Le casse-tête des enzymes : une avancée canadienne dans le traitement des maladies cardiaques, de la stéatose hépatique non alcoolique et du cancer

Dr Nabil Seidah et son doctorant Vatsal Sachan (Photographe : Hélène Lambin)
Chaque fois que vous ingérez votre déjeuner, que vous combattez un rhume ou que vous vous souvenez d'un numéro de téléphone, certaines protéines s'activent pour vous donner un coup de main. Or, elles ne peuvent assumer ces fonctions seules. Elles ont besoin d'une aide toute particulière : des enzymes appelées « proprotéines convertases ».
Il faudra attendre les années 1970 pour connaître l'existence des proprotéines convertases, y compris leur rôle dans certains mécanismes vitaux. C'est à cette époque que le Dr Nabil G. Seidah, biologiste à l'Université de Montréal et à l'Institut de recherches cliniques de Montréal, s'est mis à étudier les mécanismes d'activation des protéines qui assurent le bon fonctionnement de notre organisme.
Depuis, l'équipe du Dr Seidah a découvert sept des neuf enzymes faisant partie de la famille des proprotéines convertases, dont la 7e (PCSK7) et la 9e (PCSK9). Grâce au soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada, les travaux du Dr Seidah ont transformé les traitements contre les maladies cardiaques, les maladies du foie et, croyez-le ou non, le cancer.
En 2023, cette équipe a collaboré avec la Dre Catherine Boileau et la Dre Marianne Abifadel, deux chercheuses en France, pour déterminer l'incidence de la PCSK9 sur le métabolisme du cholestérol. Ce que l'équipe a découvert est renversant : cette enzyme joue en fait un rôle direct dans le développement des maladies cardiovasculaires et cardiaques.
Plus précisément, l'étude de l'équipe (en anglais seulement) a révélé qu'une mutation génétique assez courante touchant la PCSK9 favorise la dégradation des récepteurs des lipoprotéines de faible densité (LDL), des protéines qui aident le foie à éliminer le « mauvais » cholestérol (ou cholestérol LDL) dans le sang. « Si l'on diminue le nombre de récepteurs des LDL, le mauvais cholestérol n'a nulle part où aller, et ça se traduit par une hausse du taux de cholestérol LDL et des risques cardiovasculaires », explique le Dr Seidah.
Après la découverte d'une mutation génétique rare qui inhibe la PCSK9 chez des personnes en santé, le Dr Seidah a mené des études précliniques prouvant qu'il est possible de bloquer la mutation sans générer de graves conséquences sur la santé.
Ce jalon marque le début d'une avancée spectaculaire. En démontrant que des mutations génétiques touchant la PCSK9 entraînent un taux élevé de cholestérol LDL, le Dr Seidah et son équipe ont ouvert la voie à la mise au point d'une nouvelle classe de médicaments : des anticorps ciblant la PCSK9.
Désormais homologués au Canada et offerts dans 40 pays, ces médicaments abaissent le taux de cholestérol des patients de 70 % (dans le meilleur des cas) et, par conséquent, favorisent le traitement et la prévention des maladies cardiovasculaires. « Il s'agit de solutions salvatrices pour les patients qui ne réagissent pas bien aux traitements conventionnels comme les statines », mentionne le Dr Seidah.
Dans la lignée de ses recherches sur les proprotéines convertases, l'équipe du Dr Seidah a dernièrement examiné de nouveaux traitements à base d'ARN qui suppriment certains gènes en vue de s'attaquer à la stéatose hépatique non alcoolique, une affection qui touche près d'un tiers de la population au Canada.
Une récente étude (en anglais seulement) du laboratoire du Dr Seidah a par ailleurs révélé que l'inhibition d'une autre enzyme, la PCSK7, permet de contrecarrer des symptômes liés à la stéatose hépatique non alcoolique, soit l'accumulation de graisse et de tissu cicatriciel dans le foie. « À l'heure actuelle, il n'existe aucun médicament contre la fibrose hépatique. Or, nous sommes les premiers à prouver avec cette étude qu'un traitement est possible », souligne le Dr Seidah.
En outre, la recherche préclinique du Dr Seidah sur le cancer du côlon (en anglais seulement) ouvre la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. Son équipe a réussi à stimuler le système immunitaire, à réduire l'inflammation, à ralentir la croissance des tumeurs et à diminuer les métastases hépatiques grâce à la suppression de gènes responsables de la PCSK7 et de la PCSK9 dans des modèles cellulaires et animaux. « Ces deux enzymes s'avèrent des cibles prometteuses pour l'immunothérapie contre le cancer », explique le Dr Seidah.
La quête initiale du Dr Seidah de mieux comprendre le fonctionnement des protéines a abouti à de nouveaux traitements salvateurs. Le Dr Seidah a ainsi redonné espoir à des millions de patients dans le monde entier.
En bref
L'enjeu
Ceux qui naissent avec une mutation assez courante de la PCSK9 présentent des risques accrus de développer une maladie cardiovasculaire, puisque leur corps n'est pas en mesure d'éliminer le « mauvais » cholestérol. Chez certains d'entre eux, les statines ne suffisent pas à abaisser la cholestérolémie.
La recherche
Le Dr Seidah et son équipe ont levé le voile sur le rôle de la PCSK9 dans le métabolisme du cholestérol, et leurs travaux ont mené à la mise au point d'une nouvelle classe de médicaments : des anticorps ciblant la PCSK9. Désormais homologués au Canada et offerts dans 40 pays, ces médicaments peuvent réduire le taux de cholestérol des patients de 70 %. L'équipe poursuit ses recherches sur la PCSK9 et une proprotéine convertase semblable (PCSK7) afin de définir d'éventuels traitements contre la stéatose hépatique non alcoolique et le cancer.
Le Dr Seidah est membre de l'Ordre national du Québec depuis 1997 et de l'Ordre du Canada depuis 1999.
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