Entendre nos voix : comment un programme d'étude sur le Web mène à de meilleurs soins

Au cours de son programme de résidence de cinq ans en obstétrique et gynécologie à l’Université de Toronto, la Dre Naana Afua Jumah a constaté qu’il manquait quelque chose.

Quelques années auparavant, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada avait reconnu la nécessité que de tels programmes comprennent une formation en santé des Autochtones. Pour atteindre l'objectif général d'améliorer les résultats sanitaires de cette population à travers le pays, il a même obligé l'inclusion de ce type d'enseignement dans les études supérieures, mais le programme de la Dre Jumah à l'Université de Toronto était dépourvu de ce volet. Et il s'est avéré que cet établissement n'était pas le seul dans cette situation.

En 2012, la Dre Jumah a réalisé un sondage auprès des résidents et des directeurs des programmes d'obstétrique et de gynécologie agréés du Canada afin de déterminer l'ampleur de cette lacune éducative. Publiés en 2013 (en anglais seulement), les résultats montrent clairement que les résidents possédaient de vastes connaissances sur des problèmes propres à des maladies, « mais ils ne savaient pas pourquoi les femmes autochtones obtenaient de moins bons résultats cliniques », explique la Dre Jumah, qui est maintenant obstétricienne-gynécologue au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay et professeure adjointe à l'École de médecine du Nord de l'Ontario. « Et c'est une constatation cruciale, car c'est à ce stade que les déterminants sociaux de la santé entrent en ligne de compte. »

La bonne nouvelle, c'est que les résidents voulaient en savoir davantage et les directeurs de programme tenaient à fournir la formation appropriée. Néanmoins, la lacune persistait parce qu'un programme d'étude normalisé sur les déterminants sociaux de la santé génésique des femmes autochtones n'existait pas et qu'aucune des personnes sondées n'estimait posséder l'expertise ou les ressources pour en créer un.

Ne se laissant pas décourager, la Dre Jumah a décidé de donner suite aux résultats du sondage et d'amorcer un processus d'élaboration du programme visant à répondre à ce besoin manifeste. Cependant, l'argent se faisait rare, de nombreuses organisations ayant refusé de financer le projet. En outre, la docteure a dû faire face à une farouche résistance de la part de personnes qui demandaient pourquoi elle voulait se concentrer sur les femmes autochtones plutôt que sur d'autres groupes.

Créer un programme d’étude transférable

« Cela s'est passé avant la Commission de vérité et réconciliation [CVR] et l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées [FFADA]. Par conséquent, la santé des Autochtones ne bénéficiait pas de l'élan ni de l'intérêt qu'on commence à constater maintenant », explique la Dre Jumah. « Bien entendu, il importe de disposer de programmes d'études qui soient axés sur d'autres groupes, comme les musulmanes ou les immigrants, et leurs besoins en santé, mais les femmes autochtones sont, elles aussi, importantes en soi et l'ont toujours été. »

La persistance de la Dre Jumah a porté fruit. Elle a finalement pu obtenir un financement sous la forme d'une subvention de la Northern Ontario Academic Medicine Association. Cet argent lui a permis de réunir un groupe de représentantes d'organisations de femmes autochtones d'un océan à l'autre. Bien qu'elle ait été l'instigatrice et l'organisatrice du projet, la Dre Jumah insiste pour dire que les principales composantes du programme d'étude proviennent des femmes autochtones elles-mêmes.

« Ce qui est incroyable à propos de la manière dont le programme a été conçu et structuré, c'est que tout tourne autour d'une introspection critique et d'une compréhension des relations de l'intervenant avec les femmes autochtones », explique-t-elle. « Il s'agit de se rendre compte que le vécu d'une personne et son expérience avec les Autochtones — qu'elle soit directe ou influencée par ce qu'elle a vu et entendu dans les médias, à la télévision ou en ville — ont une incidence sur ses interactions avec les femmes autochtones. »

La Dre Jumah insiste sur le fait que c'est cet aspect du programme d'étude qui le rend très transférable, car il peut être facilement adapté et appliqué à d'autres contextes.

« Il s'agit pour les gens de penser au patient qui se trouve devant eux et de jeter un regard critique pour comprendre leurs rapports avec cet individu et la manière dont leur expérience personnelle a influencé leur contribution à cette relation. Cette démarche ne s'applique pas seulement aux femmes autochtones ou à la santé génésique », ajoute-t-elle. « Elle s'applique à tous les aspects de la médecine. »

Cette transférabilité signifie que le programme convient aux fournisseurs de soins — comme les médecins, les infirmières, les pharmaciens et les premiers intervenants —, mais qu'il est également utile pour les travailleurs sociaux, les responsables des politiques, les administrateurs de programme et tout membre du personnel des cliniques qui échange régulièrement avec les patients, étant donné qu'il est axé sur l'établissement de relations et non spécifiquement sur la médecine.

Intitulé Hearing Our Voices: An Indigenous Women's Reproductive Health Curriculum (en anglais seulement), le programme a été officiellement lancé le 1er octobre 2019. Il s'est révélé très populaire jusqu'à présent. Les données recueillies serviront à évaluer son efficacité comme outil d'enseignement offert sur le Web. Entre-temps, l'équipe est en train de faire agréer le programme pour les professionnels de la santé. Le site Web sera remanié pour être en mesure de soutenir l'initiative à long terme.

« Ce projet a été absolument palpitant », admet la Dre Jumah. « Il me tient beaucoup à cœur parce que la majorité de mes patientes en obstétrique et en gynécologie sont des femmes autochtones. Je voulais que cette formation soit disponible pour tous mes collègues, dans le sens le plus large du terme, afin que nous soyons tous en mesure d'offrir de meilleurs soins. Ainsi, je fais tout en mon possible pour être une alliée de ces femmes qui me consultent et pour défendre leurs intérêts en leur nom. J'espère que cette intervention aura des répercussions au-delà des relations immédiates que mes patientes ont avec moi. »

Le téléapprentissage engendre un soutien local

La Dre Jumah cherche également à transformer les soins de santé génésique prodigués aux femmes autochtones d’autres manières. Par exemple, en prenant part au programme de travailleuse de soutien mère-enfant, cours de formation destiné aux femmes autochtones vivant dans les réserves du Nord de l’Ontario, elle aide les participantes à acquérir des compétences qui leur permettent de travailler auprès des nouvelles mères et de leurs nourrissons et de leur offrir des soins de base dans leur collectivité.

Comme les participantes habitent des régions éloignées, le programme a été conçu afin d’être offert par téléconférence et WebEx, même avant l’apparition de la pandémie de COVID-19. Grâce à cette formule, les participantes n’ont pas à quitter leur famille, leur communauté ou leur travail régulier pendant des mois pour suivre la formation.

Les diplômées ont reçu un certificat et un crédit de niveau collégial, ce qui s’est révélé un tremplin crucial pour au moins deux d’entre elles, qui avaient décidé de poursuivre leur formation. Le crédit a comblé le fossé qui aurait autrement empêché ces femmes d’être admissibles à d’autres programmes. Il s’agit là d’une approche flexible qui, de l’avis de la Dre Jumah, est absolument nécessaire pour s’attaquer à la sous-représentation des Autochtones dans les études supérieures.

« Si l’on peut trouver des moyens de reconnaître que ces personnes sont intelligentes et réfléchies, elles sont alors en mesure de reprendre leurs études et leur formation — mais tout simplement en empruntant une autre porte », indique-t-elle. « En tant qu’universitaires, chercheurs et responsables des politiques, nous devons réfléchir sérieusement à cette question. Au lieu de dresser des obstacles en s’attendant que les gens suivent des parcours traditionnels vers l’enseignement supérieur, le temps est venu d’envisager d’autres moyens et d’autres systèmes de soutien afin de permettre aux gens de réussir. »

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