Les aliments prêts-à-servir, les changements de mode de vie et le réchauffement climatique représentent une menace pour la santé nutritionnelle des habitants du Nord

La question

Avec les taux de diabète qui montent en flèche et les augmentations marquées des maladies cardiovasculaires, l'état nutritionnel dans le Nord du Canada est une question d'importance critique. Les IRSC ont réuni un groupe de quatre experts, formé de leaders des Premières Nations et de chercheurs respectés dans le domaine de la nutrition, pour discuter de cette importante question d'actualité. Un résumé révisé de leurs échanges suit.

Les experts

Dene Elder Francois Paulette

L'aîné déné François Paulette
L'aîné Paulette est un représentant des aînés de la Première nation de Smith's Landing. En 1971, il est devenu le plus jeune chef de la Fraternité des Indiens des Territoires du Nord Ouest, et il a été chef de sa propre communauté et vice chef de la Nation dénée. Il vit au bord de la rivière des Esclaves, près de la frontière entre l'Alberta et les Territoires du Nord Ouest.

Chief Bill Erasmus

Le chef Bill Erasmus
Le chef Erasmus est le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations des Territoires du Nord Ouest. Il est de la Nation dénée et fait partie du comité exécutif de l'Assemblée des Premières Nations depuis plus de 20 ans.

Harriet Kuhnlein

La Dre Harriet Kuhnlein
Harriet Kuhnlein est professeure émérite à l'Université McGill, à Montréal, et directrice fondatrice du Centre d'étude sur la nutrition et l'environnement des peuples autochtones. Sa recherche est centrée sur les ressources alimentaires traditionnelles et la santé des peuples autochtones. Elle est l'auteure de plusieurs livres sur les sources d'aliments traditionnels des populations autochtones.

Dr. Eric Dewailly

Le Dr Eric Dewailly
Le Dr Dewailly est professeur de médecine sociale et préventive à l'Université Laval, à Québec, et directeur de l'Unité de recherche en santé publique au Centre médical de l'Université Laval.

IRSC : Les aliments du pays, ou aliments traditionnels, comme les baies, la viande fraîche, le gibier et le poisson frais, sont nutritifs et bons pour la santé. L'obtention de ces aliments favorise une vie active, une bonne santé et un lien direct avec la terre ou la source de nourriture. Toutefois, de nombreuses études font état d'une diminution de la consommation d'aliments traditionnels chez les habitants du Nord et les populations autochtones. Quels sont les facteurs qui rendent difficiles la chasse, la pêche, la cueillette et la récolte en 2009 compte tenu de l'évolution des modes de vie et des habitudes alimentaires?

Aîné Paulette : Je vis à la campagne, pas en ville. Je vis au bord d'une magnifique rivière et je mange surtout du bison, de l'orignal et du caribou. Je suis chasseur. C'est dans ma culture.

IRSC : Ces habiletés sont-elles transmises à la génération suivante?

Aîné Paulette : Dans ma famille, elles le sont beaucoup. La plupart de mes fils et de mes neveux chassent le bison et l'orignal. Cet hiver, ils sont allés au caribou. Nous essayons de nous exercer et de développer les aptitudes qu'exige ce mode de vie. Il y a beaucoup d'oiseaux : faisans, canards, oies. Et du poisson aussi… La seule chose, c'est que la rivière est polluée par les sables bitumineux. Et il y a les pluies acides. Le changement climatique modifie tout l'habitat des mammifères, etc. On ne sait donc pas ce qui va arriver d'une année à l'autre.

IRSC : Chef Erasmus, que pensez vous du fait que l'on s'éloigne du régime traditionnel composé d'aliments du pays et que les habiletés traditionnelles que demandent la chasse et la cueillette se perdent?

Chef Erasmus : Je pense que nombre de nos gens mangent encore nos aliments. Si vous leur demandez quelle nourriture ils préfèrent, ils vous répondront généralement que ce sont nos aliments. Par contre, il est évident depuis quelques années que la nourriture occidentale gagne de plus en plus de terrain. C'est un phénomène mondial, pour une foule de raisons. Un des problèmes que nous avons, c'est que nous avons travaillé fort au Canada avec le gouvernement canadien pour faire reconnaître que nos aliments sont nutritifs. Avoir accès à ces aliments est une autre histoire. Le Canada a inclus nos aliments dans le Guide alimentaire canadien il y a plus d'un an maintenant. Mais si on n'a pas accès à ces aliments, c'est impossible de les incorporer à son régime. François Paulette, par exemple, parle de nos aliments qui sont contaminés. Par exemple, si nos communautés locales ne participent pas de près au développement, si elles ne sont pas directement et entièrement engagées, alors un développement particulier peut avoir lieu sur notre territoire et nous empêcher de rejoindre le caribou. Si on laisse mettre en exploitation une mine là où le caribou migre normalement, on risque de changer ses habitudes et les gens n'auront pas leur nourriture. Il y a donc un certain nombre de facteurs en jeu.

IRSC : Dre Kuhnlein, vous avez fait des études sur les modes de vie dans le Nord. Qu'avez vous observé?

Dre Kuhnlein : Lorsqu'on procède à des évaluations systématiques de ce que mangent les gens, on constate un déclin des aliments traditionnels. Les facteurs qui prédisposent aux maladies chroniques qui ont rapport à des changements dans l'alimentation sont aussi en hausse. Par exemple, le surpoids et l'obésité sont de plus en plus répandus, comme le cancer et le diabète. Il y en a toujours plus. Et ce n'est pas seulement au Canada; c'est partout dans le monde – on le voit un peu partout. C'est toujours lié à l'évolution des modes de vie. Les gens doivent donc toujours se demander quels sont les risques de perdre les habitudes alimentaires et les modes de vie culturels. Quels sont les risques pour leur santé, et que faudrait il faire pour essayer de retrouver certaines des habitudes saines dans la vie des gens?

« Les aliments emballés sont pleins de gras trans, etc. Je peux voir la question sous deux angles surtout. Premièrement, comment encourager le plus possible, en termes d'accessibilité et de formation et de volonté des jeunes, la consommation d'aliments locaux. Deuxièmement, comment restreindre ou interdire les aliments importés ou en améliorer la qualité. » Le Dr Eric Dewailly

IRSC : Dr Dewailly, qu'en pensez vous?

Dr Dewailly : C'est difficile de généraliser une expérience auprès d'un groupe à tous les groupes autochtones. Chaque histoire est différente, mais il existe sûrement certains traits communs non seulement entre les petits groupes au Canada, mais partout dans le monde. Ce qui n'est pas encore clair pour moi, c'est le changement. Est-ce un changement générationnel ou un changement qui est fonction de l'âge? Autrement dit, nombreux sont ceux qui croient qu'une fois mariés et avec une famille, les jeunes gens reviendront aux aliments traditionnels. Par contre, certains d'entre eux ne le feront pas. Autrement dit, si on regarde seulement les adolescents, peut être a t on une fausse image, parce que le problème est plus l'âge que la génération. Donc, on ne sait pas encore. Mais de toute façon, c'est sûr qu'il y a un déclin. J'ai travaillé pendant nombre d'années dans le Pacifique Sud, et c'est la même chose. Les gens mangent moins de poisson. La modernisation signifie la disponibilité d'aliments faciles à utiliser, c'est à dire qui ne sont pas longs à cuire, etc. Donc, il y a quelque chose de vraiment mondial. Et comme dit Harriet, les conséquences sont nombreuses parce que les aliments importés disponibles ne sont pas souvent de bonne qualité. Les aliments emballés sont pleins de gras trans, etc. Je peux voir la question sous deux angles surtout. Premièrement, comment encourager le plus possible, en termes d'accessibilité et de formation et de volonté des jeunes, la consommation d'aliments locaux. Deuxièmement, comment restreindre ou interdire les aliments importés ou en améliorer la qualité. Les deux angles sont importants.

IRSC : Aîné Paulette, vous chassez beaucoup et mangez les aliments disponibles sur place. Allez vous à Fort Smith pour acheter dans les magasins? La nourriture du Sud ou occidentale joue t elle un rôle important dans votre vie?

« Beaucoup d'enfants indiens ne mangent pas d'aliments sauvages. C'est le résultat de la colonisation. Ils pensent que les aliments sauvages sont inférieurs à la nourriture des Blancs. » L'ainé François Paulette

Aîné Paulette : Je recherche un équilibre. Chaque semaine, je mélange un grand plat de salade de fruits pour ma famille, pour qu'elle en ait au petit déjeuner. Je pense que la plupart du temps, la façon de faire et les habitudes des Autochtones en matière d'alimentation viennent de la maison. Vous apprenez ça à vos enfants. Vous ne faites pas vos difficiles. Vous ne demandez pas ce que vous mangez. J'étais dans un magasin il y a quelques jours et j'ai demandé à la caissière si elle mangeait des aliments sauvages. « Non, je ne mange pas d'aliments sauvages », m'a-t- elle répondu. Beaucoup d'enfants indiens ne mangent pas d'aliments sauvages. C'est le résultat de la colonisation. Ils pensent que les aliments sauvages sont inférieurs à la nourriture des Blancs. Ça vient avec l'assimilation et la colonisation. Des études devraient porter là-dessus, surtout sur la colonisation. Ça a à voir avec la santé. Donc, la santé serait colonisée. Les familles et les dirigeants ont une énorme responsabilité à cet égard. Tout le monde veut une solution rapide. Les gens qui travaillent dans une mine, quand ils rentrent à la maison, ils veulent tout ce qui se fait vite. Tous ces gens qui travaillent sur les champs de sables bitumineux, les aliments qu'ils consomment doivent être extrêmement gras. Ils arrivent à la maison, ils veulent quelque chose de rapide, du poulet frit Kentucky. Les gens qui entrent sur le marché du travail, ils ne pensent qu'à ça.

IRSC : Y a t il une fierté à chasser, à trapper et à manger ses propres aliments? Cette fierté se perd-elle?

Chef Erasmus : Oui, en effet, mais François a raison. Certaines personnes, selon la manière dont elles ont été élevées, n'ont pas ces aliments, ils n'en mangent pas. C'est une réalité avec laquelle nous devons composer. Nous n'avons pas de recherche solide à ce sujet, mais d'après mon observation personnelle, il semble que certains de nos jeunes gens passent par une période où ils ne veulent pas manger d'aliments du pays, mais en vieillissant, ils le font.

IRSC : Dre Kuhnlein, vous avez participé à un projet avec les gens de Fort McPherson, dans les Territoires du Nord Ouest, pour essayer d'améliorer l'image des aliments du pays. Ça a été un succès, n'est ce pas? Un livre sur l'alimentation et la santé (livre de recettes) a été produit et les gens ont recommencé à parler de leurs propres aliments.

Dre Kuhnlein : Oui, nous avons fait ça à deux endroits. À Fort McPherson en particulier, la communauté s'est emparée du projet et a fait beaucoup de chemin. On s'est beaucoup servi des médias, de la radio locale, pour favoriser la conversation sur les aliments locaux, culturels et traditionnels, la manière de les préparer et la façon de partager cette information. On a ensuite mis tout ça dans un petit livre, qui est en réalité très attrayant et populaire dans la communauté. Ce qui est intéressant, c'est qu'on a décidé d'accompagner ces recettes de messages santé : « Ne mettez pas trop de sucre dans votre café » ou « N'oubliez pas de faire de l'exercice », par exemple. Cette façon d'essayer de changer les comportements de santé a été très bien reçue. Je veux dire, ce n'est pas partout qu'on veut adopter telle quelle l'éducation sanitaire du Sud. Pour faire suite à ce que François disait, c'est très important de surveiller cette forme de colonisation dans les messages d'éducation sanitaire, et il faut faire attention à la manière dont les comportements alimentaires ont changé à cause des médias. Vous avez mentionné le poulet frit Kentucky. Évidemment, il y a ça. Mais c'est aussi les médias. C'est l'industrie alimentaire qui exploite les papilles gustatives friandes de gras, de sel et de sucre, sans tenir compte des manières traditionnelles de satisfaire ces besoins. C'est très compliqué quand on pense à la façon de vraiment changer pour de bon des habitudes alimentaires qui s'occidentalisent toujours plus. Je pense que ça peut se faire. Il faut seulement un bon leadership et des gens qui se consacrent à la cause sur place.

IRSC : Qu'en est il des coûts? Les aliments frais – les fruits et les légumes frais – coûtent très cher dans le Nord, non? Est-ce un problème?

Chef Erasmus : Les aliments qui arrivent chez nous sont très chers, mais selon ce que j'entends, il y a beaucoup de gens qui cuisinent. Les gens font des sautés, par exemple, mais ils remplacent le bœuf ou le porc par de la viande de caribou ou d'orignal. Les gens font du pâté chinois avec de la viande de caribou hachée. Ils modifient leurs recettes pour avoir ce qu'ils veulent sur la table. Mais il n'y a pas autant de nos propres aliments que nous le voudrions, même s'il est prouvé qu'ils sont plus nutritifs.

Dre Kuhnlein : Le coût des aliments, impossible d'y échapper. Les aliments dans les magasins du Nord sont deux à quatre fois plus chers que dans les supermarchés de Montréal. Alors, quand on n'a pas beaucoup d'argent, on se demande si on veut vraiment acheter du brocoli frais ou quoi que ce soit. Avec la flambée mondiale du prix des aliments, la situation est encore pire... C'est un problème d'essayer d'encourager les gens à manger des aliments du Sud de bonne qualité. Avec leur revenu, ce n'est pas chose facile. Bien sûr, il y a des programmes gouvernementaux, comme le Programme d'approvisionnement alimentaire par la poste et d'autres choses du genre. Je suis sûre que l'aîné Paulette et le chef Erasmus peuvent expliquer davantage comment les prix empêchent réellement les gens d'acheter de bons aliments sains du Sud. Voilà pourquoi ils doivent avoir accès à autant de bons aliments traditionnels de qualité que possible.

Aîné Paulette : La saison détermine aussi les prix. L'autre chose, c'est que l'été, là où je vis, le climat est très bon pour les potagers. Des gens essaient de se lancer là dedans, et ça fait baisser le prix des légumes frais. Et on peut même faire durer les pommes de terre en les conservant l'automne. Donc, ça aide beaucoup, mais il faut aussi beaucoup de travail pour entretenir un potager. Il faut préparer le sol et désherber, etc. Ça fait partie du processus de décolonisation, et les gens doivent s'y mettre. Vous parlez de ce qui est arrivé à Fort McPherson. Pour moi, ce sont des gens qui se décolonisent. Il faut beaucoup de travail et de leadership pour aider à ce processus.

IRSC : Nous avons parlé plus tôt des effets du réchauffement de la planète et du changement climatique. Le comportement de recherche de nourriture et les routes migratoires des animaux changent. Voyez vous beaucoup de phénomènes de ce genre?

Aîné Paulette : Prenez l'automne, par exemple, où l'on chasse l'orignal ici maintenant. Il y a quelques années, septembre aurait été le temps d'abattre un orignal, au début de la saison du rut. Les gens passent donc la plus grande partie de septembre à chasser, mais ne voient rien, parce que la saison est décalée d'un mois. On va à la chasse en octobre et on peut abattre un orignal. Les gens y vont en septembre, se découragent, et se rabattent sur les aliments du magasin. Les gens doivent comprendre le climat et comment il change. Moi je vis au bord de la rivière et je voyage tout le temps. Je peux voir les changements et j'observe ce qui arrive à la terre. La plupart des gens ne le font pas.

« Les gens passent donc la plus grande partie de septembre à chasser, mais ne voient rien, parce que la saison est décalée d'un mois. On va à la chasse en octobre et on peut abattre un orignal. Les gens y vont en septembre, se découragent, et se rabattent sur les aliments du magasin. » L'ainé François Paulette

IRSC : Dr Dewailly, parlez nous de vos expériences dans le Nord et de l'impact sur les Inuits? Sans diminuer son importance dans d'autres régions, le réchauffement planétaire dans le Nord est très réel.

Dr Dewailly : Oui, mais en même temps, on a le sentiment que ces gens ont dû s'adapter, au cours des siècles passés, à des conditions difficiles semblables qui, comparativement au changement qui résulte de la modernisation de leur vie, ne sont rien en réalité… Je ne veux pas me tromper et manquer de rectitude politique. Je dis seulement que les gens là bas, surtout les aînés, disent : « On est habitué au changement de climat, et depuis longtemps, on doit s'adapter. C'est quelque chose qu'on peut faire. On n'a pas peur de ça. L'inconnu, c'est la nouvelle génération. » Ça les effraie vraiment plus, même si dans le discours public, ce n'est pas le cas. Je ne dis pas que le changement climatique n'est pas un problème. Je dis seulement qu'ils sont relativement confiants qu'ils sauront s'adapter parce qu'ils sont habitués à s'adapter depuis longtemps aux difficultés de la vie. Je pense que la télévision et tout changent la société bien plus que le changement climatique a un effet sur la vie de tous les jours.

Chef Erasmus : Ma préoccupation en ce qui concerne le changement climatique est qu'on a toujours été en mesure de survivre, mais que les choses arrivent très rapidement. On s'aperçoit que le pergélisol est en train de fondre, et ça a d'énormes conséquences dans le Nord. On parle maintenant de construire un pipeline de la mer de Beaufort jusqu'au Sud. On n'a jamais observé une fonte rapide du pergélisol. Je ne sais pas trop s'il sera possible de le construire à cause de ça. Il y a une foule de choses. Le changement climatique est réel. Il est en train de se produire. La Terre se réchauffe. On nous dit que si à l'équateur il fait deux degrés de plus, il fera huit degrés de plus chez nous. Oui, on peut s'adapter, mais que fait le reste du monde? C'est ce dont on doit se préoccuper. Il faut y réfléchir longuement et faire en sorte que ça change.

IRSC : Qu'en est il de la contamination de l'approvisionnement alimentaire? En raison des courants océaniques et des vents, le Nord est un aimant pour la pollution et la contamination atmosphériques et océaniques. Les composés organochlorés et les métaux lourds sont d'importantes menaces pour la chaîne alimentaire aquatique. Quelle est la gravité de cette menace?

Dr Dewailly : J'ai commencé à travailler sur le sujet en 1985 et je dirais que 24 ans plus tard, probablement avec toute l'information, la science et l'argent, on sait d'où les contaminants proviennent et on sait quelle est la toxicité de la plupart d'entre eux. On sait quels groupes sont plus dangereux que les autres. Beaucoup de travail a été fait. Par ailleurs, une conséquence indirecte de ça est probablement que certaines personnes penseront que les aliments sont empoisonnés, ou des choses du genre. Donc, en même temps qu'on dit qu'ils sont nutritifs, on dit : « Nous consacrons 10 millions de dollars aux contaminants. » Pour la famille, ce n'est pas facile à comprendre et à mettre en perspective. Je crois cependant qu'on a aujourd'hui un portrait assez clair de la situation. Dans certains cas, des conseils ont été donnés, surtout aux femmes enceintes. Dans l'ensemble, cependant, les scientifiques et tout le monde s'accordent pour dire qu'il est bien mieux de manger des aliments du pays, même s'ils sont un peu contaminés.

IRSC : Quels sont les principaux obstacles à une saine alimentation dans le Nord, et quelles sont les solutions que vous entrevoyez?

Dre Kuhnlein : Je pense qu'il faut tout d'abord reconnaître qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. Beaucoup plus de recherche, mais aussi de l'action communautaire. La recherche peut nous amener à un certain point seulement. Pour opérer un changement, bien sûr, il peut y avoir de la recherche sur la façon de changer les gens, mais il est clair que l'on en est au stade où l'on doit réellement intensifier l'éducation au niveau communautaire en partenariat avec les gens du milieu. Il faut beaucoup de communication pour que les gens du milieu comprennent les enjeux. Ce sont eux cependant qui doivent prendre les décisions au sujet des meilleures activités d'éducation au niveau communautaire. De ce point de vue, il faut des partenariats entre les chercheurs, le gouvernement et le milieu pour concevoir des initiatives d'éducation raisonnables. Mais ça exige beaucoup de ressources. On parle de gens sur le terrain, qui peuvent modifier les comportements ou les attitudes, et ça signifie aussi avoir de bons aliments qui sont accessibles aux gens… des aliments convenables dans les magasins, à des prix abordables pour les gens. Il faut aussi qu'il y ait des aliments traditionnels auxquels les gens puissent avoir accès, non seulement sur les terres, mais aussi dans les magasins. Ce n'est pas le cas partout au Canada. Les Autochtones ne peuvent pas acheter leurs aliments traditionnels en raison de règlements compliqués du gouvernement sur l'inspection des aliments. Voilà ce qui devrait arriver selon moi. La Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits a créé le Groupe de référence sur la sécurité alimentaire. C'est un bon point de départ pour renforcer l'éducation et essayer d'obtenir des ressources pour que les communautés puissent prendre les moyens d'avoir la vie qu'elles veulent.

« Pour opérer un changement, bien sûr, il peut y avoir de la recherche sur la façon de changer les gens, mais il est clair que l'on en est au stade où l'on doit réellement intensifier l'éducation au niveau communautaire en partenariat avec les gens du milieu. » La Dre Kuhnlein

Chef Erasmus : Je pense qu'en partie ce qu'il faut pour que ça se produise, c'est une reconnaissance de l'économie de la chasse, du trappage, de la pêche et de la cueillette pour que ces activités fassent partie de l'économie d'aujourd'hui. Si un plus grand nombre de nos gens étaient encouragés à continuer de chasser et de trapper, par exemple, les jeunes adultes qui finissent leur secondaire auraient cette option et pourraient essayer d'y trouver un débouché commercial. Parce c'est ce que c'est : une petite entreprise. Ils pourraient ainsi en faire leur mode de vie en partie. Un plus grand nombre des nôtres resteraient sur nos terres et conserveraient notre culture. Je pense donc que c'est quelque chose qu'il faut examiner sérieusement. Pendant de nombreuses années, on a insisté pour que nos jeunes aillent au collège et à l'université. Et dans une certaine mesure, ça fonctionne, mais ce n'est pas tout le monde qui veut le faire. On essaie maintenant d'orienter les jeunes vers différents métiers, ce genre de chose, en tenant compte de l'économie. Je pense qu'on doit faire cet exercice. L'autre chose, c'est que le Canada doit jouer un rôle de chef de file à l'échelle internationale. Le Canada n'a pas appuyé le protocole de Kyoto, ce qui a un impact et un effet énormes sur le réchauffement et le changement climatique. Prenons les sables bitumineux, par exemple. On a été très tolérant avant de décider de ne pas étendre l'exploitation jusqu'à ce que des normes plus strictes soient respectées. Les gens en aval sont très inquiets et constatent de nombreux changements… dans le poisson, la qualité de l'eau, etc.

« Si un plus grand nombre de nos gens étaient encouragés à continuer de chasser et de trapper, par exemple, les jeunes adultes qui finissent leur secondaire auraient cette option et pourraient essayer d'y trouver un débouché commercial. » Le chef Bill Erasmus

Dr Dewailly : Il me semble qu'il y a encore beaucoup de recherche à faire sur ce régime de chasseur-cueilleur, sur ses bienfaits. Parce que c'est quelque chose qu'on ne comprend pas vraiment… On doit également évaluer les interventions qui fonctionnent dans la communauté et vérifier la validité externe : comment elles peuvent être étendues à d'autres communautés. Je pense que des choses comme l'interdiction des gras trans, comme on est en train de faire au Nunavik, pourraient certainement être applicables dans d'autres communautés. Mais on doit savoir si elles fonctionnent. Je travaille avec le Conseil cri de la santé et la Corporation Niskamoon, qui ont des projets de restauration des stocks de poisson. De l'argent est mis pour qu'une famille parte dans le bois et pêche pendant des mois. Elle revient ensuite et une économie se crée autour du poisson. J'aimerais vraiment réaliser un projet d'évaluation de la santé pour étudier la famille avant son départ et à son retour, juste pour voir l'effet sur sa condition physique et ses facteurs de risque cardiovasculaires et sa santé mentale. Cette sorte d'évaluation n'a pas vraiment été faite. Tout le monde a une histoire quelconque, des expériences et certaines interventions qui ont été réalisées. Mais on ne sait pas réellement ce qui a bien fonctionné ni ce que d'autres groupes pourraient retirer comme enseignements. J'aimerais vraiment évaluer ce qui arriverait après six mois si une communauté recevait aujourd'hui tous les fruits et légumes et tous les bons aliments du Sud au même prix que dans le Sud… Ce serait une façon de voir comment aurait changé la santé de la communauté après six mois ou un an. Ce que je veux dire, c'est qu'il est peut être temps de voir ce qui fonctionne vraiment et ce qui ne fonctionne pas.

IRSC : Aîné Paulette, vous avez le mot de la fin. Quels sont d'après vous les défis et les solutions?

Aîné Paulette : C'est beaucoup de travail. C'est mettre en équilibre la vision entière du monde, pas seulement physiquement, mais aussi spirituellement. Parce que nombre des animaux et des poissons qu'on mange sont des entités spirituelles. La manière dont les gens les utilisent, non seulement comme aliments et dans le régime, il y a un côté spirituel à ça, et il a été perdu. Nombre de communautés l'ont perdu. Je veux seulement poursuivre dans le même ordre d'idée que le chef Erasmus : il n'y a pas de contrôle de l'eau ici. À l'heure actuelle, la rivière a baissé de 40 % depuis 1971, et ça en dit long sur les toxines dans l'eau. Quels effets ça a t il sur le poisson? Et sur l'alimentation de l'orignal et du caribou? Il y a beaucoup de travail à faire. Si vous êtes pour faire de la recherche, vous devez vous attarder aux endroits où il y a de l'eau, parce que l'eau, c'est la vie, et qu'on doit connaître les effets sur la faune, parce qu'on les subira ensuite. C'est important parce qu'on ne peut pas changer les gens, les gens doivent se changer eux mêmes. On doit leur laisser savoir ce qui est positif, et s'il y a un problème à consommer les aliments, il faut le leur dire. Sinon, ils continueront de manger des aliments prêts à manger et de trouver des solutions rapides, et ainsi de suite.

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