La santé mentale au cœur des premiers soins

Des chercheurs de l’Université McMaster adaptent un programme de premiers soins psychologiques afin d’aider les professionnels de la santé mentale à prendre soin d’enfants, de jeunes et de familles éprouvant du stress occasionné par la COVID-19

De gauche à droite : Melissa Kimber, Haruka Kanai et Louise Murray-Leung au Centre Lynwood Charlton de Hamilton (photo de Georgia Kirkos/Université McMaster)

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La pandémie de COVID-19 a touché tout le monde. Elle a bouleversé les vies. Elle a été source de peur et d’incertitude. Les confinements provinciaux ont restreint nos activités sociales. Les travailleurs de première ligne ont été soumis à la double pression de fournir des services essentiels tout en devant gérer l’impact de la pandémie sur leur propre vie.

Les familles, notamment, ont été particulièrement touchées. L’enseignement virtuel, le télétravail, les pertes d’emploi, les soucis financiers, les soins aux parents âgés, le manque d’activités de plein air et de rencontres sociales et d’autres facteurs ont rendu la vie encore plus difficile pour les enfants, les jeunes et leurs parents. Cela a entraîné de hauts niveaux de stress et favorisé l’apparition ou l’aggravation de problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression. Alors que des familles cherchaient peut-être de l’aide, les professionnels de la santé mentale n’étaient pas nécessairement prêts à faire face au stress propre à la pandémie.

Les premiers soins psychologiques, nouvel outil pour contrer les répercussions de la COVID-19

Des chercheurs de l’Université McMaster se sont sentis poussés à faire quelque chose afin de préparer les professionnels de la santé mentale en les dotant du vocabulaire et des compétences nécessaires à la prestation de conseils et d’un soutien efficaces à leur clientèle.

La Dre Melissa Kimber est professeure adjointe au Département de psychiatrie et de neurosciences du comportement de McMaster. Ses travaux sont axés sur le soutien en santé mentale des enfants, des jeunes et des familles touchées par différentes formes de violence, y compris la violence conjugale et la maltraitance des enfants.

Grâce au financement des Instituts de recherche en santé du Canada, la Dre Kimber a codirigé, avec des collègues de l’Université McMaster, le Dr Noam Soreni et la Dre Sheila Harms, deux pédopsychiatres et professeurs agrégés, un projet de mise en œuvre d’un programme de premiers soins psychologiques (PSP) appelé LIVES for Families visant à faire face aux circonstances exceptionnelles de la pandémie et à former des professionnels de la santé mentale sur son utilisation.

LIVES for Families est une version adaptée du programme de PSP LIVES élaboré à l’origine par l’Organisation mondiale de la santé. Cette initiative visait d’abord à soutenir les femmes victimes de violence conjugale ou sexuelle. Depuis, elle sert aussi à atténuer l’impact de catastrophes naturelles et d’autres graves crises sur la santé mentale.

L’équipe a choisi d’adapter le modèle LIVES au contexte de la COVID-19 en raison de sa brièveté et de la facilité de son intégration dans les compétences, les connaissances et le travail courant des professionnels de la santé et de la santé mentale de première ligne.

« LIVES for Families est conçu pour offrir un soutien bref, ciblé, affectif et pratique à des enfants, à des jeunes, à des adultes et à des familles durant des crises de grande envergure », explique la Dre Kimber.

Collaborer avec des jeunes et des familles

La docteure et son équipe de recherche ont collaboré avec le personnel du Centre Lynwood Charlton, un chef de file de Hamilton en prestation de services de santé mentale aux enfants, aux jeunes et à leur famille.

Louise Murray-Leung, responsable de la mobilisation des familles au Centre, a recueilli les commentaires de familles ayant eu accès à des services de santé mentale destinés aux enfants et aux jeunes, tandis qu’Haruka Kanai, travailleuse sociale auprès des jeunes, également au Centre, a réuni une équipe de jeunes gens qui avaient eu des préoccupations bien concrètes en matière de santé mentale et qui ont aidé à répertorier les sources de stress pour leurs pairs et eux-mêmes et à concevoir le matériel de formation afin qu’il réponde à ces préoccupations qui les concernent ainsi que leur famille.

« De par notre rôle, nous entretenions déjà de bonnes relations avec les membres de notre équipe de mobilisation des jeunes et des familles; il a ainsi été plus facile de les faire participer au projet et de faire profiter les chercheurs de leur expertise », indique Mme Murray-Leung. « L’équipe s’est beaucoup investie dans le projet, même si ses membres étaient eux-mêmes mis à rude épreuve par les exigences de la pandémie. »

Bien que le programme soit axé sur les professionnels de la santé mentale, l’équipe de mobilisation des jeunes et des familles a constaté le potentiel de le rendre disponible à d’autres intervenants de première ligne, y compris des médecins de famille, des infirmières, des membres du clergé, des enseignants, des conseillers en orientation, des conseillers en soutien par les pairs, des fournisseurs de services communautaires, et des membres de la communauté qui interagissent avec les jeunes et leur famille dans tout aspect de leur quotidien, y compris dans les banques alimentaires, les centres communautaires et les associations de quartier.

Dans le cadre de son travail avec les jeunes, Mme Kanai a reconnu l’importance de créer un espace sûr où les membres de son équipe pouvaient faire part de leur expérience et de leurs idées.

« Tirant parti de leur expérience, ils ont exprimé des opinions très utiles sur les scénarios élaborés pour le programme de formation », souligne Mme Kanai, qui terminait sa maîtrise en travail social durant le projet et qui a été engagée par le Centre comme travailleuse sociale auprès des jeunes au terme de ses études. 

Par exemple, selon l’équipe des jeunes, la formation devait tenir compte d’un souci commun, celui de la difficulté de trouver un endroit privé à domicile pour des séances de thérapie virtuelle avec des conseillers en santé mentale. Parmi les autres facteurs de stress, on souligne les célébrations manquées avec les amis et la famille, des foyers non sécuritaires ou instables, trop de temps passé devant les écrans et l’incertitude quant au moment du retour à la normale.

L’équipe des jeunes a apporté d’autres contributions importantes, notamment en alimentant le contenu de la formation sur les répercussions disproportionnées de la COVID-19 sur les jeunes racisés et les jeunes autochtones, ainsi que sur les communautés de diverses identités sexuelles et de genre.

La prestation de la formation sur les PSP

Le programme LIVES for Families traite du stress de la COVID-19 de plusieurs façons. Il renseigne les gens sur les répercussions mentales possibles de la pandémie et des restrictions liées à celle-ci. Il soutient que le stress et la détresse éprouvés par les enfants, les jeunes et les familles sont manifestes, et reconnaît l’évolution des données sur leur impact et la manière de s’y attaquer. Enfin, il propose des stratégies concrètes de prestation d’un soutien affectif pratique aux personnes victimes de stress occasionné par la pandémie.

Entre autres stratégies abordées dans la formation, mentionnons la validation des émotions, la création de plans de sécurité pour les personnes qui ont contracté la COVID-19, l’amélioration des habitudes de sommeil, la surveillance du temps passé devant les écrans et de la fréquentation des médias sociaux, les efforts de maintien d’une structure cohérente, l’établissement de liens, ainsi que le repérage et l’aiguillage des personnes ayant besoin de services professionnels ou d’auto-assistance plus structurés.

La formation a été offerte à 59 professionnels de la santé mentale, y compris des pasteurs jeunesse, des psychologues cliniciens, des travailleurs sociaux, des intervenants des services à l’enfance et à la jeunesse ainsi que des médecins qui exercent dans le sud de l’Ontario. Les participants ont suivi trois séances de formation virtuelles à deux semaines d’intervalle.

Lors de la première séance, ils ont été informés des caractéristiques fondamentales du programme. Au cours des deux suivantes, ils ont mis en pratique les éléments du programme en utilisant divers scénarios et outils didactiques pour acquérir les compétences et la confiance nécessaires à la prestation du programme aux familles auprès desquelles ils œuvrent.

La formation améliore l’état de préparation et l’efficacité personnelle

L’équipe de recherche a réalisé un sondage auprès des participants pour évaluer leurs perceptions de leur état de préparation et de leur capacité à reconnaître les stresseurs liés à la COVID-19 chez leur clientèle, et à y réagir. Elle l’a fait à trois moments : avant le début de la formation, après la première séance pratique et six mois plus tard. Lors du suivi après six mois, on a interrogé les participants sur leur expérience en rapport avec l’épuisement et le stress traumatique secondaire.

Les résultats montrent des changements positifs importants chez les participants entre la période antérieure à la formation et celle à mi-parcours aux chapitres de l’efficacité personnelle et de l’état de préparation. Les résultats sont positifs lors du suivi après six mois. Pour ce qui est de la santé mentale des participants, des analyses préliminaires indiquent qu’ils éprouvaient des niveaux élevés d’inquiétude et ressentaient, dans une certaine mesure, de l’épuisement professionnel et du stress traumatique secondaire.

Des entrevues menées auprès de 31 des 59 participants ont permis de constater que ceux-ci avaient aimé la formation et étaient d’avis qu’elle les préparait à travailler auprès de familles aux prises avec des stresseurs liés à la COVID. Fait important, les participants se sont accordés pour dire qu’il a été très utile d’établir des liens avec d’autres fournisseurs qui ont la difficile tâche de fournir des services essentiels tout en ayant à gérer l’impact de la pandémie sur leur propre vie.

« Nous voulons mettre en évidence le fait que même si, dans certains cas, ces professionnels étaient sans doute épuisés sur le plan émotionnel et aux prises avec des problèmes, ils étaient quand même déterminés à apprendre tout ce qu’ils pouvaient et à faire tout leur possible pour favoriser le bien-être de leur clientèle », raconte Mme Kimber.

Étant donné les résultats positifs, Mme Kimber et ses collègues ont depuis reçu un financement du programme de recherche en santé mentale de l’Hôpital Joseph Brant pour la mise en œuvre de LIVES for Families à l’intention de cliniciens, notamment ceux en santé mentale, des régions de Halton et de Hamilton.

La prochaine étape sera la réalisation d’un essai clinique du programme afin de déterminer si les bons résultats connus par les professionnels de la santé mentale peuvent être reproduits, et s’ils sont susceptibles d’avoir une incidence positive sur leur clientèle.

Les données probantes devraient faciliter une utilisation répandue de LIVES for Families et fournir aux professionnels de la santé mentale un programme fiable qui aidera non seulement leur clientèle à composer avec les effets à long terme de la COVID-19, mais les préparera à la possibilité d’autres pandémies à l’avenir.

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