Question de méthodes : Qu’est-ce que la bispiritualité et qui est bispirituel(le) dans le domaine de la recherche en santé ?
Numéro 2 - Octobre 2020

Harlan Pruden (nēhiyo / Première Nation crie) est un éducateur dans le cadre du programme Chee Mamuk du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique. Travis Salway est professeur adjoint des sciences de la santé à l’Université Simon Fraser. Ils travaillent tous les deux au Two-Spirit Dry Lab, premier groupe / laboratoire de recherche d’Amérique du Nord qui se concentre exclusivement sur les personnes, les communautés ou les expériences bispirituelles. Ils sont également les chercheurs principaux d’un projet qui est financé par l’entremise de l’initiative sur le genre et le mieux-être autochtone des IRSC et qui s’intitule « Wellness in Two-Spirit Communities across Turtle Island: A Two-Eyed seeing approach to a gender-inclusive community-based 2S research network ».

Qu’est-ce que la bispiritualité ?

Harlan Pruden (nēhiyo / Première Nation crie) et Travis Salway

Le terme « Two-Spirit » (bispirituel) a été créé par des personnes de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre, queer ou non-hétérosexuelle (LGBTQ+) autochtone lors de la troisième conférence intertribale annuelle des gais et lesbiennes des Premières Nations des États-Unis et du Canada, qui s’est tenue à Winnipeg en 1990Note en bas de page 1. La bispiritualité est une stratégie ou un outil d’organisation communautaire et une façon de se décrire. Il s’agit d’un moyen d’organiser les Autochtones de l’île de la Tortue qui incarnent une diversité de sexualités, d’identités et d’expressions de genre, et de rôles relatifs au genreNote en bas de page 2. Ce terme vise à aider les Autochtones à établir des liens avec des expressions et des rôles qui sont propres à leur nation relativement au genre et à la diversité sexuelle. Les Autochtones peuvent ainsi renouer avec leurs langues, leurs coutumes et leurs cultures traditionnelles dans un contexte précolonial.

La bispiritualité est-elle une orientation sexuelle ?

Cela dépend de la personne et du contexte. Une personne autochtone peut revendiquer et utiliser le mot « bispirituel » pour s’identifier comme étant une personne LGBTQ+ autochtone dans un contexte occidental. Cependant, ce terme peut aussi être perçu comme l’expression d’une orientation sexuelle et, en tant que tel, être ou non synonyme de personne LGBTQ+ autochtone. De cette façon, « bispirituel » remet en question les notions binaires occidentales d’orientation sexuelle.

La bispiritualité est-elle donc un genre ?

Ici aussi, cela dépend de la personne et du contexte. Une personne autochtone peut revendiquer et utiliser le mot « bispirituel » afin de rejeter ou de remettre en question les notions binaires de genre (homme / femme) des sociétés occidentales. Elle peut l’employer ainsi pour « se situer » et non pour s’identifier, car il est possible qu’un terme non occidental et propre à sa nation corresponde à son identité. Historiquement, de nombreux peuples des Premières Nations avaient plus de deux genres. Actuellement, environ 130 termes dans de nombreuses langues des Premières Nations désignent ces autres genres et en rendent compteNote en bas de page 2.

Contexte : L’appellation « île de la Tortue » tire son origine de certains récits de la création des Premiers Peuples, y compris les Anishinaabes et les Lenapes. Elle sert à désigner le territoire qui en est venu à être baptisé AmériquesNote en bas de page 2. On l’emploie pour désigner cette étendue de terre sans affirmer ou reconnaître les

Sexe Genre Orientation sexuelle Bispiritualité
De quoi s’agit-il ? Attributs biologiques, y compris les caractéristiques physiques, les chromosomes, l’expression génique, les hormones et l’anatomie Ensemble de rôles, de comportements, d’activités ou d’attributs socialement construits qu’une société donnée considère comme appropriés pour les personnes d’un sexe en particulier Description de l’attirance émotive, romantique ou sexuelle Outil d’organisation communautaire pour les Autochtones de l’île de la Tortue qui incarnent une diversité de sexualités, d’identités et d’expressions de genre et de rôles relatifs au genre
À qui ce terme s’applique-t-il ? À toutes les personnes et à tous les animaux Aux non-Autochtones ainsi qu’aux Autochtones du monde occidental Aux Autochtones de l’île de la Tortue qui présentent une diversité en matière de sexualité et de genre
Exemples en termes occidentaux Pour les humains : homme, femme, personne intersexuée
Pour les animaux : mâle, femelle, intersexué, hermaphrodite
Homme, femme, fille, garçon, personne de diverses identités de genre, personne non binaire, transgenre, queer Personne hétérosexuelle, gaie, lesbienne, queer, bisexuelle, pansexuelle, asexuelle Le terme « Bispirituel » remet en question les termes occidentaux qui désignent le genre et l’orientation sexuelle. Les Autochtones peuvent ainsi renouer avec leurs langues, leurs coutumes et leurs cultures traditionnelles dans un contexte précolonial

Peut-on englober les communautés bispirituelles dans les populations LGBTQ+ ?

La pratique d’ajouter « 2S » (pour « bispirituel ») à la fin de l’acronyme LGBTQ+ est problématique, parce qu’elle assimile la bispiritualité aux identités occidentales. En outre, si l’on ne consent pas d’efforts substantiels pour faire participer des personnes bispirituelles à une étude, on pourrait supposer à tort qu’il est possible d’extrapoler à ces personnes les conclusions dégagées. Autrement, on peut employer l’acronyme LGBTQ/2S pour indiquer que la bispiritualité est différente des autres identités LGBTQ+.

Que peuvent faire les chercheurs pour recruter des personnes bispirituelles en vue de leur participation à des projets de recherche en santé, et ce, d’une manière éthique et respectueuse ?

  1. Faites preuve d’inclusion d’une manière significative. Les équipes de recherche devraient attribuer des rôles décisionnels à des personnes bispirituelles. Ne vous fiez pas à une seule personne pour décrire les expériences de tous les Autochtones. Écoutez attentivement les personnes bispirituelles et intégrez leurs opinions dans l’étude.
  2. Parmi les options proposées dans les sondages, mettez des termes autochtones à côté des notions occidentales afin que les personnes bispirituelles et autochtones puissent se reconnaître dans le questionnaire. Par exemple, les termes autochtones « aîné » et « gardien du savoir » pourraient être ajoutés à côté de termes occidentaux comme « psychologue » ou « travailleur social ».
  3. Mettez en pratique le chapitre 9 de l’Énoncé de politique des trois conseils (EPTC 2, 2018), intitulé « La recherche impliquant les Premières Nations, les Inuits ou les Métis du CanadaNote en bas de page 3» et obtenez l’accréditation PCAP® (propriété, contrôle, accès et possession)Note en bas de page 4
  4. Assurez-vous que le recrutement soit effectué par des Autochtones d’une communauté donnée en présentant une demande à celle-ci.
  5. Comprenez les nuances et les protocoles culturels. Par exemple, il est important de savoir quand il est approprié de s’adresser aux personnes individuellement. Cela ne sera possible que lorsque des Autochtones faciliteront et aideront le processus. 

Comment les chercheurs en santé peuvent-ils recueillir des données sur les personnes bispirituelles au moyen des questions de sondage ?

La bispiritualité étant un concept autochtone, elle ne devrait être offerte comme option qu’aux participants autochtones. Voilà pourquoi on devrait inclure une option « bispirituel » dans la question sur la race, l’ethnicité ou les groupes de population et non dans celles sur le genre ou l’orientation sexuelle. Ainsi, les participants autochtones peuvent répondre aux questions sur le genre et l’orientation sexuelle en fonction de leur vécu dans le monde occidental ou non autochtone, tout en honorant leurs origines autochtones ou l’emploi du terme « bispirituel ». Les chercheurs peuvent également ajouter une option « Je préfère me décrire moi-même » aux questions sur le genre ou l’orientation sexuelle afin que les participants autochtones aient le choix d’écrire « bispirituel » s’ils le veulent.

L’exemple qui suit est une question de sondage sur la race qui inclut une option « bispirituel ». Les catégories sont adaptées de celles établies par l’Institut canadien d’information sur la santéNote en bas de page 5. Il est également important de préciser pourquoi les informations sont collectées et comment elles seront utilisées.

Laquelle des options suivantes vous décrit le mieux ?
Veuillez choisir toutes les réponses qui s’appliquent.

  • Noir(e)
  • Est-asiatique / Asiatique du Sud-Est
  • Autochtone :
    • __Premières Nations
    • __Métis
    • __ Inuit
    • __ Je préfère me décrire moi-même (veuillez préciser)
    • __Je préfère ne pas répondre
      • Êtes-vous bispirituel(le)? __Oui __Non
  • Latino
  • Moyen-oriental(e)
  • Sud-asiatique
  • Blanc(he)
  • Autre catégorie (veuillez préciser)
  • Je préfère ne pas répondre

Conclusion

Lorsque les données sur la bispiritualité sont recueillies d’une manière culturellement sécurisante et positive, les chercheurs en santé ont l’occasion de favoriser une science rigoureuse qui tient compte du sexe biologique et de tous les genres. Les recherches réalisées ainsi sont susceptibles d’élargir notre compréhension de la santé dans un contexte de diversité qui tient compte de l’influence de déterminants comme l’ethnicité, le statut socioéconomique, les incapacités, l’orientation sexuelle, le statut migratoire, l’âge et la géographie sur des aspects associés au sexe et au genre. En mettant ces considérations en évidence, elles peuvent aider à formuler des projets de recherche, des politiques et des programmes en matière de santé qui sont en lien avec la diversité de la population canadienne.

Les opinions exprimées dans ce document sont celles d‘Harlan Pruden et Travis Salway et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Institut de la santé des femmes et des hommes des IRSC ou du gouvernement du Canada.

À lire aussi

WALTER, M. et C. ANDERSON. Indigenous Statistics: A Quantitative Research Methodology, Routledge, 2013.

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