À micro ouvert avec Mike no 2 : La réconciliation par la recherche avec le Dr Jonathan Dewar

Dans cet épisode de la série À micro ouvert, le Dr Michael Strong, président des IRSC, s’entretient avec le Dr Jonathan Dewar, directeur général du Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Ils discutent de culture, de communauté et d’érudition autochtone.

Transcription

Dr Michael Strong : Bienvenue dans ce nouvel épisode de « À micro ouvert avec Mike ». Premièrement, je suis ravi de l’accueil enthousiaste qu’a reçu cette initiative. L’équipe et moi, on adore recevoir vos commentaires. On a hâte de parcourir le Canada pour échanger avec vous. Votre avis compte beaucoup pour nous. Merci!

Aujourd’hui, on vous réserve quelque chose de très spécial. On parle Premières Nations avec Jonathan Dewar. Plus précisément, on traite des questions autochtones et de leur incidence dans la recherche en santé. J’y reviens dans une minute. Pour l’instant, direction : les bureaux. On s’en va prendre un café et parler de tout ça. Voyons ce que ça veut vraiment dire, entre autres, de composer avec les notions de vérité et de réconciliation et d’en tenir compte dans le domaine de la recherche. Par ici!

Bienvenue au Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Voici le Dr Jonathan Dewar. Jon, on va discuter dans un instant, mais d’abord, merci de nous accueillir sur ces terres traditionnelles du peuple anishinaabe. C’est un véritable honneur de pouvoir se joindre à vous aujourd’hui. On avait très hâte. Comme vous le savez, comme dans nos autres vidéos, ce qu’on aimerait savoir, c’est comment vous en êtes arrivé là où vous êtes aujourd’hui? Votre parcours professionnel est extraordinaire. J’aimerais qu’on en parle un peu et que vous nous disiez ce qui vous attend à partir de maintenant.

Dr Jonathan Dewar : Bien sûr.

Dr Michael Strong : Peut-être que vous pourriez commencer par vous présenter un peu et par parler de votre cheminement fascinant.

Dr Jonathan Dewar : Avec plaisir. Je m’appelle Jonathan Dewar, et je suis directeur général du Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Mon dernier emploi représente bien mon cheminement professionnel, je crois… Je vais vous en parler un peu dans quelques minutes. Ça fait 18 mois que j’occupe cet emploi passionnant. Mais je pense qu’on va revenir plus tard à ce que je fais ici grâce à l’incroyable réseau de gens de partout au pays, à ceux qui font le vrai travail. Moi, je signe la paperasse. Ça vous dit peut-être quelque chose?

Dr Michael Strong : Oui, tout à fait.

Dr Jonathan Dewar : Donc, comment j’ai abouti ici? Si vous m’avez déjà entendu parler de mes travaux, ou si vous les avez lus… Mon histoire, je crois, est centrale dans mes travaux. Pour moi, la question de la « posture » du chercheur est très importante. La plupart du temps, quand j’explique la mienne, je commence par une histoire très personnelle sur la naissance de mon intérêt pour ce qui touche les Premières Nations et les peuples autochtones en général, au Canada comme ailleurs dans le monde.

Quand j’étais enfant, je savais que le père de ma grand-mère maternelle, mon arrière-grand-père, venait de la communauté de Wendake de la Première Nation huronne-wendat, au Québec. Mais ma grand-mère et ses frères et sœurs sont des produits de leur époque : leurs liens à leur culture et à leur communauté ont été coupés. Ma mère et ses sœurs ont donc grandi sans attache à tout ça. C’est la même histoire pour beaucoup de personnes métissées qui, comme moi, ont été initiées à ces enjeux dans une démarche très personnelle. L’histoire de ces ruptures de liens, pour certains, est bouleversante : pensionnats, rafle des années 60, dépossession, déplacement, émancipation, tout ça. Ça fait partie de mon histoire et de l’histoire de ma famille.

Mais j’ai fait partie des chanceux de ma génération : j’ai grandi dans une famille qui parlait ouvertement de mon arrière-grand-père et qui en était très fière. On commençait toujours par dire qu’il avait grandi dans la réserve, qu’il l’avait quittée et qu’il avait réussi dans la vie. Quand je suis né, le plus jeune de tous mes cousins, ma famille parlait fièrement de ses réalisations. Et pour cause : il a fini par travailler pour le premier ministre Louis Saint-Laurent.

Dr Michael Strong : Pas mal du tout!

Dr Jonathan Dewar : Mon arrière-grand-père était son chauffeur, quand M. Saint-Laurent était avocat. Il est ensuite devenu son messager. Bien avant les courriels, c’était mon arrière-grand-père qui livrait le courrier de M. Saint-Laurent. Quand ce dernier est devenu premier ministre, mon arrière-grand-père l’a suivi sur la Colline. C’était « l’Indien de la Colline ».

Dr Michael Strong : C’était quand, ça?

Dr Jonathan Dewar : Il a pris sa retraite en 1955 ou 1956, à 70 ans. Ça fait assez longtemps!

Dr Michael Strong : Il était donc là quand beaucoup de nos politiques en santé, entre autres, ont été élaborées et sont entrées en vigueur.

Dr Jonathan Dewar : Oui, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a activement pris part aux processus décisionnels.

Dr Michael Strong : Non, je comprends, mais il était sur place à l’époque.

Dr Jonathan Dewar : Il a peut-être assisté à certaines de ces rencontres ou il se tenait tout près. En tout cas, ce poste qu’il a occupé rendait ma famille très fière. Contrairement à beaucoup de familles qui… Les gens ressentaient une certaine honte quant à la perte du lien avec leur culture et avec leur communauté; ils ne savaient pas comment le rétablir. J’ai eu de la chance : dans ma famille, on avait un lien et on en était fiers, même si ça ne reposait pas sur beaucoup de connaissances. Ça a piqué mon intérêt d’enfant, et je me suis lancé là-dedans avec beaucoup de naïveté. Je me suis donc lancé dans une quête un peu stéréotypée de mes racines. Qu’on soit Canadien français ou Canadien d’origine italienne ou écossaise – ou, dans mon cas, issu de l’une des Premières Nations – on se crée des idéaux romancés qu’on explore et qui se retrouvent dans une partie de ce qu’on fait. Moi, j’ai exploré tout ça dans la culture populaire, puis dans les arts, plus particulièrement dans la littérature.

J’ai commencé ma carrière universitaire en littérature. J’ai fait une maîtrise en création littéraire et concentré mes lectures et mes propres écrits sur l’exploration de la culture et de la communauté. Encore, il y a 25 ans, il y avait une certaine naïveté dans ce que je faisais. J’ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont prêté main-forte au fil du temps; j’ai fait de formidables découvertes et trouvé comment les intégrer convenablement à mon discours… Je sentais que je faisais vraiment partie de la communauté. Mais au bout d’un moment, certaines des choses que j’avais apprises m’ont fait douter de la voie que j’avais choisie. Une carrière universitaire ne me semblait plus être la meilleure manière de satisfaire mes intérêts : je voulais désormais servir la communauté et assumer une certaine responsabilité à son égard.

Dr Michael Strong : Et ça remonte à quand, cette réflexion? Beaucoup des chercheurs à qui on parle disent qu’ils avaient à peine 10 ou 12 ans quand ils ont eu la piqûre de leur domaine… Les arts et la littérature, la ligne est mince, en quelque sorte… C’est un goût acquis. Mais on dirait que pour vous, c’est arrivé très tôt. Comment ça s’est fait?

Dr Jonathan Dewar : Vous savez, la littérature et les arts en général ont été un peu ma porte d’entrée. Quand j’étais jeune, j’adorais lire, j’adorais écrire, et j’ai eu la grande chance d’avoir des parents qui ont beaucoup encouragé cette passion. C’est comme ça que je me suis lancé. Malgré tout, dans toute ma naïveté, j’avais eu l’impression d’apprendre quelque chose par l’entremise de cette œuvre de fiction. J’ai compris pour la première fois que les œuvres permettaient d’explorer l’idée du lien, les manières avec lesquelles les artistes l’exploitent et la réception des œuvres par un public qui, peut-être, se reconnaît dans ce cheminement.

J’ai compris ça vers le milieu ou la fin de l’adolescence. J’ai ensuite quitté la maison pour aller au Darthmouth College, dans le New Hampshire. J’aimais beaucoup le fait que la vocation originale de l’établissement était d’instruire les Autochtones. J’ai choisi cet établissement entre autres pour faire de la recherche en études autochtones. Mais des soucis financiers ont fini par me ramener au Canada après un an. J’ai terminé mon baccalauréat en littérature ici, à l’Université d’Ottawa, en m’efforçant de travailler sur la littérature autochtone (qu’on appelait littérature amérindienne au début des années 1990). Cela dit, je n’avais pas beaucoup d’occasions de travailler en ce sens à l’Université d’Ottawa. C’est en assistant à des congrès et en participant à d’autres évènements littéraires du genre que j’ai rencontré une brillante et extraordinaire communauté d’universitaires dont les membres, autochtones et non autochtones, travaillaient main dans la main pour mettre de l’avant la littérature autochtone. C’est avec eux que je me suis dit : « le voici, mon lien. Ces personnes ont des choses à m’apprendre ».

Dr Michael Strong : L’impression que j’ai eue en parlant à mes amis et à mes collègues des Premières Nations est que cette culture s’est beaucoup enrichie dans les 30 dernières années. Est-ce que ça veut dire que c’est plus facile pour un jeune qui aimerait tisser des liens avec sa culture? Arts, littérature, théâtre, vidéo, peu importe. Est-ce que vous avez l’impression que c’est moins difficile aujourd’hui que dans votre temps?

Dr Jonathan Dewar : Il y a une partie de la question à laquelle je ne peux pas répondre. Je ne peux pas le savoir, je ne suis plus jeune. Mais j’imagine que, d’une certaine manière, ça peut être plus facile parce qu’il y a plus d’options. On n’a qu’à regarder les programmes d’études autochtones qui sont apparus un peu partout dans les établissements d’enseignement postsecondaire au fil des années. Il y a plus de possibilités que quand j’étais étudiant de premier cycle, quand il n’y avait aucun cours sur le sujet puisque le programme était axé sur le canon littéraire. Beaucoup plus de possibilités. Malgré cela, je n’oserais jamais juger de la difficulté du parcours personnel de qui que ce soit qui découvre son lien à la communauté. Nous n’avions pas les médias sociaux, dans le temps. Aujourd’hui, les conversations et les échanges de points de vue peuvent se faire instantanément sur ces plateformes. Mais ce n’est pas toujours facile. Des gens ont été ouvertement critiqués, et peut-être pas toujours à tort. Ça fait partie de la vie en communauté, qu’on parle d’une communauté autochtone en particulier ou d’une plus grande communauté d’intérêts. Il faut être ouvert à la critique.

Dr Michael Strong : Vous soulevez un point très intéressant, et ce n’est pas le premier. « Communauté »… Je pense que pour moi et mes collègues non autochtones, c’est une notion difficile à comprendre. Qu’est-ce qu’on entend par là, qu’on parle de petites communautés, de communautés familiales, des Premières Nations au sens large, de communautés autochtones ou de communauté entière?

Dr Jonathan Dewar : Eh bien… Vous remarquerez que beaucoup de personnes, comme moi, utilisent un langage très précis pour définir leur posture et décrire leurs liens. Je suis très fier du lien qui m’unit à ma grand-mère, évidemment, et, de son côté, un véritable lien l’unit à sa communauté. Cela dit, mon rapport à cette communauté n’est pas le même que le sien. Je n’oserais jamais dire que je suis de la Nation huronne-wendat, puisque j’en suis coupé depuis deux bonnes générations.

Les gens comme moi parlent la langue d’une diaspora et ont une identité métissée; nous ne sommes pas issus des Premières Nations. Selon moi, il faut réfléchir à ces nuances et poser un regard critique sur la posture que l’on adopte. Moi, je suis à l’aise de dire que je suis métissé, que j’ai des racines des Premières Nations, d’une Nation précise. J’établis clairement ce que ce lien signifie pour moi. Quand des Autochtones me demandent d’où je viens, surtout quand ils sont des Premières Nations, ce qu’ils veulent savoir, c’est de quelle communauté je viens. Le lien à la communauté est très concret.

Dr Michael Strong : C’est une question d’ordre géographique, donc?

Dr Jonathan Dewar : Eh bien, on est d’une « Nation », puis d’une communauté distincte au sein de cette nation. Les gens veulent aussi savoir, êtes-vous membre de la communauté ou citoyen de la Nation? Ça peut teinter les échanges. C’est très important pour les chercheurs. Si vous faites partie d’une communauté en particulier et que vous choisissez d’y mener des travaux, la relation change énormément. Ça peut être un exercice d’une richesse inouïe, mais c’est aussi très difficile. Cela dit, si vous ne faites pas partie de la communauté, même si vous êtes issu des Premières Nations, vous êtes un étranger. Ça change la donne. Ce n’est pas la même posture ni la même manière de penser, et il faut se questionner sur les notions de responsabilité et d’autorité.

Dr Michael Strong : C’est génial pour les jeunes Autochtones qui cherchent leur voie en ce moment. Ils ont l’option de se tourner vers les études autochtones. Magnifique, non? Ils n’ont pas à se détacher de leur communauté. C’est bien ça?

Dr Jonathan Dewar : J’espère qu’ils n’ont pas à le faire. Je trouve qu’on a fait beaucoup de chemin. Je pense que les jeunes et les moins jeunes… Il y a des gens qui font ce cheminement tard dans leur vie. Vous savez, depuis quelques mois, on parle de la rafle des années 60 dans les nouvelles nationales… Les personnes qui ont été adoptées à l’époque ne sont plus jeunes du tout, mais certaines sont en train de découvrir leurs racines. J’ai des amis dans cette situation. Ils font un cheminement semblable au mien, mais beaucoup plus complexe et profond, et ils le font dans la quarantaine, la cinquantaine, la soixantaine… Alors, parlons des jeunes, oui, mais pas seulement.

Je pense que chacun doit passer par un processus personnel pour comprendre son appartenance, et que ça peut être extrêmement difficile. Il faut donner beaucoup de latitude aux gens qui sont en train de le vivre et, au bout du compte, le mot d’ordre qu’on ne doit jamais perdre de vue, c’est « responsabilisation ».

Dr Michael Strong : Jonathan, merci pour ce fantastique entretien!

Dr Jonathan Dewar : De rien.

Dr Michael Strong : On pourrait continuer une bonne heure. L’occasion se présentera peut-être un jour. D’ici là, merci de votre témoignage. C’est très apprécié. Prenez soin de vous.

Écoutez l'entrevue complète

Écoutez l'entrevue ici ou sur Apple Podcasts, Google Podcasts ou Spotify.

Transcription

Dr Michael Strong : Bienvenue dans ce nouvel épisode de « À micro ouvert avec Mike ». Premièrement, je suis ravi de l’accueil enthousiaste qu’a reçu cette initiative. L’équipe et moi, on adore recevoir vos commentaires. On a hâte de parcourir le Canada pour échanger avec vous. Votre avis compte beaucoup pour nous. Merci!

Aujourd’hui, on vous réserve quelque chose de très spécial. On parle Premières Nations avec Jonathan Dewar. Plus précisément, on traite des questions autochtones et de leur incidence dans la recherche en santé. J’y reviens dans une minute. Pour l’instant, direction : les bureaux. On s’en va prendre un café et parler de tout ça. Voyons ce que ça veut vraiment dire, entre autres, de composer avec les notions de vérité et de réconciliation et d’en tenir compte dans le domaine de la recherche. Par ici!

Bienvenue au Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Voici le Dr Jonathan Dewar. Jon, on va discuter dans un instant, mais d’abord, merci de nous accueillir sur ces terres traditionnelles du peuple anishinaabe. C’est un véritable honneur de pouvoir se joindre à vous aujourd’hui. On avait très hâte. Comme vous le savez, comme dans nos autres vidéos, ce qu’on aimerait savoir, c’est comment vous en êtes arrivé là où vous êtes aujourd’hui? Votre parcours professionnel est extraordinaire. J’aimerais qu’on en parle un peu et que vous nous disiez ce qui vous attend à partir de maintenant.

Dr Jonathan Dewar : Bien sûr.

Dr Michael Strong : Peut-être que vous pourriez commencer par vous présenter un peu et par parler de votre cheminement fascinant.

Dr Jonathan Dewar : Avec plaisir. Je m’appelle Jonathan Dewar, et je suis directeur général du Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Mon dernier emploi représente bien mon cheminement professionnel, je crois… Je vais vous en parler un peu dans quelques minutes. Ça fait 18 mois que j’occupe cet emploi passionnant. Mais je pense qu’on va revenir plus tard à ce que je fais ici grâce à l’incroyable réseau de gens de partout au pays, à ceux qui font le vrai travail. Moi, je signe la paperasse. Ça vous dit peut-être quelque chose?

Dr Michael Strong : Oui, tout à fait.

Dr Jonathan Dewar : Donc, comment j’ai abouti ici? Si vous m’avez déjà entendu parler de mes travaux, ou si vous les avez lus… Mon histoire, je crois, est centrale dans mes travaux. Pour moi, la question de la « posture » du chercheur est très importante. La plupart du temps, quand j’explique la mienne, je commence par une histoire très personnelle sur la naissance de mon intérêt pour ce qui touche les Premières Nations et les peuples autochtones en général, au Canada comme ailleurs dans le monde.

Quand j’étais enfant, je savais que le père de ma grand-mère maternelle, mon arrière-grand-père, venait de la communauté de Wendake de la Première Nation huronne-wendat, au Québec. Mais ma grand-mère et ses frères et sœurs sont des produits de leur époque : leurs liens à leur culture et à leur communauté ont été coupés. Ma mère et ses sœurs ont donc grandi sans attache à tout ça. C’est la même histoire pour beaucoup de personnes métissées qui, comme moi, ont été initiées à ces enjeux dans une démarche très personnelle. L’histoire de ces ruptures de liens, pour certains, est bouleversante : pensionnats, rafle des années 60, dépossession, déplacement, émancipation, tout ça. Ça fait partie de mon histoire et de l’histoire de ma famille.

Mais j’ai fait partie des chanceux de ma génération : j’ai grandi dans une famille qui parlait ouvertement de mon arrière-grand-père et qui en était très fière. On commençait toujours par dire qu’il avait grandi dans la réserve, qu’il l’avait quittée et qu’il avait réussi dans la vie. Quand je suis né, le plus jeune de tous mes cousins, ma famille parlait fièrement de ses réalisations. Et pour cause : il a fini par travailler pour le premier ministre Louis Saint-Laurent.

Dr Michael Strong : Pas mal du tout!

Dr Jonathan Dewar : Mon arrière-grand-père était son chauffeur, quand M. Saint-Laurent était avocat. Il est ensuite devenu son messager. Bien avant les courriels, c’était mon arrière-grand-père qui livrait le courrier de M. Saint-Laurent. Quand ce dernier est devenu premier ministre, mon arrière-grand-père l’a suivi sur la Colline. C’était « l’Indien de la Colline ».

Dr Michael Strong : C’était quand, ça?

Dr Jonathan Dewar : Il a pris sa retraite en 1955 ou 1956, à 70 ans. Ça fait assez longtemps!

Dr Michael Strong : Il était donc là quand beaucoup de nos politiques en santé, entre autres, ont été élaborées et sont entrées en vigueur.

Dr Jonathan Dewar : Oui, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a activement pris part aux processus décisionnels.

Dr Michael Strong : Non, je comprends, mais il était sur place à l’époque.

Dr Jonathan Dewar : Il a peut-être assisté à certaines de ces rencontres ou il se tenait tout près. En tout cas, ce poste qu’il a occupé rendait ma famille très fière. Contrairement à beaucoup de familles qui… Les gens ressentaient une certaine honte quant à la perte du lien avec leur culture et avec leur communauté; ils ne savaient pas comment le rétablir. J’ai eu de la chance : dans ma famille, on avait un lien et on en était fiers, même si ça ne reposait pas sur beaucoup de connaissances. Ça a piqué mon intérêt d’enfant, et je me suis lancé là-dedans avec beaucoup de naïveté. Je me suis donc lancé dans une quête un peu stéréotypée de mes racines. Qu’on soit Canadien français ou Canadien d’origine italienne ou écossaise – ou, dans mon cas, issu de l’une des Premières Nations – on se crée des idéaux romancés qu’on explore et qui se retrouvent dans une partie de ce qu’on fait. Moi, j’ai exploré tout ça dans la culture populaire, puis dans les arts, plus particulièrement dans la littérature.

J’ai commencé ma carrière universitaire en littérature. J’ai fait une maîtrise en création littéraire et concentré mes lectures et mes propres écrits sur l’exploration de la culture et de la communauté. Encore, il y a 25 ans, il y avait une certaine naïveté dans ce que je faisais. J’ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont prêté main-forte au fil du temps; j’ai fait de formidables découvertes et trouvé comment les intégrer convenablement à mon discours… Je sentais que je faisais vraiment partie de la communauté. Mais au bout d’un moment, certaines des choses que j’avais apprises m’ont fait douter de la voie que j’avais choisie. Une carrière universitaire ne me semblait plus être la meilleure manière de satisfaire mes intérêts : je voulais désormais servir la communauté et assumer une certaine responsabilité à son égard.

Dr Michael Strong : Et ça remonte à quand, cette réflexion? Beaucoup des chercheurs à qui on parle disent qu’ils avaient à peine 10 ou 12 ans quand ils ont eu la piqûre de leur domaine… Les arts et la littérature, la ligne est mince, en quelque sorte… C’est un goût acquis. Mais on dirait que pour vous, c’est arrivé très tôt. Comment ça s’est fait?

Dr Jonathan Dewar : Vous savez, la littérature et les arts en général ont été un peu ma porte d’entrée. Quand j’étais jeune, j’adorais lire, j’adorais écrire, et j’ai eu la grande chance d’avoir des parents qui ont beaucoup encouragé cette passion. C’est comme ça que je me suis lancé. Malgré tout, dans toute ma naïveté, j’avais eu l’impression d’apprendre quelque chose par l’entremise de cette œuvre de fiction. J’ai compris pour la première fois que les œuvres permettaient d’explorer l’idée du lien, les manières avec lesquelles les artistes l’exploitent et la réception des œuvres par un public qui, peut-être, se reconnaît dans ce cheminement.

J’ai compris ça vers le milieu ou la fin de l’adolescence. J’ai ensuite quitté la maison pour aller au Darthmouth College, dans le New Hampshire. J’aimais beaucoup le fait que la vocation originale de l’établissement était d’instruire les Autochtones. J’ai choisi cet établissement entre autres pour faire de la recherche en études autochtones. Mais des soucis financiers ont fini par me ramener au Canada après un an. J’ai terminé mon baccalauréat en littérature ici, à l’Université d’Ottawa, en m’efforçant de travailler sur la littérature autochtone (qu’on appelait littérature amérindienne au début des années 1990). Cela dit, je n’avais pas beaucoup d’occasions de travailler en ce sens à l’Université d’Ottawa. C’est en assistant à des congrès et en participant à d’autres évènements littéraires du genre que j’ai rencontré une brillante et extraordinaire communauté d’universitaires dont les membres, autochtones et non autochtones, travaillaient main dans la main pour mettre de l’avant la littérature autochtone. C’est avec eux que je me suis dit : « le voici, mon lien. Ces personnes ont des choses à m’apprendre ».

Dr Michael Strong : L’impression que j’ai eue en parlant à mes amis et à mes collègues des Premières Nations est que cette culture s’est beaucoup enrichie dans les 30 dernières années. Est-ce que ça veut dire que c’est plus facile pour un jeune qui aimerait tisser des liens avec sa culture? Arts, littérature, théâtre, vidéo, peu importe. Est-ce que vous avez l’impression que c’est moins difficile aujourd’hui que dans votre temps?

Dr Jonathan Dewar : Il y a une partie de la question à laquelle je ne peux pas répondre. Je ne peux pas le savoir, je ne suis plus jeune. Mais j’imagine que, d’une certaine manière, ça peut être plus facile parce qu’il y a plus d’options. On n’a qu’à regarder les programmes d’études autochtones qui sont apparus un peu partout dans les établissements d’enseignement postsecondaire au fil des années. Il y a plus de possibilités que quand j’étais étudiant de premier cycle, quand il n’y avait aucun cours sur le sujet puisque le programme était axé sur le canon littéraire. Beaucoup plus de possibilités. Malgré cela, je n’oserais jamais juger de la difficulté du parcours personnel de qui que ce soit qui découvre son lien à la communauté. Nous n’avions pas les médias sociaux, dans le temps. Aujourd’hui, les conversations et les échanges de points de vue peuvent se faire instantanément sur ces plateformes. Mais ce n’est pas toujours facile. Des gens ont été ouvertement critiqués, et peut-être pas toujours à tort. Ça fait partie de la vie en communauté, qu’on parle d’une communauté autochtone en particulier ou d’une plus grande communauté d’intérêts. Il faut être ouvert à la critique.

Dr Michael Strong : Vous soulevez un point très intéressant, et ce n’est pas le premier. « Communauté »… Je pense que pour moi et mes collègues non autochtones, c’est une notion difficile à comprendre. Qu’est-ce qu’on entend par là, qu’on parle de petites communautés, de communautés familiales, des Premières Nations au sens large, de communautés autochtones ou de communauté entière?

Dr Jonathan Dewar : Eh bien… Vous remarquerez que beaucoup de personnes, comme moi, utilisent un langage très précis pour définir leur posture et décrire leurs liens. Je suis très fier du lien qui m’unit à ma grand-mère, évidemment, et, de son côté, un véritable lien l’unit à sa communauté. Cela dit, mon rapport à cette communauté n’est pas le même que le sien. Je n’oserais jamais dire que je suis de la Nation huronne-wendat, puisque j’en suis coupé depuis deux bonnes générations.

Les gens comme moi parlent la langue d’une diaspora et ont une identité métissée; nous ne sommes pas issus des Premières Nations. Selon moi, il faut réfléchir à ces nuances et poser un regard critique sur la posture que l’on adopte. Moi, je suis à l’aise de dire que je suis métissé, que j’ai des racines des Premières Nations, d’une Nation précise. J’établis clairement ce que ce lien signifie pour moi. Quand des Autochtones me demandent d’où je viens, surtout quand ils sont des Premières Nations, ce qu’ils veulent savoir, c’est de quelle communauté je viens. Le lien à la communauté est très concret.

Dr Michael Strong : C’est une question d’ordre géographique, donc?

Dr Jonathan Dewar : Eh bien, on est d’une « Nation », puis d’une communauté distincte au sein de cette nation. Les gens veulent aussi savoir, êtes-vous membre de la communauté ou citoyen de la Nation? Ça peut teinter les échanges. C’est très important pour les chercheurs. Si vous faites partie d’une communauté en particulier et que vous choisissez d’y mener des travaux, la relation change énormément. Ça peut être un exercice d’une richesse inouïe, mais c’est aussi très difficile. Cela dit, si vous ne faites pas partie de la communauté, même si vous êtes issu des Premières Nations, vous êtes un étranger. Ça change la donne. Ce n’est pas la même posture ni la même manière de penser, et il faut se questionner sur les notions de responsabilité et d’autorité.

Dr Michael Strong : C’est génial pour les jeunes Autochtones qui cherchent leur voie en ce moment. Ils ont l’option de se tourner vers les études autochtones. Magnifique, non? Ils n’ont pas à se détacher de leur communauté. C’est bien ça?

Dr Jonathan Dewar : J’espère qu’ils n’ont pas à le faire. Je trouve qu’on a fait beaucoup de chemin. Je pense que les jeunes et les moins jeunes… Il y a des gens qui font ce cheminement tard dans leur vie. Vous savez, depuis quelques mois, on parle de la rafle des années 60 dans les nouvelles nationales… Les personnes qui ont été adoptées à l’époque ne sont plus jeunes du tout, mais certaines sont en train de découvrir leurs racines. J’ai des amis dans cette situation. Ils font un cheminement semblable au mien, mais beaucoup plus complexe et profond, et ils le font dans la quarantaine, la cinquantaine, la soixantaine… Alors, parlons des jeunes, oui, mais pas seulement.

Je pense que chacun doit passer par un processus personnel pour comprendre son appartenance, et que ça peut être extrêmement difficile. Il faut donner beaucoup de latitude aux gens qui sont en train de le vivre et, au bout du compte, le mot d’ordre qu’on ne doit jamais perdre de vue, c’est « responsabilisation ».

Dr Michael Strong : On arrive maintenant à la deuxième étape de votre parcours passionnant, que vous avez attaqué avec un impressionnant bagage de connaissances. Vous ne vous êtes pas assis sur vos lauriers du tout; vous avez acquis une tonne d’expérience enrichie par ce que vous avez fait dans le monde des arts, et maintenant, vous avez l’occasion de faire bouger les choses. Qu’est-ce que ça fait, et comment vous êtes-vous rendu là?

Dr Jonathan Dewar : Ça a pris un moment. J’ai parlé de mon baccalauréat en littérature et de la maîtrise en création littéraire que j’ai choisi de faire pour soulever les enjeux inhérents à ma propre exploration et à ce que ça implique d’utiliser les arts pour découvrir ses racines. J’ai repris ces thèmes dans le cadre d’un doctorat en littératures autochtones. Je me suis rendu assez loin dans le processus : mon examen doctoral était fait et ma rédaction, bien avancée, quand j’ai réalisé que même si j’adorais la communauté d’artistes et d’universitaires que je côtoyais et qu’elle m’épaulait beaucoup, j’avais l’impression de n’avoir rien à offrir. Je ne me voyais pas devenir professeur tout de suite après mes études. Ma femme et moi avons alors eu l’occasion de nous installer à Iqaluit, au Nunavut, où j’ai commencé à faire du théâtre.

Nous avions aussi décidé de fonder une famille. J’ai donc trouvé un emploi dans la fonction publique, au Bureau du commissaire aux langues du Nunavut. Je travaillais pour Eva Aariak une femme inspirante auprès de qui j’ai énormément appris et qui allait plus tard devenir première ministre du territoire. Puis, je suis passé au fédéral, et j’ai fini par m’installer à Ottawa pour un poste qui venait de se libérer à l’Organisation nationale de la santé autochtone. Je suis devenu directeur du Centre des Métis. C’était intéressant. Je suis d’ascendance mixte, mais pas métisse. C’était vraiment bien de pouvoir me pencher d’abord sur les dossiers touchant les Inuits, puis sur ceux touchant les Métis, particulièrement les questions relatives à la santé. Je pense que ce qui m’a amené là, c’est que j’ai pris la peine de parler aux gens comme je vous parle maintenant de mon intérêt pour les arts et du fait que l’exploration de mes liens à la culture et à la communauté était, pour moi, une question de… Je ne parlais pas nécessairement de guérison, à l’époque, mais c’était une question de santé et de bien-être.

Voilà. Je travaillais dans cette organisation nationale qui a contribué à cerner ce que ça signifie pour les personnes issues des Premières Nations ainsi que pour les Inuits et les Métis de prendre soin de leur santé et de leur bien-être. C’est là qu’a surgi l’étincelle. J’ai su que je voulais reprendre les travaux universitaires desquels je m’étais détourné, tout en contribuant à l’œuvre de cette grande organisation où la responsabilisation était centrale. C’était une organisation dont la structure particulière était conçue pour redonner à la communauté. Si elle était bien dirigée, elle pouvait apporter des bienfaits extraordinaires aux communautés inuites, métisses et des Premières Nations. C’était quelque chose que je pouvais faire. Des aînés m’avaient déjà dit que j’avais le don de favoriser la collaboration. C’était donc mon premier rôle de leadership d’importance.

Ce genre de rôles a donc commencé à faire partie de mes aspirations. Je voulais rester dans le milieu artistique, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. Une grande occasion pour ma carrière s’est présentée à la suite du décès de l’un de mes modèles de longue date, Gail Valaskakis, qui avait été la première directrice de recherche de la Fondation autochtone de guérison. Je me suis retrouvé dans une conversation avec le directeur général de la Fondation, et il m’a offert le poste. Ça m’a pris plusieurs minutes pour comprendre ce qui venait de se passer. C’était une offre formidable, mais aussi très intimidante. J’ai fini par accepter, et c’est avec beaucoup d’humilité que j’ai pris le relai de Gail, qui dirigeait les travaux de recherche et d’évaluation de cette organisation bien spéciale créée dans la foulée de la CRPA – qui émane en fait de l’une des recommandations du rapport.

Dr Michael Strong : Qu’est-ce que c’est, la CRPA?

Dr Jonathan Dewar : C’est la Commission royale sur les peuples autochtones, dont les travaux ont débuté en 1991 et pris fin en 1996. Son rapport compte 440 recommandations nommées comme telles. Seules quelques-unes ont donné lieu à des mesures concrètes, mais je crois qu’on peut dire que les mesures prises par le gouvernement de l’époque en ce qui a trait aux pensionnats ont réellement donné quelque chose. En 1998, il y a eu la Déclaration de réconciliation et la publication d’un document intitulé « Rassembler nos forces ». Ce document annonçait l’établissement d’un fonds grâce auquel serait créée la Fondation autochtone de guérison. Le mandat de la Fondation : financer des initiatives locales visant à répondre aux conséquences des abus physiques et sexuels perpétrés dans les pensionnats. Ces programmes comportaient aussi une dimension axée sur la recherche qui visait à favoriser leur financement. On s’intéressait, par exemple, à la signification du concept de guérison et à d’autres questions connexes fondamentales. On faisait toute la recherche nécessaire pour soutenir les efforts des communautés. L’évaluation occupait une grande place dans le processus. C’est ce que j’ai fait pendant cinq ans.

Dr Michael Strong : Avez-vous aussi fait de la recherche dans ce domaine?

Dr Jonathan Dewar : Bien sûr, mais je m’occupais principalement la gestion des projets de recherche existants. En 2007, la situation a changé avec la mise en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens : le mandat de la Fondation a été prolongé de cinq ans. On a pu lancer de nouveaux projets de recherche. À l’époque, on commençait à voir des indemnisations remises aux survivants pour ce qu’ils avaient vécu. Dans les circonstances, l’une des questions clé qui s’imposaient était : pour des personnes s’efforçant de guérir depuis des années (voire des dizaines d’années), quelle incidence cela aurait-il sur le processus de guérison de devoir raconter leur histoire une, voire plusieurs fois pour obtenir indemnisation?

Dr Michael Strong : On commence à toucher quelque chose de vraiment très intéressant. Traditionnellement, vous savez, aux IRSC, on parle d’excellence en recherche, et c’est une idée centrale, mais limitée. Ça touche à des choses que moi, je connais, à ce qu’on s’attend à voir comme sujet d’étude. C’est différent… Ici, on parle de guérison, d’expérience vécue, de communauté, de vie en communauté… Bien sûr, je vois passer beaucoup de jeunes d’ascendance autochtone qui s’intéressent à ces enjeux et veulent entamer ou poursuivre certaines recherches, mais qu’entendent-ils par « recherches »? Pensent-ils à des analyses narratives? À des méthodologies qualitatives? Comment colliger la vision, l’histoire, les propos des aînés? Ce savoir s’est transmis de génération en génération, et il a eu une incidence, mais comment l’étudier? Comment faire progresser ces projets? C’est un monde à part.

Dr Jonathan Dewar : Il faut vraiment s’en remettre aux méthodes mixtes. De notre côté, on avait une approche très quantitative, surtout quand il s’agissait d’évaluer nos travaux. Dans certains cas, on n’avait pas le choix. On comptait les gens… En fait, on facilitait les projets en comptant les participants et les personnes qui déclaraient certaines réussites, mais on faisait aussi beaucoup de recherches qualitatives. Selon moi, les approches mixtes sont absolument essentielles.

Et j’ai beau venir du domaine des arts et des sciences humaines, j’adore travailler avec des scientifiques de données et des statisticiens. On y reviendra, je crois, mais ça se rapproche beaucoup de ce que je fais ici, au Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations. Et je vous le dis, c’est lié à ce que je faisais dans le monde des arts puisque les personnes issues des Premières Nations, surtout, voient le bien-être comme un équilibre entre les différentes parties de l’être. Qu’on parle des quatre quadrants de la roue que vous connaissez peut-être ou que les divisions soient plus nombreuses… Dans toutes les variantes de cette vision, l’idée centrale est l’équilibre. Or, certaines études de la Fondation autochtone de guérison, dont je vais vous parler dans un instant, indiquent clairement que les arts font partie intégrante de la vie des personnes, des communautés, des Nations et des peuples.

Quand je suis arrivé à la Fondation autochtone de guérison en 2007, l’une des premières choses que j’ai découvertes en épluchant les rapports trimestriels, c’est que les arts étaient mentionnés un peu partout dans les projets. J’ai donc examiné les modèles de rapport qu’on utilisait pour demander aux gens d’analyser certains points particuliers, et aucune question ne portait sur les arts. J’ai ensuite regardé les documents liés au financement, et aucune enveloppe n’était réservée aux arts. Eurêka! C’est quelque chose qu’on savait déjà, mais dont on avait la preuve à la Fondation autochtone de guérison.

J’ai donc défendu l’idée qu’il fallait vraiment étudier ce phénomène auprès de Mike DeGagne, mon supérieur de l’époque, puis auprès du conseil d’administration. Je crois qu’il s’agissait d’une découverte importante. Nous avons donc lancé une étude principalement qualitative dans laquelle nous avons interrogé les responsables de nombreux projets que nous financions. Nous leur avons demandé pourquoi les arts prenaient tant de place dans leurs activités. Ils ont répondu qu’ils avaient toujours fonctionné comme ça. On ne parle pas des « beaux-arts » de tradition occidentale; c’est une question de vision du monde. Les arts ont toujours été au cœur de la culture, des communautés et des familles autochtones. C’est grâce à l’art que les générations interagissent entre elles. Les chants, les percussions, la danse, le perlage, les pictogrammes, tout ça est absolument central dans la vie de la communauté; ça fait partie intégrante de l’identité des Nations. Et vous savez, de nouveaux éléments sont apparus après l’arrivée des Européens. Il y a donc une tradition artistique extraordinaire qui, sur cet ensemble de terres qu’on appelle le Canada, est liée à la question de la santé et du bien-être depuis des temps immémoriaux. On le sait maintenant, l’une des principales conclusions de cette étude est que, quand l’occasion se présente, une écrasante majorité – 87 % – de communautés autochtones choisissent d’intégrer les arts à leurs processus de guérison.

Dr Michael Strong : Fascinant. Vous savez, la principale responsabilité des IRSC est d’améliorer la santé des Canadiens par l’entremise de la recherche, comme l’indique notre mission énoncée dans la Loi sur les IRSC. C’est quelque chose qui s’évalue de plusieurs façons, mais le processus comporte notamment certains éléments livrables. Le concept des arts… Il est présent dans beaucoup de pratiques médicales non traditionnelles. Je ne parle pas nécessairement ici des Premières Nations, autochtones ou autres… Ce que je veux dire, c’est que les arts peuvent, par exemple, contribuer au processus de récupération des gens qui ont fait un AVC ou qui ont une lésion hémisphérique. Mais ce que j’entends et observe, c’est que la portée des arts est beaucoup plus vaste, qu’ils font en fait partie intégrante de l’idée que l’on se fait de la santé des personnes.

Je vais maintenant vous poser une question qui pourrait être assez difficile. On a une vision, on se dit que l’on a une responsabilité à l’égard de la santé – la nôtre, mais aussi celle de nos enfants et des enfants de nos enfants. Nos collègues des Premières Nations, avec leur bagage de connaissances, nous diraient que pour nous acquitter de cette responsabilité, il faut absolument tenir compte des arts, que c’est une composante incontournable des quatre quadrants que vous avez décrits. Comment s’y prendre? Comment fait-on pour les générations qui grandissent actuellement? Mes enfants, vos enfants… Comment leur inculquer qu’il y a une part de guérison et de santé en général qui échappe à la science que vous et moi essayons de réduire à une équation? C’est tellement central. Par où commencer, et comment aborder le sujet?

Dr Jonathan Dewar : On peut approcher cet enjeu de différentes façons. Je veux dire, qu’on manipule les couleurs ou les chiffres, il y a moyen d’être créatif. C’est quelque chose de si profondément humain, on crée des liens avec les arts. Mais une de mes convictions profondes est qu’il faudrait ajouter un A dans l’acronyme STIM. Il faut que les STIM deviennent les STAIM.

Dr Michael Strong : Intéressant! Un A en plein milieu.

Dr Jonathan Dewar : Il faut qu’il y soit, selon moi. Même nos meilleurs scientifiques et nos meilleurs ingénieurs devraient pouvoir exercer leur créativité. D’abord, ce que j’aimerais voir, c’est des gens aux intérêts diversifiés et des approches éducatives tout aussi diversifiées. C’est la première chose. Ensuite, il faut savoir qu’il y a aussi des façons très scientifiques d’aborder les arts. Revenons sur l’étude de la Fondation autochtone de guérison : nous avons dégagé trois grandes conclusions. Dans les projets que nous avons étudiés et qui comprenaient une dimension artistique, nous avons constaté que la pratique de l’art avait des vertus thérapeutiques. Imaginez un enfant qui bricole ou un patient qui a subi un AVC qui essaie de dessiner quelque chose ou qui modèle de l’argile… C’est tout simplement thérapeutique. Une abondante littérature l’atteste dans le monde entier. Et puis, il y a la place des arts dans la thérapie.

Les arts et la décoration murale comme thérapie, c’est la mouture occidentale du concept. Encore une fois, des textes sur le sujet sont publiés partout dans le monde. La troisième conclusion, c’est que pour les peuples autochtones – et je ne crois pas que ce soit trop audacieux de dire que c’est vrai ici et ailleurs dans le monde –, une guérison holistique doit forcément comprendre une dimension artistique. Je crois que les répondants de l’étude s’entendent là-dessus, et beaucoup des gens à qui j’ai parlé indiquent que ça remonte à des temps immémoriaux. C’est quelque chose qu’ils ont toujours su et qui va rester avec eux pour toujours.

On peut étudier la question sous de nombreux angles, mais je crois vraiment que le besoin de séparer la pratique artistique de la science ne donne pas grand-chose. Certaines des personnes que j’aime le plus côtoyer sont des scientifiques, mais qui aiment aussi aller au cinéma, rire, admirer de belles choses et avoir des discussions critiques sur les origines de ces choses. Voilà. On se rassemble et on a des conversations intéressantes sur des sujets variés qui finissent par se rejoindre.

Dr Michael Strong : Avant d’arriver où je suis aujourd’hui, j’ai été doyen d’une faculté de médecine et de médecine dentaire. Quand je suis entré en poste, la Commission de vérité et réconciliation (CVR) venait de lancer ses appels à l’action. Les doyens de tout le pays ont bien vu qu’il y avait des problèmes très pointus sur lesquels on avait le devoir se pencher en vertu de notre rôle. Il fallait tâcher de faire avancer ces dossiers. Ça ne nous disait pas grand-chose, cette approche holistique, le rôle des arts, l’histoire des pratiques médicales et des techniques de guérison… Mais on avance. Ça n’a pas été évident.

Je vais vous poser la question inverse. Mettez-vous dans la peau de quelqu’un qui a l’occasion de se questionner sur la formation de la prochaine génération de professionnels de la santé. Ça comprend la formation de professionnels autochtones, qu’ils soient des Premières Nations ou non. Par où commencer pour rapprocher ces mondes, pour favoriser la reconnaissance de l’approche holistique et pour l’enseigner? Quelle démarche scientifique peut-on adopter avec cette approche sommairement décrite sur papier? Comment s’assurer que l’on est vraiment sur la bonne voie? Comment aborderiez-vous ces questions, avec votre expérience? Comment mettriez-vous vos connaissances au service de cette démarche?

Dr Jonathan Dewar : J’ai mentionné que la situation avait changé en 2007, avec la Convention de règlement dont découle la Commission de vérité et réconciliation, qui a aussi beaucoup fait bouger les choses pour les survivants des pensionnats et pour les personnes subissant des répercussions intergénérationnelles. Ça a changé la donne pour tous les Canadiens. Alors, il y a d’abord eu le travail de la CVR, qui a rassemblé des survivants et des membres de communautés autochtones et non autochtones dans des évènements nationaux, régionaux et locaux partout au pays. C’était très important.

La Commission a publié un rapport intérimaire, un rapport final et 94 appels à l’action. C’était bien des appels à l’action, et non des recommandations. Les commissaires ont appris de la CRPA : des appels à l’action, ça ne se laisse pas tabletter.

La situation a véritablement changé. Les 94 appels à l’action comprenaient des éléments très concrets touchant différents aspects sur lesquels on peut agir, au Canada. Vous avez mentionné la formation du personnel en santé – j’y reviens dans une seconde. Selon moi, en fait, il faut commencer par le rapport, et non par les 94 appels à l’action. Il faut que les Canadiens... Je n’avais pas accès à ces connaissances au primaire et au secondaire, et j’imagine que vous non plus. L’histoire canadienne qui nous a été enseignée n’offre pas un portrait global et complet de la situation, avec les points de vue de chacun. On a eu droit à une version édulcorée et biaisée. Beaucoup de points de vue ont été laissés de côté dont, bien entendu, ceux des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui occupent une place centrale parmi les grands oubliés. Il faut bien commencer quelque part; si on choisit la CVR, la première chose à faire est de lire le rapport.

Dr Michael Strong : On commence par le livre.

Dr Jonathan Dewar : Il faut lire l’histoire en entier pour mieux saisir la richesse des appels à l’action. Qu’on soit monsieur ou madame Tout-le-Monde ou qu’on soit, comme vous, à la tête d’un organisme canadien qui veut répondre à certains des appels à l’action ou agir relativement aux grands principes qui les sous-tendent, cette lecture nous ancre dans la réalité. Les appels à l’action sont concrets, et il revient aux établissements et à leurs dirigeants de suivre la voie tracée par les commissaires de la CVR.

Dr Michael Strong : C’est tout un cheminement.

Dr Jonathan Dewar : Oui. Que ce soit dans les programmes d’études de premier cycle, les programmes professionnels ou les programmes d’études supérieures, il faut que les étudiants aient un minimum de connaissances en ce qui a trait à la véritable histoire des peuples auprès desquels ils seront appelés à travailler. Et cette affirmation est vraie qu’ils entendent consacrer leur carrière aux questions autochtones comme je l’ai fait ou qu’ils évoluent dans une communauté quelconque où, forcément, ils seront susceptibles d’interagir avec des personnes autochtones. Il faut retrousser ses manches et faire l’effort d’apprendre l’histoire.

Dr Michael Strong : C’est très intéressant comme manière de soulever la question. L’un des véritables privilèges de mon poste, en ce moment, c’est de pouvoir enrichir considérablement mes connaissances. Oui, j’ai lu les documents originaux avant de revenir aux appels à l’action pour essayer de voir comment ils cadraient avec les données. Mais, en toute honnêteté, je n’ai fait cette démarche qu’à la suite de discussions avec des aînés et des spécialistes des études autochtones, et après avoir visité des communautés pour mieux comprendre la réalité du terrain. Cela dit, je ne prétends absolument pas tout comprendre – ce n’est pas le cas! Mais je comprends mieux le fait que je n’arriverai jamais à tout connaître et à tout comprendre sur le sujet, même si j’essaie fort.

Est-ce suffisant? C’est un bon début, mais je suis tout à fait d’accord avec vous. Il y a des gens très engagés qui savent que c’est un effort nécessaire et qui comprennent pourquoi il faut le faire, mais je suis le premier à avouer que le pourquoi m’échappait avant d’avoir l’occasion de voir ça par moi-même et d’écouter parler des universitaires. Est-ce un effort que l’on peut faire seul ou est-ce qu’il faut plutôt voir ce groupe comme un écosystème? Ce sont d’horribles décisions qui nous ont menés là où nous en sommes, et la seule façon de se sortir de cette situation est de travailler ensemble pour faire un véritable effort de compréhension. Ce point de vue vous semble-t-il légitime?

Dr Jonathan Dewar : Oui. Ça serait fantastique si la toute première rencontre s’était passée comme ça il y a 500 ans, non? Je pense qu’on a l’occasion d’agir en ce sens. Le gouvernement fédéral et les chefs des Premières Nations, des Inuits et des Métis disent qu’il faut… Quand il est question des Premières Nations, le premier ministre actuel parle de relations de nation à nation et de gouvernement à gouvernement. Il parle aussi de relations entre les Inuits et la Couronne… C’est très bien, comme rhétorique. Mais c’est une excellente illustration des conclusions de ma recherche.

Quand je suis retourné à l’université pour faire un doctorat – et le finir, cette fois – je me suis inscrit en études autochtones et canadiennes à l’Université Carleton. Je me suis concentré sur le rôle des arts et des artistes dans la guérison et la réconciliation. Conclusion : pour que les efforts de réconciliation soient véritablement efficaces, il faut conjuguer mesures symboliques, concrètes et systémiques. Si l’on essayait de dégager les grands principes qui sous-tendent les mesures prises dans la foulée de la CVR on constaterait que leur véritable portée est symbolique : changements de noms, construction de monuments… Tout ça, c’est symbolique. Il faut aussi adopter des changements concrets et, quand c’est possible, systémiques.

L’organisme que vous dirigez, par exemple, doit subir des changements d’ordre systémique. Des efforts ont été réalisés pour contribuer concrètement à la réconciliation : des fonds ont été octroyés pour traiter des priorités des Autochtones ou issues d’une création ou d’une conception conjointe. C’est super, mais je pense qu’on peut faire encore mieux. Cela dit, le terme « changement systémique » est très à la mode, ces temps-ci, et il tend à se vider de son sens; espérons qu’on arrivera tout de même à faire des choses intéressantes sur ce plan. Par contre, je crois qu’on pourrait adopter le thème de la décolonisation des organismes.

Dr Michael Strong : De quoi s’agit-il, au juste? C’est quelque chose qu’on entend beaucoup. Je crois que je comprends, ce qui veut généralement dire que ce n’est pas le cas. Qu’entendez-vous par là?

Dr Jonathan Dewar : Eh bien, la première chose qu’on doit faire, au Canada, qu’on soit Autochtone ou non, c’est de se questionner sur ce que nous apporte le colonialisme en place. Selon moi, c’est la meilleure manière d’expliquer comment… D’expliquer le type de privilèges dont beaucoup profitent, Autochtones ou non. Quelqu’un comme moi, par exemple… Je suis privilégié sur plusieurs plans, et l’un d’entre eux, c’est ce que je retire du colonialisme c’est-à-dire de l’ensemble des systèmes à partir desquels on a fondé le Canada et déplacé des peuples. Selon mes collègues autochtones et moi, ce n’est pas fini, et je crois qu’en tant que peuple, on a la responsabilité de reconnaître que l’on tire des avantages du colonialisme ambiant.

Ça veut dire que les organismes et les établissements fondés ici ont des bases colonialistes. Comment peut-on s’y prendre, donc, pour éliminer les effets néfastes de cette influence? Dans un monde idéal, on pourrait repartir à zéro et bâtir quelque chose de tout nouveau qu’on n’aurait pas à décoloniser. Mais pas besoin de passer à l’« autochtonisation », autre terme que vous avez sans doute souvent entendu. La décolonisation ne touche pas que les peuples autochtones. Les systèmes coloniaux ne sont pas bénéfiques pour grand-monde. Je ne crois pas qu’ils apportent grand-chose aux femmes, ni aux personnes non binaires. Je ne crois pas non plus que ces systèmes soient bons pour les personnes de couleur ou pour les nouvelles arrivantes et les nouveaux arrivants.

C’est pourquoi, selon moi, la décolonisation est une tâche qui incombe à chacun de nous et qui est à la portée de tous. L’autochtonisation, c’est différent. C’est un travail réservé aux personnes détenant le savoir autochtone; vous et moi, on ne peut pas s’en occuper. Ce qu’on peut faire, c’est créer des espaces favorisant des échanges riches. Au bout du compte, je ne crois pas que le terme en soi veuille dire grand-chose jusqu’à ce qu’une communauté s’en saisisse et le définisse pour elle-même. C’est comme si, ensemble, la communauté des IRSC pouvait convenir de définitions pour cerner le sens qu’elle veut donner au terme décolonisation et, si les circonstances le permettent et que les bonnes personnes sont rassemblées, pour établir les modalités de l’autochtonisation.

Dr Michael Strong : Ce qui m’amène à ma prochaine question… Ces détenteurs de savoir, par définition, ce sont les aînés?

Dr Jonathan Dewar : Pas forcément. Généralement on s’en remet à eux par défaut. C’est un contexte dans lequel ça ne suffit tout simplement pas d’avoir des connaissances de base sur les questions autochtones. Il faut aller beaucoup plus loin. Pour certaines des Premières Nations, oui, on peut faire ce rapprochement, mais pour d’autres, c’est un point de départ. Il faut ensuite comprendre comment on voit les personnes détentrices de connaissances dans cette communauté, comment les personnes qui ont un leadership politique (tous contextes politiques confondus)… Ces personnes peuvent se faire épauler par un conseil d’aînés, de femmes ou de jeunes.

Dr Michael Strong : Ces personnes seraient donc détentrices des connaissances de ce peuple ou de cette communauté?

Dr Jonathan Dewar : Oui. La raison pour laquelle on pense ainsi dans mon organisme… On vise la souveraineté des données des Premières Nations, compte tenu du caractère distinctif de leur vision du monde. Cet objectif découle précisément de la complexité dont je vous parle. Les chercheurs qui interagissent avec des groupes des Premières Nations doivent comprendre que oui, bien sûr, il y a des points communs, mais que, au bout du compte, ils ne voient pas le monde de la même façon. Ce sont des Nations différentes, de la même façon que le Canada est différent des autres pays du monde. C’est quelque chose qu’il faut enseigner aux gens, selon moi. Pour évoquer la question de la détention des connaissances, il faut savoir de quelle communauté on parle et de combien de communautés on parle, puisqu’il arrive que plusieurs communautés s’amalgament entre elles pour en former une nouvelle, plus grande. Il y a beaucoup de façons de définir « communauté ».

Première chose à savoir : la nomenclature, bien que très utile, peut aussi devenir un obstacle. De nos jours, c’est « Autochtone », le terme générique en vigueur. Mais puisqu’on sait qu’au Canada, il désigne les Premières Nations, les Inuits et les Métis, pourquoi ne pas utiliser ces termes? Et pourquoi ne pas nommer les Nations – cries ou micmacs, par exemple – quand on le peut? Selon moi, une approche qui tend à rechercher ce degré de précision honorerait tout le monde.

Dr Michael Strong : Revenons en arrière, un petit peu. J’ai visité une communauté inuite dans le nord, dernièrement. J’y ai eu un magnifique aperçu des pratiques artistiques contemporaines des jeunes. Personnellement, sans savoir, je n’aurais pas pu dire qu’il s’agissait d’art inuit ou autochtone. De toute évidence, c’était une pratique que s’appropriaient des jeunes en grande difficulté pour découvrir le monde des arts. Ils travaillaient le métal, faisaient de la soudure, etc. Ils ont connu un tel succès que l’on commence à étendre la pratique, et c’est précisément pour faire écho à ce que vous dites que je parle de tout ça. Les jeunes des Premières Nations sont en grande difficulté en ce moment. On a beau essayer de valoriser leur identité, la situation est bouleversante. Voyez-vous les arts comme une étape incontournable de leur processus de guérison?

Dr Jonathan Dewar : Oui, tout à fait. Les arts peuvent s’avérer essentiels pour aider les jeunes à composer avec les enjeux et les difficultés qui leur sont propres. Même chose pour le sport et l’éducation. Pour beaucoup de choses, en fait. Je m’en tiens aux arts parce que c’est le sujet de notre discussion.

Peu après mon arrivée à Iqaluit en 2001, je me suis fait approcher par des gens qui avaient eu vent de mon bagage en littérature et en théâtre et qui voulaient développer le théâtre communautaire sur place. Ils croyaient pouvoir obtenir des fonds pour réaliser une étude de faisabilité et voulaient que je leur donne un coup de main. Génial, non? C’était peut-être ce qu’il me fallait, avec ce doctorat en littérature sur la glace que je tendais à délaisser. C’était très sensé, tout ça, c’était quelque chose dans quoi je pouvais me lancer. L’étude montrait qu’il existait effectivement un besoin criant en ce qui a trait aux arts dans la communauté, mais on ne parlait pas nécessairement d’interprétations de Shakespeare en plein air. Les jeunes avaient besoin d’une activité, d’un véhicule pour explorer leur culture et leur communauté. Il fallait qu’on leur donne l’occasion de se pencher sur les enjeux qui leur tiennent à cœur et sur lesquels ils veulent travailler.

C’est donc devenu le point central de la troupe qu’on a fondée. Les programmes se sont enchaînés au fil des années. Quand on demandait aux jeunes ce qu’ils voulaient faire, on s’attendait à ce qu’ils nous répondent qu’ils voulaient danser au rythme des percussions ou faire des chants de gorge. C’est arrivé, mais souvent, les jeunes voulaient faire de la danse hip-hop ou du rap. J’étais loin de ma zone de confort, mais c’est extraordinaire d’avoir pu faire ça. On a monté un superbe spectacle autour d’une légende inuite intitulée Nuliayuk, et ç’a été une expérience formidable. Ailleurs au Nunavut, une troupe de cirque s’est formée, et ailleurs encore, le cinéma, un cinéma d’avant-garde à part… Je n’irais pas jusqu’à dire axé sur des choses inintelligibles, mais…

Pour moi, l’art, c’est thérapeutique. Il faut le voir pour le comprendre. Je ne prétends absolument pas avoir fait de l’art-thérapie, pas du tout, mais on peut souligner que ces projets artistiques étaient aussi un moyen d’acquérir des compétences professionnelles. La ponctualité, c’est une leçon importante pour les jeunes. Quand on participe à l’organisation d’un spectacle, on fait partie d’une équipe, d’un processus collaboratif. On pourrait parler de toutes sortes d’éléments qui s’entrecoupent… C’est fantastique de voir tout ça s’implanter dans la communauté et gagner le soutien des gens. Et pour y revenir, quand on réussit à accomplir quelque chose du genre de ce que vous avez décrit, ça veut dire que quelqu’un a investi dans le projet et que les systèmes ont probablement été ajustés pour en faciliter le financement à l’avenir.

Dr Michael Strong : Saviez-vous qui était derrière ce groupe? Les professeurs.

Dr Jonathan Dewar : Fantastique.

Dr Michael Strong : Oui, ils ont vraiment mis la main à la pâte. Je vais maintenant vous poser une question que je pose à tout le monde. C’était ma question surprise, mais vous la voyez peut-être venir si vous avez regardé d’autres vidéos. Si vous pouviez avoir une discussion avec qui que ce soit, de n’importe quelle époque, qui est-ce que ce serait et pourquoi?

Dr Jonathan Dewar : Wow, excellente question. Je vais revenir au début de notre conversation, en fait : je n’ai jamais eu l’occasion de parler à mon arrière-grand-père. C’est par lui que je commencerais. Je me suis longtemps demandé si je serais capable d’utiliser ma créativité pour explorer le genre de vie qu’il menait et ce que ça avait eu comme conséquences, pour lui, de quitter sa communauté et d’aboutir sur la Colline parlementaire. Mais je crois que j’ai plus de talent pour aménager des espaces de création que pour créer en tant que tel – une constatation qui m’a donné une leçon d’humilité. Mais encore une fois, il s’agit de découvrir nos forces et de miser sur elles. Mais oui, j’adorerais pouvoir m’asseoir et poser des questions à mon arrière-grand-père si l’occasion se présentait. Ce serait formidable. Et pendant que j’y suis, j’adorerais pouvoir le faire aux côtés de ma grand-mère, de ma mère et de ses sœurs, et de mes cousins.

Dr Michael Strong : C’est votre communauté à vous, que vous évoquez.

Dr Jonathan Dewar : Oui, et lui avait des liens qui lui étaient propres avec sa communauté à lui, dans la Nation huronne-wendat. J’adorerais savoir ce qui a guidé son parcours. Peut-être qu’il a eu des regrets… Peut-être que ça a été dur pour lui, de ne pas retourner dans sa communauté… Je sais qu’il avait perdu contact avec son frère, qu’il ne se sont plus revus passée la fin de leur adolescence, je crois. On m’a dit que ce n’était pas inhabituel, à l’époque. Les gens quittaient les communautés. Beaucoup de nos amis mohawks, juste au sud, sont partis. Ils ont déménagé dans des blocs appartements, de gros bâtiments des grandes villes nord-américaines… Beaucoup n’ont pas su trouver le chemin du retour et je pense que pour cette génération… J’ai entendu des histoires, mais j’aimerais entendre la sienne de sa bouche.

Dr Michael Strong : Jonathan, merci pour ce fantastique entretien!

Dr Jonathan Dewar : De rien.

Dr Michael Strong : On pourrait continuer une bonne heure. L’occasion se présentera peut-être un jour. D’ici là, merci de votre témoignage. C’est très apprécié. Prenez soin de vous.

Date de modification :