Un médicament présent dans toutes les armoires à pharmacie pourrait réduire les risques liés à l’arthroplastie

Une équipe de recherche d’Halifax s’appuie sur des travaux antérieurs pour tenter d’uniformiser l’ordonnance d’anticoagulants à la suite d’une arthroplastie de la hanche ou du genou et ainsi de simplifier le protocole de soins postopératoires pour les patients

En bref

L’enjeu

La thrombose veineuse profonde et l’embolie pulmonaire figurent parmi les risques associés à une arthroplastie du genou ou de la hanche, raison pour laquelle des anticoagulants sont généralement prescrits à l’issue de l’intervention. Les pratiques varient toutefois d’un médecin à un autre, et différents types d’anticoagulants sont susceptibles d’être prescrits, ce qui peut générer de la confusion et de l’anxiété chez les patients. L’objectif de l’essai clinique EPCAT-III est de mesurer l’efficacité de l’acide acétylsalicylique (AAS) comme anticoagulant. Il s’agit du principe actif de l’Aspirine.

La recherche

L’essai clinique EPCAT-II a mis en évidence les effets anticoagulants de l’AAS en seconde phase d’un traitement faisant également intervenir le rivaroxaban. L’essai qui lui succède vise à démontrer l’efficacité de l’AAS en usage exclusif dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé à double insu.

Les retombées

Si les résultats de l’essai EPCAT-III sont concluants, l’AAS constituera un anticoagulant sûr, abordable et connu du grand public que les médecins pourront prescrire à la suite d’une arthroplastie du genou ou de la hanche.

Lecture complémentaire

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L’arthroplastie de la hanche et du genou est une pratique chirurgicale répandue au Canada, avec près de 110 000 interventions réalisées en 2020-2021. Le nombre d’actes annuels suivait d’ailleurs une trajectoire ascendante jusqu’à ce que la pandémie de COVID-19 entraîne une déprogrammation des interventions chirurgicales non urgentes. Si l’arthroplastie s’est généralisée, elle n’est pas pour autant dénuée de risques; elle peut notamment occasionner la formation de caillots dans les veines ou les poumons et engendrer une thrombose veineuse profonde (TVP) ou une embolie pulmonaire (EP), raison pour laquelle des anticoagulants sont prescrits à l’issue de l’intervention.

Carol West

Carol West a fait une TVP et une EP dans des circonstances qu’elle décrit comme « tout à fait banales ». Comme beaucoup, elle s’est fracturé la rotule à la suite d’une chute, puis a subi une arthroplastie qui a entraîné une TVP et une EP. Aujourd’hui codirigeante de la plateforme Patients partenaires de CanVECTOR, Carol West met son expérience au service de l’équipe de recherche de la plateforme dans le but d’inciter des patients à participer à un essai clinique sur les anticoagulants appelé EPCAT-III.

Un traitement anticoagulant postopératoire simplifié

Les traitements anticoagulants généralement prescrits à la suite d’une arthroplastie sont non seulement coûteux, mais peuvent également entraîner des complications. Heureusement, un médicament sûr, abordable et facilement accessible pourrait bien changer la donne : l’acide acétylsalicylique (AAS), l’ingrédient actif de l’Aspirine. Contrairement à de nombreux médicaments sur le marché, l’AAS (communément appelé l’Aspirine) a la confiance du grand public, notamment pour soulager les maux de tête, les problèmes de sinus ou les douleurs articulaires. Ce sont justement ses multiples vertus qui ont convaincu une équipe de recherche clinique pancanadienne dirigée par le Dr Sudeep Shivakumar et Susan Pleasance, respectivement chercheur principal responsable et gestionnaire du projet à Halifax, d’étudier ses effets sur les patients ayant développé une thrombose dans l’espoir d’en faire l’anticoagulant de référence.

Dr Sudeep Shivakumar

Les résultats préliminaires de la recherche sont pour le moins prometteurs. En 2018, les conclusions du deuxième essai clinique du projet, EPCAT-II, dirigé par le Dr David Anderson, ont ainsi révélé (en anglais seulement) que les effets d’un traitement en deux phases reposant sur l’administration de rivaroxaban (un médicament coûteux), puis d’AAS sont comparables à ceux d’un traitement uniquement basé sur le rivaroxaban pour prévenir l’apparition d’une maladie thromboembolique veineuse.

Susan Pleasance, qui a commencé sa carrière en tant qu’infirmière en service d’orthopédie et de traumatologie avant de devenir chercheuse clinicienne et directrice des services cliniques, a participé aux premiers travaux du projet, EPCAT-I, en 2003-2004, puis a intégré l’équipe de gestion d’EPCAT-II.

Si les conclusions de ce deuxième essai ont mis en lumière l’efficacité des effets anticoagulants de l’AAS, une question majeure reste en suspens : l’AAS peut-il être prescrit seul à l’issue d’une arthroplastie du genou ou de la hanche? L’objectif d’EPCAT-III est d’y apporter une réponse concluante.

Au moment où EPCAT-II, financé par les IRSC, était en cours de réalisation, le Dr Shivakumar faisait ses premiers pas en tant qu’hématologue.

« Le fait qu’Halifax soit le théâtre d’un tel projet peut surprendre, mais prouve qu’avec une planification minutieuse et l’appui financier nécessaire – notamment grâce au rôle prépondérant des IRSC – il est possible de mener des travaux de recherche de grande qualité qui s’appuient sur la participation de milliers de patients, apportent des réponses à des questions essentielles et aboutissent à une transformation des pratiques cliniques », affirme le Dr Shivakumar.

Tout récemment, la barre symbolique des mille patients partenaires a été atteinte dans le cadre d’un essai auquel participent 15 centres ouverts de Calgary à Halifax.

Un traitement à généraliser

L’essai clinique EPCAT-III permettra de dégager des données probantes en faveur ou à l’encontre de l’usage exclusif de l’Aspirine comme anticoagulant.

Susan Pleasance

« Au Canada, les traitements prescrits à la suite d’une arthroplastie du genou ou de la hanche varient sensiblement d’un chirurgien orthopédique à un autre, explique le Dr Shivakumar. Si nous parvenons à prouver que l’AAS pris seul est à la fois sûr et efficace, je suis convaincu qu’il ne tardera pas à s’imposer, compte tenu de la familiarité des patients et des médecins avec le médicament. À cela s’ajoute son faible coût, un facteur qui lui confère un avantage certain, tant du point de vue des contribuables et des patients que des fournisseurs de services de santé. »

Pour sa part, Susan Pleasance estime qu’une généralisation du traitement pourrait être l’une des principales retombées de l’essai. Elle fonde son raisonnement sur les difficultés que rencontre le personnel infirmier en service d’orthopédie dans l’administration des anticoagulants aux patients, chaque chirurgien étant susceptible de prescrire un anticoagulant distinct. Si l’efficacité de l’AAS est prouvée, une uniformisation des traitements éliminerait sans doute une épine du pied au personnel infirmier.

« Les équipes d’orthopédie qui prodiguent des soins postopératoires seront les premières à tirer parti de ces nouvelles données, explique le Dr Shivakumar. Quant aux patients, ils verront d’un bon œil que le médicament qui leur est administré se trouve dans leur armoire à pharmacie et a toute leur confiance. Globalement, je pense que l’essai profitera aux patients et réduira le taux de complications postopératoires. C’est en tout cas mon espoir. »

Le point de vue des patients au cœur de chaque nouvel essai

À titre de patiente partenaire, Carol West exprime son point de vue lors de chaque réunion CanVECTOR à laquelle elle participe (y compris en dehors d’EPCAT-III) dans le but de démystifier les idées reçues des patients sur les essais cliniques.

« Nous faisons de notre mieux pour rendre les choses les plus compréhensibles possible pour les patients. Tout au long du processus de recherche, nous veillons également à appliquer les nouvelles connaissances acquises afin de faciliter le dialogue entre les patients et leur médecin. » Ainsi, les patients sont plus enclins à poser des questions sur les possibilités de traitement postopératoire qui leur sont offertes.

Carol West participe à l’essai sur un pied d’égalité avec les autres parties prenantes, ce qui souligne la contribution essentielle des patients à la recherche. « Toutes les réunions du comité directeur d’EPCAT-III comprennent un point sur la rétroaction du patient partenaire présent, confie Carol. Les membres du comité ne perdent jamais de vue que cette personne fait partie intégrante du processus et l’invitent à prendre la parole à tout moment. J’espère que cette pratique deviendra monnaie courante dans tous les projets de recherche ». Carol West est convaincue que les patients ont beaucoup à apporter à la recherche et estime que leur retour d’expérience et leurs suggestions ont non seulement une incidence sur le déroulement des essais, mais contribuent aussi à améliorer et à uniformiser les soins prodigués.

Plusieurs essais cliniques s’avèrent souvent nécessaires avant que les pratiques médicales changent, et le projet EPCAT n’échappe pas à la règle. Le troisième essai, qui s’appuie sur les conclusions d’EPCAT-II, nourrit néanmoins les espoirs de Susan Pleasance et du Dr Shivakumar, qui confirment que la perspective de voir émerger un protocole de soins postopératoires simplifié pour une intervention chirurgicale courante suscite un véritable engouement, mais aussi des attentes élevées.

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