survivantes ont servi à améliorer la prévention des violences sexuelles et fondées sur le genre ainsi que les soins offerts aux jeunes réfugiés victimes de violence en Ouganda. Les bandes dessinées étaient inspirées du vécu des jeunes réfugiés, des aînés et des prestataires de soins de santé. On avait remis aux personnes participant à l’activité des images avec des bulles vides. Elles devaient réfléchir à leurs expériences et aux solutions qu’elles ont trouvées, puis remplir les bulles.

Par exemple, une des activités visait à défier les normes de genre néfastes. Les personnes participant à l’étude étaient invitées à se pencher sur les façons dont les hommes pourraient participer activement aux initiatives de lutte contre la violence et remettre en question les normes de genre inéquitables liées aux attentes de mariage forcé ou précoce, de même que les croyances genrées et stigmatisantes au sujet des personnes ayant survécu à des violences sexuelles. Cette méthode de bande dessinée s’est avérée motivante chez les jeunes, et certains ont même demandé à recevoir des exemplaires supplémentaires de la bande dessinée pour leurs amisNote en bas de page 11.

  • Description détaillée Illustration de bande dessinée représentant deux personnes qui se prennent dans les bras. La personne de gauche exprime ses sentiments et l'autre personne lui apporte son soutien. Le texte de gauche se lit comme suit : « Dans notre communauté, il est difficile pour les garçons de s’exprimer. Tu a fait preuve de force et de courage ». Le texte de droite est le suivant : « Sache que tu pourras toujours compter sur moi ».

Les opinions exprimées dans ce document sont celles de Carmen Logie et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut de la santé des femmes et des hommes des IRSC ou du gouvernement du Canada.

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