Parti 4 : Le forum de consultation du commissaire à la santé et au bien-être du Québec

Recueil de cas sur l'engagement des citoyens dans la santé

François-Pierre Gauvin, Ph.D., Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé, Institut national de santé publique du Québec
Élisabeth Martin, candidate au doctorat, département de médecine sociale et préventive, Université Laval
Julia Abelson, Ph.D., Centre for health economics and policy analysis, McMaster University

Introduction

En 2005, le gouvernement du Québec a créé la fonction de Commissaire à la santé et au bien-être dont la mission est d'apporter un éclairage pertinent au débat public et à la prise de décision gouvernementale dans le but de contribuer à l'amélioration de l'état de santé et de bien-être des Québécois1. Pour ce faire, il doit apprécier les résultats atteints par le système de santé et de services sociaux en s'intéressant aux différents facteurs qui ont une influence sur la santé et le bien-être.

Pourquoi l'engagement des citoyens?

En 2008, en vertu des pouvoirs conférés par l'article 24 de la Loi sur le Commissaire à la santé et au bien-être (L.R.Q., chapitre C-32.1.1), le commissaire a établi un Forum de consultation composé de dix-huit citoyens et de neuf experts. Ce forum a pour mandat de fournir au commissaire son point de vue sur la performance des services de santé et de discuter de certains dilemmes sociaux et éthiques liés au système de santé dont il a été saisi par le commissaire. Depuis 2008, les discussions du forum ont porté sur le dépistage prénatal du syndrome de Down, les maladies chroniques, la santé périnatale, la maladie mentale et les droits et responsabilités en matière de santé et de services sociaux.

Méthode

L'expérience du Citizens' Council du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) au Royaume-Uni a soulevé un certain intérêt au moment de réfléchir à la forme que devait prendre le forum québécois16. Cela dit, les réflexions québécoises ont davantage penché vers la création d'un forum hybride réunissant des citoyens et des experts. L'objectif sous-jacent était de faire émerger une vision nouvelle des enjeux issue du croisement des savoirs experts et citoyens. Le Forum s'est réuni à 13 reprises de mars 2008 à mars 2011.

Recrutement et sélection des membres

Le Forum est composé de 27 personnes, nommées par le commissaire pour une période de trois ans. Dix-huit participants sont des citoyens provenant de chacune des régions administratives du Québec, alors que les neuf autres possèdent une expertise particulière relative à la santé et aux services sociaux.

Deux processus de recrutement ont été mis en place : l'un pour les membres citoyens et l'autre pour les membres experts. Ces processus étaient régis par le Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à composer le Forum3. Pour le recrutement des citoyens, les personnes intéressées ont été invitées à soumettre leur candidature par l'entremise de tous les principaux médias. Pour le recrutement des experts, le commissaire a invité différents organismes à lui soumettre une liste d'au plus trois candidats; les neuf membres experts ont été choisis à partir de ces listes4. Au terme de la campagne de recrutement, le commissaire avait reçu 266 candidatures pour les 18 sièges dévolus aux citoyens des régions du Québec. Quelque 30 organismes et départements universitaires ont pour leur part transmis les candidatures de 51 personnes pour les sièges réservés aux membres experts.

Fonctionnement du Forum

La loi laisse une marge de manœuvre importante au commissaire en ce qui a trait au mode de fonctionnement du Forum. Environ quatre fois par année, le commissaire invite les membres du Forum à une réunion de deux jours pour discuter, en plénière ou en petits groupes, de divers sujets. Des questions précises guident la discussion, avec l'aide d'une animatrice professionnelle. De façon générale, les membres du Forum sont consultés à deux ou trois reprises sur la même thématique.

Pour chaque rencontre, les membres reçoivent un dossier d'information, dont un guide de consultation qui se veut une revue de la littérature sur la thématique, et où est consignée de l'information obtenue dans le cadre d'un appel ciblé de mémoires et d'audiences, ainsi que les résultats d'autres consultations s'il y a lieu. Des experts offrent parfois des témoignages aux membres afin de stimuler les échanges lors des rencontres. Fait à noter, le consensus n'est pas recherché de façon explicite. On cherche plutôt à faire émerger des enjeux qui éclaireront le commissaire.

Les délibérations du Forum sont consignées dans un compte rendu produit à la suite de chaque rencontre par un membre du bureau du commissaire. Ces comptes rendus sont par la suite validés par les membres lors d'échanges sur le site extranet du Forum avant d'être adoptés lors de la rencontre suivante. Ce n'est qu'une fois le compte rendu final adopté que son contenu est utilisé pour les travaux du commissaire. Ce processus se veut donc itératif et permet à une thématique d'être abordée plus d'une fois lors de rencontres en personne et d'échanges sur le site extranet. Le Commissaire souhaite ainsi que le Forum puisse en arriver à une position qui s'enrichit de l'apport de tous les membres.

Résultats et impact

De l'avis des membres, il est difficile de savoir si le Forum a eu une influence réelle sur les décisions du gouvernement ou sur les débats publics. Trois principales caractéristiques du Forum ont pu atténuer sa capacité d'influence.

Premièrement, ni les délibérations du Forum ni ses comptes rendus ne sont pas publiques, ce qui peut minimiser son influence. La loi prévoit toutefois que le commissaire doit faire état des délibérations du Forum, de même que de ses conclusions ou recommandations. Celles-ci sont donc incluses dans les rapports publiés par le commissaire, eux-mêmes transmis au ministre de la Santé et des Services sociaux puis à l'Assemblée nationale. Les rapports du commissaire sont ensuite diffusés sur son site Internet.

Deuxièmement, le Forum est une instance consultative du commissaire qui est lui-même une instance consultative du gouvernement. C'est pourquoi, il n'est donc pas possible pour le Forum d'influencer directement le gouvernement.

Troisièmement, le commissaire peut utiliser différents moyens pour élargir les débats et approfondir sa réflexion. Il peut également réaliser des consultations ciblées auprès d'experts, de décideurs et de groupes d'intérêts interpellés par une thématique, ou encore réaliser des consultations publiques en ligne. Bien que le Forum soit considéré comme une source d'information privilégiée, ses délibérations figurent parmi un éventail d'autres consultations.

Cela dit, le Forum a favorisé l'apprentissage organisationnel du bureau du commissaire5. La contribution du Forum s'est définitivement inscrite au cœur de son processus d'appréciation de la performance, si bien qu'il serait maintenant difficile d'envisager une démarche d'évaluation rigoureuse qui n'intègre pas systématiquement des connaissances citoyennes.

Leçons apprises

Dans l'ensemble, les membres du Forum et le bureau du commissaire ont trouvé leur expérience positive. L'expérience a aussi mis en lumière trois principaux défis liés aux forums délibératifs :

  1. Le gouvernement québécois et le bureau du commissaire ont voulu institutionnaliser et structurer le Forum afin d'assurer l'intégrité et le bon fonctionnement des délibérations. Toutefois, il est important que cette structure soit suffisamment souple pour répondre aux besoins et attentes des participants et de l'organisme hôte qui peuvent émerger lors des délibérations.
  2. Il s'avère complexe et délicat de synthétiser des heures de délibérations dans un document qui est perçu comme valide et légitime aux yeux des participants, mais aussi utile du point de vue de l'organisme hôte. Il faut prendre bien soin de ne pas structurer les discussions trop vaguement, de ne pas demander aux membres d'étudier trop de questions et d'encourager les membres à élaborer des déclarations collectives à leurs réunions pouvant être reproduites dans les comptes rendus.
  3. Les forums hybrides peuvent générer une certaine confusion quant aux rôles respectifs des citoyens et des experts. Les citoyens ont d'ailleurs eu de la difficulté à déterminer la « voix » qu'ils représentaient ainsi que la contribution originale qu'ils apportaient à des débats parfois hautement techniques. Quant aux experts, ceux-ci ont eu de la difficulté à définir le type de connaissances particulières qu'ils devaient amener aux discussions compte tenu de leur rôle de « citoyens avec une expertise ».

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

Assemblée nationale du Québec, Loi sur le Commissaire à la santé et au bien-être. 2005, L.R.Q., chapitre C-32.1.1. (consulté le 5 décembre 2011).

1

Note en bas de page 2

National Institute of Health and Clinical Excellence (R.-U.), Citizens Council of the National Institute for Health and Clinical Excellence (anglais seulement) (consulté le 5 décembre 2011).

2

Note en bas de page 3

Assemblée nationale du Québec, Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à composer le Forum de consultation (RRQ, c C-32.1.1, r 1) (2007) (consulté le 5 décembre 2011).

3

Note en bas de page 4

Le Collège des médecins du Québec, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec, l'Agence d'évaluation des technologies et des modes d'intervention en santé, le Conseil du médicament, les universités québécoises, les associations d'établissements, et tout autre organisme en lien avec la santé et le bien-être.

4

Note en bas de page 5

Jones, M. et E. Einsiedel, « Institutional Policy Learning and Public Consultation: The Canadian Xenotransplantation Experience », Social Science and Medicine, 73.5 (2011): 655-662.

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