COVID-19

À bon chat, bon rat : un médicament contre le coronavirus félin pourrait être efficace contre la COVID-19 chez les humains

Dre Joanne Lemieux

Il y a plusieurs années, la Dre Joanne Lemieux travaillait dans un laboratoire de recherche sur le coronavirus responsable de la crise du SRAS de 2003. Si elle n’a pas elle-même étudié le virus à l’époque, la chercheuse s’est tout de même familiarisée avec le travail de ses collègues, qui portait sur une protéine impliquée dans la réplication du virus.

Plus précisément, ses collègues testaient des « inhibiteurs » capables d’empêcher l’utilisation de ladite protéine par le virus. Ce type d’étude est fondamental puisque sans la protéine, le virus n’arrive pas à se répliquer et donc à infecter de nouvelles cellules. La recherche de moyens pour entraver la réplication est d’ailleurs la pierre angulaire de la recherche sur les médicaments antiviraux, car la mise en échec de la réplication signifie également celle de l’infection.

Aujourd’hui biologiste structurale à la tête de son propre laboratoire à l’Université de l’Alberta (en anglais seulement), la Dre Lemieux étudie les protéases, des enzymes qu’utilisent les cellules humaines pour dégrader les protéines à différentes fins. Les protéases sont hautement précises et coupent une protéine à un certain endroit, afin que les fragments engendrés servent à créer de nouvelles structures (un peu comme la coupe de morceaux de tissus pour créer une courtepointe). Si une protéase ne fonctionne pas comme elle le devrait, elle peut mener à une maladie. Les protéases se révèlent donc un sujet d’étude pertinent pour la mise au point de médicaments en raison de leurs bienfaits potentiels : la réparation d’une enzyme défaillante pourrait être bénéfique pour la santé, ou, dans le cas d’une infection virale, le blocage de la fonction d’une enzyme pourrait carrément empêcher la réplication du virus.

Le milieu scientifique donne sa pleine mesure lorsqu’il mise sur la multidisciplinarité, et c’est une combinaison des expériences passées et de la spécialité actuelle de la Dre Lemieux qui l’a menée à explorer la mise au point de ce type d’agent antiviral.

À l’époque où ses collègues testaient des inhibiteurs pour combattre le SRAS, celui-ci ne constituait pas une menace mondiale pour la santé publique, et le SRAS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, n’avait pas encore fait son apparition. Les chercheurs avaient toutefois un autre coronavirus dans leur ligne de mire : le coronavirus entérique félin (FECV) responsable de la péritonite infectieuse féline (PIF), une infection mortelle chez les chats. En modifiant légèrement les composés chimiques utilisés pour le SRAS, l’équipe a mis au point un médicament efficace qui leur a permis d’inhiber la réplication du virus causant la PIF et de guérir la quasi-totalité des chats dans l’étude.

La Dre Lemieux dirige maintenant une équipe composée de chimistes et d’un virologue de l’Université de l’Alberta, qui tente de déterminer si le médicament utilisé contre l’infection féline pourrait servir au traitement de la COVID-19 chez les humains. L’équipe fait actuellement l’essai du médicament sur des cellules infectées par le SRAS-CoV-2 pour vérifier s’il arrive à empêcher la réplication du virus. Dans le cadre de ce processus intensif, l’équipe analyse les structures tridimensionnelles des composés chimiques et la façon dont elles font (littéralement) obstacle au virus en l’empêchant de dégrader et d’utiliser la protéine sur laquelle il compte normalement pour se répliquer. À la fin avril 2020, les données préliminaires étaient prometteuses et, comme l’innocuité du médicament est déjà prouvée chez les animaux, la Dre Lemieux espère passer aux essais cliniques sur les humains.

La biologiste se dit encouragée par l’intérêt que porte le grand public à la science derrière les traitements potentiels contre la COVID-19 et veut lui assurer qu’il place sa confiance au bon endroit. « On étudie les virus depuis des décennies », explique-t-elle en rappelant l’importance de soutenir et de maintenir des recherches rigoureuses en tout temps, et non seulement lors d’une pandémie. « Même si le SRAS-CoV-2 est une nouvelle forme, les scientifiques savent quoi faire, quoi étudier dès maintenant, et ils y travaillent. »

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