À micro ouvert avec Mike no 7 : Combattre la mésinformation en santé avec le professeur Timothy Caulfield
Dans le tout premier entretien vidéo de la série À micro ouvert avec Mike, le Dr Strong rencontre le professeur Timothy Caulfield, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé à l’Université de l’Alberta. Ils discutent de l’importance de combattre la mésinformation, de bâtir la confiance du public envers la science et de trouver de bons mentors.
À micro ouvert avec Mike
Combattre la mésinformation en santé avec le professeur Timothy Caulfield
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Transcription
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00:01 – Accueil et présentations
Dr Strong : Bonjour!
Bienvenue à une autre édition d’À micro ouvert avec Mike. Nous ne nous sommes pas parlé depuis un bout de temps – comme vous le savez, nous sommes en pleine pandémie, nous devons nous protéger – et c’est pourquoi l’édition d’aujourd’hui sera un peu différente. Nous procéderons par vidéo.
Aujourd’hui, je m’entretiens avec le professeur Timothy Caulfield. Beaucoup parmi vous connaissent les travaux de Tim, notamment en raison de ses livres qui s’attaquent aux questions de la vraie science par rapport à la fausse science. Il est un auteur prolifique dans ce domaine et une personne fantastique.
J’ai donc hâte de lui parler. Je prends mon café et je rentre au bureau. Venez donc me rejoindre dans quelques minutes.
Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui le professeur Timothy Caulfield à cette édition d’À micro ouvert avec Mike.
Beaucoup d’entre vous le savent peut-être déjà, mais Tim est professeur, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé, professeur à la Faculté de droit et à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, ainsi que directeur de la recherche à l’Institut du droit de la santé de l’Université de l’Alberta.
Bienvenue, Tim. Comme vous le savez, le but de cette discussion est d’apprendre à vous connaître et de découvrir votre parcours, mais aussi de vous entendre parler de votre bagage vraiment fascinant et de vos travaux actuels. C’est un plaisir de vous recevoir, Tim!
Prof. Caulfield : Merci de votre invitation.
Dr Strong : Pourquoi ne pas sauter immédiatement dans le vif du sujet? Beaucoup de gens vous connaissent déjà. Vous êtes l’auteur de deux livres à succès au Canada et du documentaire télévisuel primé Repousser la mort : mensonges et vérités. Vous êtes donc devenu une figure connue, surtout au cours de la dernière année.
Vous avez toujours été l’une de ces personnes qui montent au front pour combattre les balivernes ou les mythes scientifiques. D’ailleurs, vous êtes omniprésent dernièrement, dans les médias canadiens, vous exprimant sur la mésinformation entourant la COVID-19.
Prof. Caulfield : Ne vient-on pas de passer une année extraordinaire? Depuis des décennies, j’étudie diverses formes de mésinformation et la manière dont la science est représentée, mais je n’ai jamais rien vu de tel.
Nous étudions ce phénomène dans le contexte de la COVID, grâce à une subvention des IRSC que j’ai reçue avec ma formidable équipe interdisciplinaire. L’expérience a été vraiment extraordinaire.
Il existe de la mésinformation sur absolument tout ce qui concerne la pandémie : sur la source, bien entendu, sur différents remèdes (ce qui nous intéresse énormément). Il y a aussi beaucoup de mésinformation au sujet de l’intervention et du rôle du gouvernement, ce qui peut devenir hautement problématique à cause des répercussions sur la confiance.
Maintenant, nous voyons de la mésinformation sur les vaccins, et bon sang, les conséquences sont mesurables et tangibles. Il y a des vies humaines en jeu.
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03:08 – Qu’est-ce que la mésinformation?
Dr Strong : Quand vous parlez de « mésinformation », que voulez-vous dire exactement?
Prof. Caulfield : C’est une excellente question. J’utilise le terme mésinformation pour qualifier vraiment toute l’information inexacte mise en circulation, surtout dans les médias sociaux, mais ailleurs aussi.
Cela dit, le terme englobe plusieurs concepts.
On parle de désinformation lorsque l’information inexacte est propagée de façon intentionnelle. Certaines personnes ou entités ont des causes à faire avancer, et elles propagent de la fausse information à cette fin.
Il y a aussi des gens qui essaient seulement de faire ce qui est dans leur intérêt et celui de leur famille. Ils sont rieieux et propagent de l’information erronée dans les médias sociaux. En fait, cela constitue probablement la plus grande source de mésinformation.
Donc la mésinformation existe sous différentes formes.
Il y a évidemment les gens qui ont des produits douteux à vendre – notamment pour stimuler le système immunitaire – et qui tentent d’exploiter la situation.
J’aime mettre tous ces types d’information inexacte dans la catégorie de la mésinformation de façon à tous les couvrir. Honnêtement, il est utile de pouvoir différencier les types de mésinformation, mais tous sont préjudiciables.
Dr Strong : Je trouve intéressant que vous le formuliez de cette manière. Autrement dit, et corrigez-moi s’il le faut, il y a une intention malveillante derrière la mésinformation qui cherche à procurer un avantage personnel, comparativement à celle qui découle de la déformation d’une réalité mal comprise. Celle-ci serait préjudiciable et problématique, mais sans le côté malfaisant du premier type. Est-ce une bonne façon de le voir?
Prof. Caulfield : Oui, je pense que c’est une bonne description si on les classe dans deux grandes catégories. Je crois que c’est juste.
Toutefois, je ne pense même pas que le premier type de mésinformation implique nécessairement une intention malveillante. Je crois que la motivation peut simplement être de tirer un avantage, de faire avancer une cause particulière ou d’obtenir quelque chose.
Il existe bien parfois une intention malveillante. Il peut s’agir d’utiliser la pandémie pour promouvoir une idéologie particulière ou même pour attiser la haine à l’endroit de certains groupes. Nous avons été témoins de cela malheureusement.
Mais il existe en plus des personnes – je pense aux influenceurs dans le domaine du mieux-être – qui tentent simplement d’exploiter la situation pour vendre leurs produits. C’est tout de même frustrant. Leur motif profond n’est peut-être pas malveillant, mais je le perçois quand même comme tel!
Et il y a l’autre catégorie, vous avez raison. Dans notre environnement informationnel, comme je l’appelle, tellement chaotique, je pense qu’il y a des personnes (beaucoup de personnes, un grand pourcentage de Canadiens) qui font de leur mieux, qui se démènent pour distinguer le vrai du faux.
Dans une étude très intéressante de Statistique Canada publiée au début de 2021, 96 % des Canadiens avouaient avoir vu de la fausse information.
Le pourcentage réel est vraiment de 100 %, mais le simple fait que 96 % des Canadiens en soient conscients est incroyablement révélateur.
Dr Strong : Alors avez-vous l’impression, puisque vous avez observé certains de ces phénomènes, que la mésinformation existe sous une forme ou une autre depuis la nuit des temps? Elle existera toujours.
Mais nous parlons ici d’une forme de mésinformation qui vient d’un environnement informationnel qui nous permet de trouver de l’information n’importe où. Notre façon de synthétiser cette information et de l’intégrer à notre propre système de croyances ouvre la porte à ce genre de mésinformation potentiellement néfaste pour la santé. Cela n’aurait pas nécessairement été un problème il y a 30 ou 40 ans, ou même 20 ans, avant les médias sociaux.
Donc la mésinformation qui existe depuis des années et ce que nous voyons maintenant, s’agit-il de deux choses différentes?
Prof. Caulfield : Je crois que vous avez entièrement raison.
La mésinformation existe depuis toujours, mais ce que nous voyons aujourd’hui est différent, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Sur le plan qualitatif, nous voyons de plus en plus de mésinformation rattachée, par exemple, à des idéologies. On peut s’en servir comme arme pour promouvoir une idéologie particulière, non seulement en politique, mais aussi en santé. Nous le voyons avec les vaccins : des concepts comme le choix et la liberté – qui ont un attrait naturel – sont utilisés, comme un cheval de Troie, pour véhiculer de la fausse information.
Lorsque vous êtes tellement obnubilé par une idéologie qui peut être séduisante pour vous, les propagateurs de mésinformation n’ont pas à s’encombrer de rigueur scientifique.
Nous le voyons très clairement. Mais je crois que le changement est aussi quantitatif, et vous pouvez probablement deviner à quoi je fais allusion : aux médias sociaux, évidemment, qui ont eu un effet transformateur.
Cela dit, la mésinformation provient aussi d’autres sources. Il peut s’agir de vos amis ou des médias d’information traditionnels, mais pas dans une aussi grande mesure qu’autrefois. Je crois que l’information traditionnelle a bien joué son rôle ici. C’est un phénomène largement attribuable (mais non exclusivement) aux médias sociaux.
Cela a été mis en lumière dans certaines études. Le phénomène a été examiné sous divers angles, et ce sont les médias sociaux qui ont été jugés largement responsables. Nous savons que les personnes qui puisent leur information dans les médias sociaux – Facebook, Twitter, Instagram – sont plus vulnérables à la mésinformation et plus susceptibles de croire la fausse information.
Il est certain que ce type de données doit être interprété avec prudence (corrélation et causalité), mais je crois que le phénomène a été étudié sous suffisamment d’angles, d’un point de vue méthodologique, pour nous permettre d’arriver à cette conclusion, qui ne surprendra vraiment personne. On peut sentir instinctivement que c’est la bonne conclusion.
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09:24 – Science et confiance du public
Dr Strong : C’est intéressant. Poussons alors les choses un peu plus loin, car je crois qu’une de nos réussites au Canada est d’avoir assez clairement fait savoir que nos décisions sont éclairées par les données probantes ou par la science. C’est une observation faite à divers niveaux. Les publications montrent d’ailleurs que la population en général tient encore les médecins et les scientifiques en assez haute estime et respecte leurs opinions.
Mais y a-t-il un risque – comme nous disons de plus en plus que nous allons prendre des décisions fondées sur des données scientifiques – que des voix s’élèvent pour dire que « la science a tort » ou que « la science n’est pas crédible » et viennent contrecarrer ces efforts? Est-ce un risque?
Prof. Caulfield : C’est une question vraiment fascinante. Je ne sais pas si cela risque vraiment de se produire. Laissez-moi décortiquer le problème, car je crois qu’une des raisons pour lesquelles cette question se pose est que nous avons maintenant une population qui regarde la science avancer en temps réel.
Je crois que toute la population, ou presque, suit la situation.
Mais cela n’est pas toujours le cas. Les rouages de la science ne sont pas toujours aussi scrutés à la loupe.
Selon moi, ce qui arrive, c’est que le public regarde les scientifiques œuvrer en coulisse et n’aime pas ce qu’il voit. Les scientifiques se rétractent, expriment leurs divergences d’opinions… Les gens sont témoins du processus lent et graduel d’accumulation de preuves, concernant les masques par exemple. Et je crois que tout cela peut leur sembler rébarbatif et chaotique.
Mais vous savez comme moi comment la science fonctionne. C’est ainsi.
Cette situation devrait donc, selon moi, nous rappeler deux choses.
La première est l’importance de la rigueur scientifique, car la confiance du public est si facile à perdre. Et lorsque le public a les yeux rivés vers la science, il voit les échecs, les erreurs. Il est important de s’assurer que les méthodes scientifiques sont rigoureuses et dignes de confiance. Voilà pour la première.
La deuxième est l’importance de bien communiquer l’information scientifique. J’ai d’ailleurs eu la chance de collaborer à la production d’un rapport commandé par la Société royale du Canada sur cette question. Je crois que c’est vraiment important.
Une des leçons que nous avons apprises est que nous devons bien faire les choses, car si nous sommes trop rigides sur une question et que la science évolue et change, nous allons perdre la confiance du public. Nous en avons été témoins : les débats sur le masque et l’hydroxychloroquine en sont de bons exemples.
Je crois qu’il est très important de ne pas seulement communiquer les conclusions des recherches, mais aussi de parler un peu du processus scientifique et de l’incertitude concernant l’évolution de la science.
Enfin, je crois que cela témoigne de l’importance de l’éducation scientifique du public. Nous devons raconter des histoires non seulement sur les conclusions – et je crois que les IRSC s’améliorent de plus en plus à ce chapitre –, mais aussi sur le processus et sur les personnes qui font le travail et qui s’y investissent. Le public pourra ainsi nous suivre dans l’aventure scientifique, une aventure fascinante. S’ils sont avec nous, il est plus facile de leur montrer le chemin emprunté par la science.
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12:53 – Qu’est-ce que #LaScienceDabord?
Dr Strong : Voilà une excellente transition vers ma prochaine question : qu’est-ce que « la science d’abord »?
Prof. Caulfield : Mot-clic! #LaScienceDabord
Il s’agit d’un mouvement national. Honnêtement, nous espérons qu’il deviendra international. L’objectif central consiste à répandre de l’information crédible dans les médias sociaux.
Comme je l’ai déjà dit, nous savons que les médias sociaux représentent la principale source de mésinformation. Ce sont eux qui génèrent toute la polarisation, qui véhiculent les théories du complot. Le but est donc de submerger les médias sociaux d’information crédible, d’information qui répond aux questions du public, celles qui le préoccupent réellement, et qui est fiable et facile à partager (par Twitter, Facebook et Instagram).
En fait, nous voulions créer une sorte d’armée. Une armée! Des dizaines de milliers de soldats faisant circuler cette information.
Nous voulions aussi qu’il soit très simple de se joindre à l’équipe. Donc tout ce que vous avez à faire est de suivre LaScienceD’abord sur Twitter, Facebook et Instagram – et nous serons bientôt aussi sur TikTok – et de transmettre l’information.
Vous pouvez aussi devenir membre de l’équipe, si vous êtes un scientifique, en contribuant à la validation du contenu créé. Bref, nous produisons du nouveau contenu et nous transmettons l’information crédible déjà en circulation.
L’initiative a connu un succès fulgurant dès le départ. Je crois qu’au cours des deux ou trois premières semaines, notre contenu a été vu 50 millions de fois. Des milliers de personnes en font part à d’autres.
Alors, oui, nous espérons que cette initiative survivra à la pandémie et qu’elle deviendra un mouvement auquel même un élève de sixième année intéressé par la science peut adhérer. Et si vous travaillez à séquencer le génome du mammouth laineux, vous pouvez aussi vous joindre à ce mouvement. Nous voulons créer une initiative à laquelle les gens seront fiers de participer et qui ne disparaîtra pas après la pandémie.
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14:55 – Comment le milieu de la recherche peut-il participer à #LaScienceDabord?
Dr Strong : Vous avez parlé de vérifier et d’examiner une partie de cette information. Nos collègues sur le terrain vont se dire « vous savez quoi, cette initiative a l’air plutôt cool, je ne détesterais pas en faire partie ».
Alors prenons quelqu’un comme moi, quelqu’un qui arrive à allumer son ordinateur tous les jours et à sortir son microscope confocal, et c’est à peu près tout. Combien de temps devrait s’attendre à investir un scientifique qui se dirait « je veux faire partie de cette initiative et je veux que cette information et ces discussions sortent de l’ombre »?
Prof. Caulfield : La bonne nouvelle, selon moi, est qu’un nombre grandissant de chercheurs se joignent à cette conversation. Ils reconnaissent la valeur des communications scientifiques.
Je crois que c’est un changement intéressant dont nous pourrions aussi parler. Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine, ce genre de communication scientifique était considéré comme important, mais un peu marginal. Or, aujourd’hui, ce type d’activités est financé par des subventions de recherche. Les organismes de financement veulent connaître le contenu de votre plan d’application des connaissances. Ils veulent savoir comment vous allez communiquer avec le public. C’est un changement formidable.
La raison pour laquelle je soulève ce point est que de plus en plus de chercheurs et de cliniciens s’intéressent à ce genre de choses et y consacrent du temps sur les médias sociaux. Et ils aiment le faire, car c’est un milieu fantastique.
Vous pouvez y consacrer autant ou aussi peu de temps que vous le voulez. Nous voulions que #LaScienceDabord offre cette flexibilité. Donc si vous voulez seulement aller sur les médias sociaux et partager du contenu, c’est parfait. Cela se fait en deux temps, trois mouvements. Vous pouvez aussi échanger avec des patients si vous n’êtes pas trop adepte des médias sociaux. Il y aura du contenu en circulation qui, espérons-le, sera utile à vous, à vos patients ou même à votre milieu en général.
Il y a donc diverses façons de participer, y compris faire le grand saut et devenir soi-même un communicateur scientifique.
Si vous créez vous-même du contenu ou des vidéos, c’est quelque chose que nous pourrions vouloir inclure dans #LaScienceDabord. C’est l’autre point très important à souligner selon moi. Nous voulons faire équipe avec les gens. Nous ne voulons pas que le mouvement devienne une initiative centralisée; il doit voler de ses propres ailes.
Dr Strong : Je me mets dans la peau d’un de vos étudiants. Je vous écoute et je me dis : « super, je comprends, je comprends vraiment ».
Vous avez mentionné des indicateurs et des mesures – et je joue le rôle de l’étudiant ici un peu –, alors comment saurez-vous que vous accomplissez quelque chose, autrement que par le nombre de clics? On entend parler de mise à l’échelle et de répercussions sur les résultats cliniques, surtout en pleine pandémie, contexte où, comme vous le savez, les choses évoluent si rapidement. Comment saurez-vous que vous êtes sur la bonne voie?
Prof. Caulfield : Eh bien, je crois qu’un des bons côtés des médias sociaux est l’énormité de leur portée.
Nous scrutons les médias sociaux et utilisons beaucoup d’indicateurs. Vous savez, c’est vraiment bien. Une des manières d’étudier notre impact est de déterminer – nous faisons une sorte d’analyse de réseau – qui nous écoute et jusqu’où notre message se rend. Nous pouvons cartographier les résultats.
Maintenant, pour la propagation de la mésinformation, vous pouvez voir #LaScienceDabord entrer dans le jeu; et même si le changement est minime, c’est quand même significatif. En effet, cela veut dire que l’on parle à de nouvelles personnes et, avec quelque chose comme la mésinformation, même une petite évolution compte. Le but ici est de faire bouger l’aiguille.
Et l’autre chose vraiment importante – et je suis donc content que vous ayez soulevé ce point – un autre élément crucial de #LaScienceDabord est notre désir de fonder notre stratégie de communication sur la science. C’est-à-dire que nous essayons vraiment de voir ce que disent les données probantes sur la bonne façon de communiquer. Une partie du travail de notre institut est de vérifier ce qui fonctionne afin de s’en servir comme fondement pour nos stratégies.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est de plus en plus démontré que la correction de la fausse information fonctionne. C’est une approche efficace.
Vous avez peut-être l’impression que c’est inutile, mais ça fonctionne, surtout à l’échelle des populations. Et c’est ainsi qu’il faut voir une initiative comme #LaScienceDabord. C’est une initiative visant les populations. Vous ne réussirez peut-être pas à convaincre votre oncle excentrique qui a affiché un truc bizarre sur Facebook, mais collectivement et avec le temps, nous espérons changer les choses.
J’aime toujours dire, écoutez, on dirait peut-être qu’il ne sert à rien de corriger la fausse information, mais imaginez un monde où les gens ne se donnent pas la peine d’essayer et où les médias sociaux ne contiennent pas d’information crédible. La situation serait encore pire.
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19:23 – La mésinformation à « l’ère de l’anxiété »
Dr Strong : Permettez-moi de passer à un sujet légèrement différent – et je crois que nous en sommes tous témoins – il s’agit de l’augmentation du niveau d’anxiété dans la population. Je le constate parmi mes amis, et je crois que nous le ressentons tous à un moment donné. Vous vous levez un matin et vous entendez parler d’un nouveau variant, et avant d’aller vous coucher le soir vous apprenez l’émergence d’un autre variant. Je n’ai plus envie de me lever le matin. C’est comme si j’avais atteint ma limite. Cette chose ne le fait pas sciemment, mais mon Dieu qu’elle nous rend dingues.
Nous finirons par sortir de cette crise, ce n’est pas cela qui m’inquiète.
Mais même pour ceux d’entre nous qui vivent cette crise au quotidien et ressentent cette anxiété, il est impossible d’échapper aux pressions. Je parle à mes collègues, aux membres de ma famille, et leur anxiété dépasse la mienne par beaucoup.
Vous avez récemment écrit à ce sujet et avez commencé à vous intéresser un peu à cette « ère de l’anxiété ». Parlez-nous un peu de ce phénomène. Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette question au départ? Je crois que je peux comprendre comment nous en sommes arrivés là, mais dans quelle direction voulez-vous que la situation évolue?
Prof. Caulfield : Vous avez raison, ce sujet me fascine.
Notre environnement informationnel chaotique (expression que je crois avoir déjà utilisée) commence à faire l’objet d’études vraiment intéressantes, notamment relatives à son impact sur notre façon d’interpréter l’information – c’est-à-dire interpréter le contenu publié dans les médias sociaux – et sur notre santé mentale (augmentation de l’anxiété) et nos décisions par rapport à la transmission de l’information.
Il y a une étude fascinante qui démontre qu’un cycle infernal est en train de se créer. Vous utilisez les médias sociaux comme source d’information et vous êtes constamment bombardé de nouvelles sur la pandémie (il pourrait s’agir aussi d’autres sujets liés à la santé, mais concentrons-nous sur la pandémie). Résultat : votre niveau d’anxiété et de stress augmente. Or, ce stress peut se répercuter sur votre capacité à évaluer critiquement l’information qui vous parvient dans un environnement informationnel chaotique. Certaines données laissent entendre que cela pourrait vous disposer à transmettre cette information.
Vous pouvez donc voir la dynamique de ce cycle infernal : nous transmettons de l’information, nous alimentons la machine qui génère davantage d’anxiété, et le cycle se répète. C’est pourquoi toute intervention mise en œuvre devrait viser à briser ce cycle, à amener les gens à réfléchir.
C’est exactement ce que j’essaie d’inviter les gens à faire dans mon nouveau livre. Je les renseigne sur ce que les données disent à ce sujet, mais j’aborde aussi tous les biais cognitifs qui sont en cause dans ce phénomène.
Nous possédons naturellement un biais négatif. Nous sommes programmés, enfin, ce terme n’est pas bien choisi, car la réalité est beaucoup plus complexe… L’humain semble prédisposé par l’évolution à réagir aux nouvelles négatives. Rien d’étonnant! Il est sage de se souvenir des mauvaises choses, mais cela n’est pas sans conséquence.
Par exemple, il existe une étude vraiment intéressante qui semble indiquer que les manchettes négatives ont plus de succès que les manchettes positives. Or, la même chose se produit dans notre tête. Nous possédons ce type de biais et aussi ce qu’on appelle le biais de disponibilité. Nous nous souvenons des événements dramatiques, et c’est une des raisons qui expliquent pourquoi les anecdotes et les témoignages sont souvent plus frappants que les données. Ainsi, vous allez vous souvenir de l’histoire de la personne qui a eu une réaction indésirable au vaccin contre la COVID, mais vous ne tiendrez pas compte de l’étude des CDC qui a analysé des millions et des millions de points de données. C’est l’anecdote qui l’emporte. Il est donc important d’être conscient de ces biais cognitifs.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais le dernier point que j’aimerais soulever est que cette situation nous rappelle l’utilité d’enseigner la pensée critique et d’inviter les gens à prendre une pause, à se détendre et à réfléchir. Mon collègue, Gordon Pennycook, à l’Université de Regina, qui a aussi obtenu du financement des IRSC au sein de notre équipe de recherche, a réalisé une étude qui a conclu que ce simple geste, d’inviter les gens à prendre une pause et à réfléchir, peut limiter la propagation d’information erronée. Je sais que cette solution semble beaucoup trop simple, mais il existe des données pour le prouver. Son approche a d’ailleurs été reproduite par d’autres laboratoires. Voilà un très bon exemple d’intervention fondée sur des données probantes. Il suffit de demander aux gens de réfléchir, de se détendre, de prendre une pause, et on peut ainsi réduire la propagation de la mésinformation.
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23:43 – Développement de carrière et importance des mentors
Dr Strong : Fantastique. Merci de ces explications. En vous écoutant, on sent clairement la passion qui vous anime. C’est très évident.
Une des raisons pour lesquelles nous avons créé la série À micro ouvert avec Mike est qu’il y a toute une génération derrière nous qui s’intéresse à la science. Je crois, et je l’entends certainement, que cet intérêt est plus vif maintenant. Je crains que toute une armée de virologue nous envahisse. L’intérêt est néanmoins pour la science. Cette passion que vous avez, d’où vous vient-elle?
Prof. Caulfield : Vous savez, on me pose souvent cette question. Je pense que j’ai toujours été un maniaque de science. J’ai toujours été obsédé par les données entourant des croyances particulières. Même lorsque j’étais enfant et que je croyais encore à certains trucs pseudoscientifiques, je me suis toujours intéressé à ce que disaient les données.
Lorsque je suis devenu professeur au début des années 1990, dès le tout début, je pensais que j’allais devenir un professeur de droit plutôt traditionnel. Mais d’emblée, j’ai pu compter sur des mentors fantastiques. Les mentors sont si importants. Bartha Maria Knoppers, la juge Ellen Picard et Gerald Robertson : ces personnes m’ont fait réaliser que je pouvais avoir la carrière universitaire que je voulais vraiment. Bartha est formidable à ce chapitre. Elle fut l’une des premières à croire en la possibilité d’avoir ces grandes équipes interdisciplinaires. Je me considère vraiment chanceux de l’avoir eue comme mentor, tout comme Ellen : un professeur de droit peut faire toutes ces choses.
J’ai donc eu la chance d’avoir dès le départ des mentors qui m’ont encouragé à faire ce qui me passionne. Si, comme moi, vous n’avez souvent pas les compétences méthodologiques voulues pour faire les choses qui vous intéressent, vous savez ce qu’il faut faire? Vous faites équipe avec quelqu’un, vous trouvez un ami ou un collègue qui fait ce qui vous intéresse, qui possède les compétences voulues pour le faire, et vous travaillez avec lui. C’est avant tout une expérience extraordinaire. C’est vraiment stimulant de travailler avec des collègues hors pair. Vous réunissez en outre toutes ces différentes disciplines. J’ai eu la chance de faire partie d’équipes formidables qui ont justement fait cela.
Comme je l’ai dit, à mes débuts, j’ai été un peu surpris lorsque j’ai commencé à travailler avec Bartha. Je me disais : « Quoi? Je peux…? C’est à ça que ma carrière peut ressembler? »
Je suis donc très reconnaissant d’avoir pu côtoyer ces personnes brillantes qui m’ont en quelque sorte tracé le chemin.
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26:10 – Un instant, n’étiez-vous pas dans un groupe musical?
Dr Strong : Vous savez, je trouve votre parcours fascinant. Votre carrière aurait pu être très différente. D’ailleurs, j’ai lu quelque part que vous avez fait partie d’un groupe punk rock, est-ce vrai?
Prof. Caulfield : C’est vrai. Oui, j’étais dans un groupe. Si vous m’aviez demandé, à l’âge de 20 ans ou même à l’âge de mes enfants aujourd’hui, ce que je voulais faire dans la vie, j’aurais répondu : « Je serai une vedette du rock »!
Pas un bon choix de carrière. Mais je m’étais rendu assez loin dans cette voie. Je ne me contentais pas de faire de la musique dans mon sous-sol. J’ai fait la première partie des Ramones. J’ai enregistré des albums. Je peux voir d’ici un de mes disques en vinyle. Nous voyagions partout au Canada.
Mais ma mère m’a joué un tour (repose en paix maman). Elle était très, très futée. Elle me disait : « Je vais te soutenir dans tout ce que tu veux faire, Timothy. Je vais te soutenir, mais promets-moi de décrocher un diplôme universitaire ». C’était ce qui l’importait : obtenir un diplôme universitaire. Je pourrais ensuite faire ce que je voulais. Mais je crois qu’elle savait que plus j’avancerais dans mes études, plus ma passion grandirait, et que je me rendrais compte que ce chemin était beaucoup plus réaliste que celui de vedette du rock.
Ce n’est pas facile, en passant, de gagner sa vie comme vedette du rock.
Dr Strong : Je crois qu’être un artiste dans n’importe quel domaine est très, très difficile en ce moment.
Avant de mettre fin à l’entretien, il y a toujours une question que j’aime poser à mes invités : si vous pouviez avoir une conversation avec quelqu’un ayant vécu à n’importe quelle époque, qui serait cette personne?
Prof. Caulfield : Oh! J’aimerais parler à Dwayne « The Rock » Johnson, mais je vais m’abstenir de le dire. C’est un gars qui me semble vraiment sympathique.
C’est un cliché. C’est un cliché, d’accord?
Darwin.
Et peut-être aussi Lincoln? Il y en a tellement. Lincoln serait fascinant.
Curie!
Oh, là, là... Où s’arrêter? Où s’arrêter?
Peut-être que je finirai par rencontrer The Rock.
Dr Strong : Vous savez quoi? Ce serait une rencontre fantastique.
Écoutez, Tim, nous avons passé un moment formidable. J’aimerais d’abord vous remercier de ce que vous faites. Je pense à tous les chercheurs, cliniciens-chercheurs ou praticiens qui doivent constamment s’assurer que les gens comprennent les vraies données. Ce travail accapare une part grandissante de leur temps. Le fait de savoir qu’il y a des gens qui disent aussi à toute la population « vous devez écouter ce que dit la science et voici ce qui se passe », c’est un très grand soulagement.
Alors au nom du milieu de la recherche, je tiens à vous dire merci.
J’ai hâte de pouvoir jaser de nouveau avec vous, peut-être autrement qu’à travers un écran, et je vous souhaite une bonne continuation.
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29:05 – Clôture et musique
Dr Strong : Alors voilà qui conclut une autre édition d’À micro ouvert avec Mike. Nous avons reçu aujourd’hui le professeur Tim Caulfield, que j’ai hâte de revoir.
À nos auditeurs, prenez soin de vous, protégez-vous, et je vous redonne rendez-vous très, très bientôt. Bonne journée.
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