COVID-19

PUPPY et l’amélioration des soins de première ligne durant la pandémie : une étude qui a du chien

Dre Emily Gard Marshall
Mme Sarah Peddle
Mme Ana Correa

Au Canada, demandez à quelqu'un son avis sur le système de santé, et il vous le donnera – avec témoignage à l'appui.

« On ne compte plus les sondages qui montrent que les Canadiens tiennent à leur système de santé universel et le voient comme un bien public dont chacun devrait se soucier, indique la Dre Emily Gard Marshall, professeure agrégée au département de médecine familiale de l'Université Dalhousie. Ça ne veut pas dire que le système est parfait pour autant. Nous savons qu'il y a des dossiers problématiques, des écarts entre les provinces et territoires, et des points à améliorer. »

Par exemple, beaucoup de gens connaissent une personne qui n'a pas accès à des services de médecine familiale et ne peut bénéficier du suivi d'un médecin ou d'un infirmier praticien. Le problème est rendu si criant que sept provinces ont créé des listes d'attente centralisées pour les « patients orphelins », soit les personnes sans fournisseur de soins de première ligne attitré. Les provinces utilisent différentes stratégies pour la gestion de ces listes, allant du classement prioritaire des patients selon leurs besoins à l'offre d'incitatifs financiers aux fournisseurs de soins, mais on ne sait toujours pas quelles stratégies donnent les meilleurs résultats.

« C'est là tout l'intérêt de la recherche, poursuit la Dre Marshall. Il faut des données probantes pour s'assurer de prendre les bonnes décisions au sujet de notre système de santé. Le système n'est pas statique; nous pouvons l'adapter. Mais il y a mille et une choses à considérer en vue d'optimiser l'efficacité des différents systèmes provinciaux et niveaux de soins. Et les études nous aident à déterminer quelles approches combiner pour y parvenir. »

La Dre Marshall s'apprêtait à mener une étude attendue sur ces listes d'attentes en soins de première ligne quand la pandémie de COVID-19 est venue bouleverser ses plans, comme ce fût le cas avec tant d'autres aspects de nos vies.

« Nous étions sur le point de mener des entrevues sur l'amélioration des soins de première ligne, mais il semblait absurde de le faire à ce moment… à moins de s'intéresser aussi aux répercussions de la pandémie, se souvient-elle. Nous avons dû prendre du recul pour repenser l'étude dans le contexte de la COVID-19. Nous voulions aussi examiner les perturbations occasionnées en soins de première ligne. L'équipe et la volonté étaient au rendez-vous, mais il a fallu se virer sur un 10 cents pour intégrer un certain nombre de nouveaux facteurs. »

La démarche a mené la Dre Marshall et son équipe à lancer un projet d'un an : l'étude PUPPY (de l'anglais Problems Coordinating and Accessing Primary Care for Attached and Unattached Patients in a Pandemic Year). L'étude porte sur les problèmes de coordination et d'accessibilité des soins de première ligne durant la pandémie, pour les patients, orphelins ou non, de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario et du Québec. Une série d'entrevues et de sondages permettra la collecte de données sur les différentes expériences des patients, des fournisseurs de soins de première ligne (dont les médecins de famille, les infirmières praticiennes et les pharmaciens) et des responsables des politiques.

« On a vu beaucoup de grands changements s'opérer très vite en soins de première ligne cette année, explique la Dre Marshall. Les consultations virtuelles devenaient tout à coup une option. Par contre, de nombreuses cliniques sans rendez-vous ont dû fermer ou transformer leurs pratiques de triage. Les pharmacies devaient, quant à elle, limiter les interactions avec les patients pour respecter les mesures de santé publique. Bref, les voies d'accès aux soins et les modes de prestation ont changé, et c'est ce qui nous intéresse. Qu'est-ce qui a bien ou moins bien fonctionné? Quelles pratiques valent la peine d'être conservées avec quelques ajustements? »

L'expérience patient est aussi un élément central de l'étude. En effet, les patients partenaires sont considérés comme des membres à part entière de l'équipe de recherche, c'est-à-dire qu'ils discutent des approches de recrutement des patients, donnent leurs impressions sur les premières versions des sondages et des guides d'entrevue, cosignent des articles et contribuent à diffuser les conclusions de manière à ce qu'elles profitent à différents publics.

« J'ai été patiente orpheline et j'ai eu un médecin de famille, et je crois que ces expériences, combinées à celle de défenseure des soins pour plusieurs proches, m'ont permis de voir le système de santé sous plusieurs angles, affirme Sarah Peddle, l'une des patientes partenaires de l'étude. Certains de mes amis et proches ont eu besoin d'aller chercher des soins cette année, et j'ai été directement témoin du stress et de l'anxiété que la COVID-19 est venue ajouter au processus. Je vois le potentiel qu'a cette étude de façonner les pratiques et les politiques en santé, donc je suis heureuse qu'elle tienne compte de la voix des patients – en partie grâce à des témoignages comme le mien. »

Ana Correa, une autre patiente partenaire de l'équipe, est d'accord : « Je pense que l'implication des patients peut donner une nouvelle direction à la recherche. Leur voix doit trouver écho dans la recherche pour que celle-ci compte pour eux. »

En rassemblant tous ces points de vue, l'équipe pourra mieux comprendre les lacunes dans l'accès aux soins de première ligne et les expériences associées. Elle pourra ensuite compléter cette information en analysant les données sur la facturation et les listes d'attentes pour des soins de première ligne de chaque province participante. Les deux ensembles de données sont compatibles pour les provinces en question; l'équipe sera donc en mesure d'étudier les parcours des patients orphelins et des patients ayant un médecin de famille pour connaître leurs moyens d'accéder aux soins avant la pandémie, pendant la période de confinement et après le déconfinement.

« Pour les patients orphelins, par exemple, comment ont-ils réussi à faire renouveler leurs ordonnances quand le confinement était à son plus sévère? Ont-ils arrêté leurs médicaments? Se sont-ils rendus à l'urgence? Les données recueillies nous permettront de le savoir, explique la Dre Marshall. On s'intéresse aussi aux patients, orphelins ou non, qui ont des troubles précis. On pourra avoir une idée de la façon dont les patients atteints de diabète, de troubles de santé mentale ou d'insuffisance cardiaque congestive, par exemple, ont obtenu des soins pendant la pandémie. »

Enfin, l'équipe prévoit examiner les politiques mises en place dans chaque province pour répondre aux besoins des citoyens. Avec cet examen, les entrevues, les sondages et les données provinciales, l'équipe de l'étude PUPPY aura une vision très complète de l'état des soins de première ligne dans chaque province participante. Une fois ces riches données en main, elle espère trouver des moyens de renforcer les soins de première ligne pendant la pandémie de COVID-19 et par la suite.

« C'est complexe, mais c'est excitant, confie la Dre Marshall. Toutes les personnes impliquées veulent vraiment améliorer les choses, et j'adore que la recherche nous donne une manière de rassembler différents acteurs pour y arriver. »

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