À micro ouvert avec Mike no 1 : Discussion à cœur ouvert avec la Dre Katey Rayner

À micro ouvert est une nouvelle série vidéo des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Dans ces vidéos, le président des IRSC, le Dr Michael Strong, s'entretient avec des chercheurs et chercheuses pour en apprendre davantage sur leur travail, les raisons ayant motivé leur choix d’une carrière en sciences et l'avenir de leur domaine de recherche.

Écoutez l'entrevue ici ou sur Apple Podcasts, Google Podcasts ou Spotify.

Transcription

Je suis Mike Strong, nouveau président des IRSC, et je vous présente aujourd’hui le premier épisode de notre série À micro ouvert. Vous n’en avez pas encore entendu parler, puisque c’est tout nouveau, mais la série présente des chercheuses et des chercheurs des quatre coins du Canada. Nous nous entretenons avec eux pour comprendre leur recherche, mais aussi pour découvrir ce qui les a attirés dans le domaine et connaître leur vision de l’avenir.

Aujourd’hui, nous sommes à Ottawa. Comme vous pouvez voir, nous sommes en plein hiver (c’est le mois de janvier) et nous allons prendre un café avec Katey Rayner, une chercheuse d’ici. Alors joignez-vous à moi et à Katey.

Bienvenue, Katey!

Merci!

Je vous présente notre invitée d’aujourd’hui, Katey Rayner, qui inaugure notre série aux IRSC, intitulée À micro ouvert.

La série a pour concept de rencontrer des chercheuses et des chercheurs du pays qui œuvrent dans différents domaines et qui en sont à différentes étapes de leur carrière, afin de comprendre les raisons qui les motivent à faire ce travail.

Nous savons tous combien exaltant il est de travailler en recherche, et nous aimons notre travail, n’est-ce pas?

Oui

Nous avons des possibilités que personne d’autre ne pourrait avoir.

Nous le savons, mais comment pouvons-nous l’expliquer?

Exact

Voilà l’ampleur de la question.

D’accord

Merci de nous consacrer du temps aujourd’hui.

Il n’y a pas de quoi.

Alors, qu’est-ce qui vous a menée à la recherche?

Je n’affiche pas nécessairement le profil type de chercheur, du genre, lorsqu’ils étaient enfants, ils étaient curieux, faisaient des observations au microscope ou aimaient démonter les objets pour ensuite les remonter, ou quelque chose comme ça. En y repensant, je crois que personne n’aurait pu facilement prédire que je deviendrais une scientifique. Je pense que j’ai toujours été très intéressée par la science et la médecine. Lorsque j’étais au secondaire, je savais déjà que les plantes me passionnaient moins, contrairement au corps humain, alors la science, mais pas toute la science, me fascinait.

Pensez-vous avoir eu des mentors au secondaire qui vous auraient aidée dans cette voie?

Non, je pense qu’en fin de compte, ça s’est joué en regardant le répertoire de programmes universitaires et les options offertes. Je pense que même aujourd’hui, nous ne faisons pas un excellent travail pour bien présenter aux enfants les véritables professions scientifiques. Donc pour moi, mes options étaient le génie, les sciences, ou l’art...

D’accord

Et ce n’est qu’à mon arrivée à l’université que j’ai commencé à être exposée à ces domaines. On réalise que la recherche médicale est un domaine en soi; c’est un parcours et une carrière. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’engager, que j’ai commencé à suivre des cours sur le fonctionnement des maladies, au niveau moléculaire. Le programme que j’ai suivi à l’Université de Toronto s’appelait Médecine de laboratoire et pathobiologie et visait à enseigner non seulement la biochimie – et tout mémoriser pour ensuite tout recracher –, mais aussi et vraiment à appliquer les connaissances aux maladies et aux fonctions humaines, pour en comprendre le fonctionnement et le raisonnement.

S’agissait-il d’un programme de premier cycle complet ou un des cours compris dans le programme?

Il s’agissait d’un programme complet, pour lequel j’ai en fait servi de cobaye! Le programme en était à sa première année, et on cherchait à déterminer si le concept de recherche médicale/biomédicale pouvait être présenté à des étudiants de premier cycle. On l’aborde habituellement au cycle supérieur ou à l’école de médecine, lorsque les étudiants ont déjà décidé de la plus grande partie de leur parcours. Le programme visait donc à initier les étudiants à la recherche plus tôt dans leurs études, et bon nombre d’étudiants de ma cohorte sont aujourd’hui des chercheurs – qu’ils aient fait des études supérieures et, maintenant de la recherche, ou qu’ils aient fait des études médicales, puis des études supérieures et de la recherche –, mais beaucoup ont suivi cette voie.

Y a-t-il eu, dans votre cheminement, un moment de révélation, quelque chose après le diplôme, une possibilité?

Assurément : quand j’ai appris l’existence d’un laboratoire de recherche biomédicale, où je pourrais manipuler des cellules et tenter de déterminer si une voie quelconque menait à une maladie. J’ai trouvé cette idée tout à fait fascinante, le fait que nous pouvions faire tout ça avec nos mains.

C’est alors que j’ai commencé à travailler dans un laboratoire de recherche cardiovasculaire comme étudiante de premier cycle, après ma deuxième année universitaire. C’était le début de mon parcours en recherche cardiovasculaire.

O.K.

Ce fut ma première révélation : le fait que des laboratoires de recherche soient dédiés à des maladies, que la résolution du problème ne se limite pas au médecin qui traite la maladie, mais qu’on se demande aussi « Pourquoi la maladie se produit-elle? » Et on en sait si peu là-dessus, SI peu.

Donc maintenant, vous faites de la recherche sur les maladies cardiaques.

Vous avez mentionné que vous collaborez avec un laboratoire sur les maladies cardiaques?

Oui

Simple mouvement brownien, les choses se sont déroulées ainsi par hasard?

Oui, je pense que la plupart des familles canadiennes doivent composer avec une maladie cardiovasculaire d’une façon ou d’une autre, car 30 % de la population en sont atteints, alors nous sommes tous touchés par cette maladie. Bien sûr, des membres de ma famille avaient des problèmes cardiaques, mais en plus, à peu près au milieu de mes études universitaires, ma mère a reçu un diagnostic de myxome cardiaque – une tumeur bénigne du cœur siégeant sur l’une de ses oreillettes. Elle s’est fait opérer, et tout s’est bien passé sans qu’il n’y ait d’effets à long terme, mais personne ne savait comment cela s’était produit. Personne ne savait pourquoi. Y avait-il un gène en cause? Était-ce génétique? Devais-je m’en inquiéter? Devais-je me faire tester? Qu’est-ce que ça allait signifier? Nous avons tous, dans la famille, réagi différemment. J’ai adopté une approche très pragmatique. J’avais l’impression que si on connaissait la cause, on aurait un test, non? Qu’est-ce qu’on allait faire? Je me demandais : « Comment se fait-il qu’on ne sache pas comment c’est arrivé? »

Oui

Et puis, c’est ainsi qu’on finit par se rendre compte qu’il y a tant de choses qu’on ignore, en particulier pour les maladies cardiovasculaires qui sont pourtant très répandues. Comment se fait-il que nous ne sachions pas vraiment comment le problème survient? Je veux dire, nous connaissons la surface…

Oui

… mais nous ne savons pas vraiment. Nous ne savons pas vraiment pourquoi une personne de 38 ans…

Oui

… Tout le monde connaît la chanson : « Pourtant, ma voisine se rend au travail à vélo chaque jour. Elle est en pleine forme, mais elle a eu une crise cardiaque. » Et tout le monde connaît quelqu’un de 95 ans qui fume un paquet de cigarettes par jour et qui est encore parfaitement mobile, n’est-ce pas?

Oui, tout à fait.

Alors si nous savions tout ce qui se passe, nous comprendrions pourquoi ces gens sont atteints, mais nous ne le savons pas. Nous ne le savons vraiment pas.

Alors si nous parlons de la période de votre vie où la curiosité déborde, d’accord?

Oui

Nous sommes tous passés par là, nous en arrivons au présent, mais il faut prendre des décisions très difficiles, n’est-ce pas, car le cheminement d’un chercheur en est un long.

Exact

Vous savez, peu importe où on se trouve dans le monde, jamais la totalité des gens reçoit un financement continu. Vous entrez dans un monde hautement compétitif. Y a-t-il eu un point au début de votre parcours où vous avez délibérément choisi cette voie? Vous vous en souvenez?

Oui, je m’en souviens très bien, au cycle supérieur. Je commençais ma maîtrise et je m’intéressais déjà suffisamment au domaine pour décider : « Je veux faire une maîtrise en biochimie et en recherche sur les maladies cardiovasculaires ». Je n’étais vraiment pas sûre que je réussirais. Je regardais les autres, comme vous dites, et je voyais comment certains se démenaient pour obtenir du financement. Je n’étais pas sûre, mais je savais par contre que j’aimais beaucoup le domaine. Alors chaque fois que je pensais à une autre option, je me rendais compte que non, je ne voulais pas vraiment faire ce genre de travail. Et puis, je me suis dit que je tenterais ma chance. C’est ainsi que la carrière est lancée, on fait des demandes de bourses, et le milieu est vraiment, vraiment compétitif. Il peut être très décourageant de ne pas en obtenir.

Et on peut perdre des occasions. Il est possible qu’on ne puisse pas travailler au laboratoire de son choix, qu’on ne puisse pas faire le projet qu’on voulait tant. J’ai eu de la chance de recevoir du financement dès le début, cela a changé le cours de ma carrière. La bourse que j’ai obtenue alors que j’étais étudiante au doctorat a eu une influence décisive sur ma recherche, ma confiance et, bien sûr, ma capacité financière de réaliser la recherche et de continuer de recevoir du financement. Vous savez, on passe à la prochaine étape, puis à la prochaine.

Quelle pourrait être la prochaine étape alors? En particulier, dans les sciences d’aujourd’hui et les parcours de carrière, il y a ce concept selon lequel, oui, les étudiants inscrits à un programme de premier cycle ou de cycle supérieur, qu’ils fassent une maîtrise, un doctorat, une combinaison des deux ou autre, feront, s’ils veulent poursuivre dans cette voie, un stage postdoctoral, n’est-ce pas?

Et puis, à mon époque comme aujourd’hui, et c’est votre cas aussi, ces étudiants commencent à songer à fonder une famille.

Oui, c’est exact.

Et à un moment donné, un peu de sécurité d’emploi serait bien.

Une question qu’on me pose souvent est : « Comment arrivez-vous à prendre cette décision? »

D’accord

Comment c’était dans votre cas? Puisque vous êtes allée à Boston…

Oui

C’est un grand changement.

Oui, absolument. Et à New York, qui est encore plus grand.

Oui

Oui

Expliquez-nous.

Eh bien, vous avez tout à fait raison, la question du moment pour fonder une famille est probablement celle qui m’est le plus souvent posée comme chercheuse, de la part des femmes, mais aussi des hommes. Fonder une famille est prioritaire pour certains, au même titre que leur carrière, et ils ont l’impression que les deux sont incompatibles. Dans mon cas, j’ai vu de mes yeux que c’était possible. Je suis allée à Boston d’abord, puis à New York. J’ai travaillé au même laboratoire, et nous sommes simplement passés d’une ville à l’autre, puisqu’il s’agissait d’un seul poste dans deux États différents.

Étiez-vous mariée à ce moment-là?

J’étais mariée, mais je n’avais pas d’enfant.

Très bien

Et votre mari travaille en recherche?

Non, il m’a accompagnée. Voilà une autre question : les chercheurs ont un conjoint, un partenaire, une famille, alors que fait-on, faut-il les déraciner? C’est une question primordiale qu’on néglige parfois dans les décisions de carrière.

Exact

Dans mon cas, mon mari a accepté de mettre sa carrière en suspens et de se trouver du travail aux États-Unis, et de bien réussir en plus, mais ce n’est pas le cas de tout le monde, alors j’ai eu de la chance.

Et puis, en fait, tout s’est joué grâce à mon mentor postdoctoral. Je l’ai d’abord connue par son nom. J’avais lu tous ses articles et suivi tout son travail dans le domaine de la santé cardiovasculaire. Puis je l’ai rencontrée en personne lors d’une conférence, et c’était justement au moment où je me questionnais sur la prochaine étape à suivre. Devrais-je faire le saut et effectuer un stage postdoctoral? Je l’ai rencontrée; elle était bien sûr très gentille et enthousiaste, et elle voyait d’un bon œil la science, le travail, l’occasion. Puis elle a reçu un appel sur son cellulaire; c’était son enfant de trois ans. Elle m’a dit : « Excusez-moi, je dois prendre cet appel. »

Vraiment?

Et je me souviens très bien d’avoir été vivement impressionnée.

Ce serait donc possible.

Ce serait donc possible. Et il y a bien des moyens d’y arriver. On ne peut pas penser naïvement pouvoir y arriver simplement comme d’autres personnes peuvent le faire, mais c’est certainement possible, et il y a des moyens et des trucs pour y parvenir. C’est essentiellement ce que j’ai fait. J’ai appris de mon entourage, et le mentorat était crucial à cet égard. Mon mentor était non seulement la meilleure que je puisse avoir d’un point de vue scientifique – et elle continue de l’être, les mentors ne disparaissent jamais vraiment –, mais elle m’a beaucoup appris sur le plan personnel. La voir mener sa vie professionnelle et personnelle et réussir les deux m’a fait constater ce qui pouvait ou non fonctionner pour moi. Le mentorat est donc primordial sur ce plan.

Cela soulève donc une question intéressante, parce que je suis certainement un peu plus âgé que vous, et à mon époque, pour faire de la recherche, comme clinicien-chercheur ou doctorant, il fallait s’abandonner. Il fallait travailler le week-end, tard le soir, et être à l’écart. On a 24 heures pour s’en remettre, non?

Oui

Il y avait un certain mode de vie pour ceux dans le domaine. Et j’ai l’impression que les choses ont beaucoup évolué. C’est pourquoi beaucoup de jeunes à qui je parle et qui envisagent une carrière en recherche s’en souviennent. Ils se souviennent d’avoir vu les gens s’épuiser, ou les autres…

Oui

… Ils ne reconnaissent pas qu’il y a un équilibre qui peut s’atteindre avec le temps. Et pourtant, une fois dans le domaine, il est très difficile de maintenir cet équilibre parce que la compétition se fait sentir tous les jours. Nous sommes en concurrence dans notre discipline, nous sommes en concurrence avec....

... Alors comment y arrivez-vous? Comment maintenez-vous cet équilibre et cet avantage concurrentiel qui font de vous une chercheuse très prospère?

D’accord. Je pense que le dénominateur commun dans la réponse à cette question serait de demander de l’aide. Que ce soit à la famille, aux amis ou aux voisins pour la vie personnelle et familiale, ou aux mentors pour la vie professionnelle et la recherche, il faut demander de l’aide. Mon mentor postdoctoral, Katherine Morris, continue de m’aider, mais j’ai beaucoup de mentors. Je peux compter sur des gens qui me servent de mentors sur le plan professionnel parce que je recherche davantage le leadership. Alors, il faut choisir les talents en conséquence et leur demander de l’aide. Évidemment, mon laboratoire est une ressource incroyable pour moi. Je dépends des gens qui y travaillent. Je leur dis : « O.K. tout le monde, la date limite de demande de subventions approche. J’ai vraiment besoin que tout le monde y mette du sien et qu’on s’entraide », et tout le monde participe et s’entraide. Ce n’est donc pas à une seule personne de rester tard pour terminer l’expérience parce que le projet doit passer au niveau suivant. Tout le monde est là ensemble. C’est un véritable travail d’équipe.

Cela m’amène à ma prochaine question : vous êtes toujours au laboratoire?

Oui, un petit peu. J’ai fait l’erreur un jour d’indiquer à mon laboratoire que j’aimais faire des études sur les animaux.

O.K.

Alors mon laboratoire m’a inscrite à toutes les grandes expériences que nous faisons sur les animaux. Nous avons donc beaucoup de tissus et nous faisons des modèles précliniques, ce qui comporte des tests sur les animaux et autres choses du genre.

D’accord

Nous avons beaucoup de données à recueillir à partir d’échantillons multiples, de tissus multiples, et autres. Je suis donc là avec eux pour ce travail que je trouve sincèrement amusant parce que nous en faisons une sorte d’activité d’équipe. Nous disons à la blague que nous sommes en compétition, du genre « qui peut extraire les cellules le plus rapidement, qui peut faire toutes ces choses », et c’est très amusant. Je fais une partie du travail, mais les membres de l’équipe font vraiment tout à la base. Je suis là pour les consulter et les guider, mais plutôt pour répondre à leurs questions...

D’accord

… et examiner les données telles qu’ils les interprètent plutôt que de regarder par-dessus leur épaule pour m’assurer qu’ils s’y prennent bien.

C’est ce qui est vraiment fascinant à ce sujet, non?

Oui

Quand j’ai terminé mon stage postdoctoral, on n’en parlait jamais.

Comme vous, mon superviseur a été mon mentor...

Oui

… pendant toute ma vie.

Oui

Mais jamais personne ne m’a dit : « Mike, un jour, tu auras ton propre laboratoire ».

D’accord

Et ce laboratoire ne te permettra pas de faire du travail.

Oui

Ils achèveront le travail. Et les techniques que tu utilises sont quelque peu désuètes.

C’est vrai!

Compris, mais cette étape dans la carrière d’un chercheur, où on peut s’arrêter pour réfléchir à la question à l’étude et s’assurer le soutien des autres pour y répondre…

… Et c’est ainsi qu’une vaste communauté se forme.

Exact

Alors vous progressez vers cette étape, vous n’êtes pas totalement… votre équipe vous laisse encore faire du travail, n’est-ce pas?

Oui, c’est exact.

Mais vous arriverez à ce point.

Vous savez, la partie de loin la plus amusante du travail, c’est de réfléchir au problème et à la prochaine étape. Bien sûr, c’est parfois difficile, mais c’est aussi la partie la plus amusante. En fait, deux ou trois ans après avoir mis sur pied mon laboratoire, je me suis sentie, pour la première fois, vraiment libre intellectuellement pour penser aux plus gros problèmes qui se posaient dans nos expériences. Cela s’explique entre autres par le fait que les IRSC, comme nous le savons, financent toute notre recherche, mais nous demandons constamment des fonds pour différentes choses, ce qui peut parfois nous rendre un peu incohérents dans notre façon de penser, parce que c’est vraiment ce petit projet ou la continuation d’un autre que nous voulons vraiment voir financés. Quand j’ai pris les démarches pour obtenir du financement, c’était la première fois que je me demandais vraiment : « Alors, qu’est-ce qu’on veut faire au juste? »

D’accord

Quelle est la question fascinante à laquelle nous devons répondre, quelle est-elle?

Des questions fascinantes, n’est-ce pas?

Très bien. Il y a ici, vous savez, un penchant manifeste pour la nature du travail : je travaille aussi sur les microARN.

Exact

Et je considère qu’il y a beaucoup d’autres espèces d’ARN qui valent la peine d’être examinées.

Oui

Je veux dire, quelques petites espèces, n’est-ce pas?

Oui, c’est exact.

Alors quel élément de votre recherche actuelle trouvez-vous absolument fascinant?

Nous pourrions tous faire de la recherche du thème un, j’ai raison?

Exact

La recherche de type primaire.

Oui

Souvent, il est difficile d’expliquer pourquoi cela est si important pour comprendre le myxome de votre mère, n’est-ce pas?

Oui, c’est exact.

Alors qu’est-ce qui est si fascinant?

Je pense que ce qui m’étonne régulièrement, c’est que nous ne savons toujours pas quelles cellules sont présentes dans un tissu donné. Nous ne connaissons pas la composition cellulaire du cœur, par exemple. C’est fou, quand on y pense!

Dans notre milieu, celui des microARN, il est difficile d’expliquer pourquoi notre compréhension nous emballe et notre…

Oui

… mais la plupart pensent forcément que l’ARN est vraiment simple.

Exact

Cela disparaît.

Oui

Mais ils ne voient pas comment cela – et c’est vraiment de la recherche fondamentale en biologie cellulaire – peut nous être utile plus tard, au stade de la maladie.

Exact

Comment composez-vous avec cette perception? Comment faites-vous avancer la conversation à ce sujet?

L’une des choses que j’explique toujours aux gens, c’est que nous ne savons pas comment les choses fonctionnent, c’est-à-dire de la façon la plus fondamentale qui soit. Les microARN en sont un exemple parfait. Ils ont été découverts il y a 10 à 15 ans, c’était un concept totalement nouveau. C’est comme si l’ADN avait été découvert. C’est un élément en soi, et les cellules en ont besoin pour… Si les gens pensent à la génétique, ils disent en connaître le principe, que c’est transmis de parent à enfant, et ainsi de suite. Cela contrôle le fonctionnement du corps, mais des concepts comme les microARN le contrôlent ensuite, ainsi que le fonctionnement des gènes. Nous ne savions même pas qu’ils existaient il y a dix ans, sans parler du fait qu’ils pouvaient être à l’origine de la maladie.

Exact

C’est là où je commence. Ce que je dis, c’est que les gènes, malgré l’enthousiasme que suscitent les CRISPR et tout le travail d’édition génique et toutes ces découvertes fascinantes, sont, en fin de compte, parfois plutôt statiques, du moins en séquence. Mais leur rôle et leur fonctionnement ne sont pas statiques du tout, ils peuvent facilement changer.

D’accord

Et cela s’explique entre autres par les microARN. La raison pour laquelle nous en savons autant sur les microARN, c’est entre autres parce que leurs inhibiteurs, la fonction de blocage, ont été mis à disposition et testés dans des modèles précliniques très tôt dans le processus. La technologie évolue donc au rythme de la découverte en ce qui a trait à sa capacité de modulation pendant la maladie.

Mais cela peut poser des difficultés, non? Je pense que nous sommes tous les deux d’accord que l’ARN est beaucoup plus important que l’ADN.

Oui, c’est exact.

Parlons-en un peu. Nous venons de perdre la moitié de notre auditoire, mais ça va.

D’accord

Comme vous le dites, notre compréhension de l’ARN repose sur, tout au plus, de 10 à 15 années de recherche.

On dirait que nous sommes dans une période où tout le monde dit « J’ai découvert le microARN du jour pour une telle maladie. Maintenant, nous avons fini ». N’est-ce pas?

Oui

Pourtant, je crois qu’on commet chaque fois une grave erreur, car la complexité des interactions repose sur la régulation.

Et parfois, je me dis qu’il faut que ça finisse à un moment donné et que nous trouvions la réponse.

Exact

Mais les choses ne se passent pas ainsi dans les sciences. Au point où vous en êtes dans votre carrière, particulièrement dans le domaine de la santé du cœur, tout cela ne fait que commencer.

Comment composez-vous avec cette incertitude, cette possibilité de ne jamais résoudre la question?

Laissez-moi vous donner un exemple. Nous étudiions un microARN et avions fait beaucoup de progrès à l’égard de l’application clinique, c’est-à-dire qu’une entreprise était très intéressée. Elle voulait vraiment appliquer nos recherches à la pratique clinique, mais nous manquions d’information. Ce n’est que lorsque nous avons commencé à comprendre la complexité du microARN que nous avons mis un frein; ce n’était pas prêt. Je pense donc que la complexité peut être un obstacle, car nous savons ce qui arrive quand on se lance sur un médicament en croyant qu’il a fonctionné sur une souris. Il faut comprendre que tout ce que nous faisons est interrelié. Ce n’est pas nécessairement une de nos découvertes qui va aboutir à une solution, mais nous comprenons que nous faisons tous progresser le domaine. Parfois, on a l’impression que sa contribution ne mène nulle part ou qu’elle est laissée en suspens et on ne sait pas où elle s’en va. Maintenant, nous commençons à connaître des choses super intéressantes, comme quelles cellules forment les tissus. Dans le cœur, on s’attend à voir des cellules musculaires, et en effet, il y en a beaucoup. Elles permettent au cœur de se contracter, bien entendu. Mais les cellules les plus abondantes dans le cœur, ce sont les cellules endothéliales. Ce sont des choses que la technologie nous fait découvrir.

En supposant que vous êtes…

Alors pourquoi? Pourquoi est-ce intéressant?

… donc il s’agit de deux cellules différentes, et alors?

Bon. Tout le monde présume qu’une crise ou une insuffisance cardiaque est causée par la mort de cellules musculaires à la suite d’une blessure ou d’un traumatisme, et qu’il faut réparer ces cellules. C’est logique : le cœur doit se contracter, donc le muscle doit être réparé.

Exact

Mais supposez qu’en fait, le fonctionnement du cœur n’est pas optimal, car ce sont les cellules endothéliales (qui n’ont pas été étudiées) qui ont été perdues et qu’il faut réparer.

Ne pourrait-on pas en injecter de nouvelles? Quelqu’un doit sûrement en créer de nos jours?

Oui, mais les nouvelles cellules créées sont les cardiomyocytes. Autrement dit, les cellules musculaires. On ne crée pas de nouvelles cellules endothéliales, car on croyait que seules les cellules musculaires étaient endommagées. Donc que sait-on vraiment? On a appris que les traitements à base de cellules souches peuvent être bénéfiques pour le cœur, mais pas autant que prévu. On pensait qu’il suffisait de transplanter une cellule souche pour qu’elle se régénère en cellule musculaire, et le problème serait réglé. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Est-ce que c’est parce que nous insistons sur les cellules musculaires au lieu des autres cellules? Peut-être. Comme vous dites, nous pouvons peut-être régler le problème en injectant des cellules endothéliales. Mais avant de savoir qu’elles étaient là, ce qu’elles étaient, nous n’avions aucune piste.

Il en va de même pour l’arythmie. Beaucoup de gens sont atteints de fibrillation auriculaire ou de problèmes de conduction cardiaque. Il s’avère que le système de conduction électrique est tapissé de cellules immunitaires. On ne le savait même pas. Personne ne le savait.

Je vois.

Ces cellules communiquent avec les neurones à l’origine de la stimulation du cœur. La question se pose : à la lumière de cette découverte, devrait-on privilégier l’immunothérapie pour les patients atteints de fibrillation auriculaire au lieu d’essayer de corriger le rythme du cœur à l’aide de décharges électriques? De telles découvertes pourraient complètement bouleverser les méthodes de traitement, même si nous en sommes seulement aux notions de base. Et ce ne sont là que quelques exemples.

Maintenant, revenons au tout début.

Oui

Aviez-vous la moindre idée que votre profession vous passionnerait autant quand vous aviez 18 ans?

Oui, je crois avoir toujours été animée par la curiosité, d’où la question « Que voulez-vous dire? » Et il faut dire, parfois aussi par la frustration. Je me demande pourquoi on n’en sait pas plus sur certaines choses. Par exemple, un problème bien présent autour de moi et pour plusieurs, c’est un problème de santé mentale.

D’accord

Pourquoi n’en savons-nous pas plus sur les pathologies qui contribuent aux problèmes de santé mentale? Pourquoi n’en connaissons-nous pas les interactions, la biologie? Pourquoi les patients n’obtiennent-ils pas le bon médicament pour eux? C’est parce que nous ne le savons pas. Des questions comme celles-là peuvent vraiment influencer la façon de mener ses recherches ou sa carrière, ou dans mon cas, les deux.

Je vais maintenant vous poser des questions insolites.

D’accord

Sur des sujets qui m’ont toujours fasciné. Alors, imaginez que vous remontiez dans le temps, et dans les sciences. À n’importe quelle époque que vous voulez. À qui aimeriez-vous parler?

Oh! C’est une bonne question. Pour moi, ce serait évidemment Rosalind Franklin. J’aimerais savoir comment c’était de travailler avec Watson et Crick, ce qui s’est passé, comment se déroulaient les réunions, ce qui est arrivé.

Watson et Crick sont connus, mais expliquez, pour ceux et celles qui ne connaissent pas Rosalind Franklin, qui elle est et ce qu’elle a fait.

Rosalind Franklin est l’héroïne méconnue de la découverte de l’ADN. Son apport à la structure de l’ADN est passé inaperçu. Elle a contribué à cette double hélice, à cette structure que nous connaissons et aimons tous – et qui figure sur mes pulls à la maison –, sans être reconnue. Nous savons tous que Watson et Crick ont reçu un prix Nobel. Nous connaissons leurs noms, ils sont sur des immeubles et tout, mais pas celui de Rosalind Franklin, en grande partie parce qu’elle était une femme; selon ce qu’on croit et la façon dont les faits ont été présentés, son travail serait derrière une grande partie de cette structure, et Watson et Crick s’en seraient inspirés. Ce serait donc fascinant pour moi d’apprendre, comparativement à ce que nous savons maintenant, à quel point les choses ont changé – pas toutes les choses, mais beaucoup ont changé. C’était comment à l’époque d’avoir ces connaissances? Que s’est-il vraiment passé? Comment ça s’est passé?

C’était il y a 50 ans?

Oui, ou plus

Au moins 50 ans

Oui

Les laboratoires, à cette époque, apprenaient encore au sujet de l’ADN, ils ne savaient pas ce que c’était.

Oui, tout à fait.

Aurait-elle su à quoi cette découverte aurait mené?

Non, je pense que nous utilisons souvent le statu quo, comment c’était auparavant, comme une sorte d’excuse, pour pardonner, pour se dire « Eh bien, c’était comme ça à l’époque ».

Exact

Mais la plupart du temps, les gens qui n’ont pas reçu un traitement équitable en sont bien conscients. Je dirais donc que même maintenant, si je pouvais me téléporter dans le temps pour lui parler, il y aurait toujours un élément de...

Je pense qu’elle savait très bien qu’il y avait une injustice. Comme je l’ai dit, cela peut continuer à se produire aujourd’hui, cela se produit encore.

Laissez-moi vous poser une autre question.

À votre avis, quelle est la découverte la plus importante, point final?

Point final? C’est une question difficile. Je vais dire – ma réponse semble inintéressante, mais quand même – les microARN.

D’accord

Je crois encore que l’idée selon laquelle une classe entière de molécules dans une cellule soit restée complètement obscure jusqu’à 15 années passées demeure pour moi bouleversante et incroyable. Et qu’elle ait permis, à court terme, de répondre à beaucoup de questions. 

Exact

Je pense qu’à long terme, elle donnera encore plus de réponses à mesure que nous en apprendrons davantage sur la façon dont les cellules font leur travail. Nos connaissances actuelles à cet égard demeurent plutôt limitées, mais je pense que cela changera notre façon de comprendre la communication cellulaire. Le fait que ces microARN soient expulsés par une cellule et qu’ils soient transmis à une autre cellule, puis absorbés, et qu’ils fonctionnent là...

C’est une découverte encore plus récente, n’est-ce pas?

C’est une découverte encore plus récente. En regardant tout ce que nous sommes en train de créer, je pense que nous allons revenir sur cette découverte, et c’est peut-être aussi une question d’ARN non codant en général.

D’accord

L’idée selon laquelle l’ADN = ARN = protéine, ce genre de dogme…

Exact

… a été remise en question. Je pense que ce sera un changement complet – elle a changé la donne –, mais elle continuera de le faire encore plus.

J’ai une dernière question pour vous. Vous avez une jeune famille, n’est-ce pas? Parlez-vous de votre travail à table? Votre famille sait-elle ce que vous faites?

Oh! oui

Oui? D’accord

Oui. D’ailleurs, mon fils était malade la semaine dernière (il a 7 ans), et ma fille me demandait pourquoi il était malade. Je lui ai répondu : « Tu sais, il y a de petites bibittes qui se promènent », puis elle est soudainement devenue perplexe au sujet des microbes (elle a 4 ans)…

O.K.

… et elle m’a demandé ce que je voulais dire. Je lui ai répondu : « Non, non, ce ne sont pas des bibittes, mais plutôt des microbes. » Je lui ai alors expliqué plein de choses : que sont les cellules immunitaires? Que font-elles? Comment savoir si on est en train de gagner le combat? Comment savoir si les microbes sont vainqueurs?

Mes enfants savent ce qu’est l’ADN, ce que sont les gènes, et ils trouvent tout cela fascinant.

Oui

Ils pensent que c’est très intéressant.

Vous accompagnent-ils au laboratoire?

Oui, ils l’ont déjà fait. Ils ne comprennent certainement pas. Je leur ai expliqué comment ça se passait quand je faisais une expérience. Parfois, mon fils me demande : « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui? »

D’accord

Et je lui réponds : « Bien, j’ai préparé une demande de subvention, j’ai assisté à une réunion, j’ai participé à une téléconférence ».

Oui

Ce ne sont pas là des choses très fascinantes, alors il me demande : « Qu’est-ce que tu as découvert aujourd’hui? »

Vraiment? À 7 ans?

Oh! oui, et à un plus jeune âge, même. Ça me met donc dans l’embarras.

Oui

Parce que je lui réponds : « Bien, rien. » Alors je me retrouve à lui expliquer à quel sujet était la téléconférence : « Nous travaillons à un projet de recherche où nous examinons l’ADN et les cellules d’une personne pour découvrir ce qui pousse certaines cellules à mourir plus que d’autres », et il répond : « Wow! Maman, c’est tellement cool! » J’ai donc commencé à leur parler le langage de la science, de la façon la plus simple qui soit. Mais oui, nous en parlons tout le temps.

Excellent. Katey, j’ai bien aimé notre rencontre d’aujourd’hui!

Oui, c’était agréable!

Nous avons déjà quelques intérêts de recherche en commun…

Oui, absolument

… et vous faites du travail très fascinant.

Super, merci.

Merci beaucoup

Merci beaucoup, c’était très agréable.

Et bonne chance!

Merci

Peut-être que ça vous vaudra une subvention!

Oui, peut-être, ce serait bien!

Et bien, voilà qui conclut notre première entrevue de la série À micro ouvert. Je tiens à remercier tout le monde qui y a contribué, ainsi que Katey qui m’a rencontré aujourd’hui. Je dois préciser que le titre anglais On the Mic with Mike provient de Colin Feore, que je remercie. Merci à vous tous, et à bientôt, dans une prochaine entrevue de la série!

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