Une chercheuse issue du milieu infirmier s’est donné pour mission de changer les normes en santé mentale pour les jeunes noirs au Canada

Dre Bukola Salami

Malgré les différences qui séparent les communautés racisées au Canada, les réalités sont souvent les mêmes en ce qui a trait à la santé mentale des jeunes et aux soins qui leur sont offerts : obstacles linguistiques, désavantages dans les dispositions ayant trait aux polices d’assurance ou au travail, compréhension limitée de la culture due à la sous-représentation parmi les fournisseurs de services, etc. Bien sûr, chaque communauté doit aussi composer avec des circonstances qui lui sont propres.

« Les influences croisées du genre et de la masculinité, le racisme contre les Noirs, les nouveaux traumatismes causés par la violence liée au mouvement Black Lives Matter… tout cela se répercute sur les jeunes noirs au Canada », explique la Dre Bukola Salami (en anglais seulement), professeure à l’École de médecine Cumming (en anglais seulement) de l’Université de Calgary.

« Ces jeunes n’ont pas toujours droit à la présomption d’innocence dans notre société : dès qu’ils se présentent quelque part, ils doivent souvent prouver qu’ils ne sont pas mal intentionnés. Il s’agit là d’un déterminant social à large spectre qui nuit à la santé mentale. »

Dans le cadre de ses travaux, la Dre Salami fait souvent équipe avec l’Africa Centre (en anglais seulement), un organisme sans but lucratif qui chapeaute un centre à Edmonton spécialisé dans la santé mentale des Noirs (en anglais seulement). Le centre est dirigé par Yawa Idi, qui a elle-même collaboré à maintes reprises pendant ses études avec la Dre Salami.

« Les soins adaptés à la culture sont essentiels, affirme Mme Idi. Pour beaucoup de jeunes noirs, le fait de devoir changer de code est psychologiquement éprouvant. Modifier complètement ses manières et son langage simplement pour le rendre acceptable à un fournisseur de services, ça ne devrait pas être la norme. »

Les microagressions et la discrimination sont aussi des éléments importants, ajoute-t-elle, en particulier pour les hommes noirs.

« Lorsque l’entourage d’un homme ou d’un garçon noir découvre qu’il veut suivre une thérapie, ce dernier peut s’attendre à des questions du genre “pourquoi un homme (ou un garçon) aurait-il besoin de thérapie?”. »

La Dre Salami lance toutefois une mise en garde : il ne faut pas trop généraliser. Chaque personne vit sous l’influence de circonstances religieuses, culturelles, régionales, locales, familiales et autres.

« Mes recherches jusqu’à présent montrent que nous avons souvent tendance à mettre tous les Noirs dans le même panier », affirme-t-elle, mentionnant les données probantes sur l’augmentation des problèmes de santé mentale chez les personnes d’origine antillaise et d’Afrique de l’Est pour donner un exemple de différences régionales.

« De plus, la perception que les parents réfugiés ont de la santé mentale est généralement différente. Un jeune à qui j’ai parlé a fait remarquer que beaucoup de parents sont habitués à être en mode “lutte ou fuite” en raison de traumatismes qu’ils ont vécus. Une fois arrivés au Canada, si leur enfant leur dit qu’il a des problèmes de santé mentale, ils lui répondront qu’il n’a aucune raison de se sentir comme ça puisqu’il a “le ventre plein”. »

Mme Idi souligne elle aussi l’importance des relations familiales chez les jeunes noirs qui cherchent des services de santé mentale au Canada.

« Pour beaucoup d’entre eux, il ne s’agit pas nécessairement d’un choix personnel. La famille peut aussi influencer la décision de demander de l’aide, explique-t-elle. Les jeunes se disent “qu’est-ce qu’ils vont penser?” ou “est-ce que je veux qu’ils l’apprennent?”. »

Placer les jeunes au centre de la quête d’équité dans les services de santé

La Dre Salami, qui a quitté le Nigeria à l’âge de 16 ans pour ensuite devenir infirmière en oncologie pédiatrique, a consacré une grande partie de sa récente carrière en recherche aux obstacles à l’équité dans les services de santé mentale pour les Canadiens noirs, en particulier les jeunes. Mentionnons un projet en cours sur les normes de services en santé mentale pour les jeunes noirs, financé par la Subvention Catalyseur : Normes de services en santé mentale – enfants et jeunes de l’INSMT des IRSC, dans le cadre duquel la Dre Salami dirige une équipe de chercheurs, de fournisseurs de services, de responsables des politiques et de jeunes pour recenser et améliorer les normes en matière de santé mentale.

L’équipe a récemment terminé un examen de la portée visant à évaluer les normes actuelles dans le monde pour les jeunes noirs et les jeunes en général. Cela dit, seulement trois des documents de référence examinés contenaient des recommandations concernant précisément la population noire, mettant en exergue un manque à combler pour établir des normes et des lignes directrices équitables : la prise en compte de l’origine ethnique.

La prochaine étape du projet consiste à former des groupes de discussion de jeunes noirs âgés de 16 à 25 ans. Les discussions se tiendront virtuellement, et chaque région du Canada aura droit à une représentation proportionnelle parmi les participants choisis à partir d’un bassin de 800 candidats qui ont consenti à participer à des recherches lors de projets antérieurs. Les résultats seront diffusés lors de conférences et auprès de responsables des politiques, ainsi que dans des revues et des exposés de politique.

« Nous pouvons compter sur des chercheurs noirs et espérons mettre sur pied un comité d’intervenants noirs pour appuyer et orienter une partie du travail », fait remarquer la Dre Salami.

Les organismes partenaires du projet sont Black Physicians of Canada (en anglais seulement) et l’Agence de la santé publique du Canada, dans le cadre de l’Initiative sur la santé mentale des communautés noires. La participation directe des jeunes sera également très importante.

« Des jeunes noirs siègent au comité consultatif du projet, car leur apport et leurs points de vue sont essentiels pour l’orientation de nos activités », explique la Dre Salami. Elle travaille également avec des élèves noirs du secondaire participant à une analyse du contexte, soit une quinzaine de jeunes en tout.

Mme Idi, qui a été assistante de recherche pour la Dre Salami lors de ses études de premier cycle à l’Université de l’Alberta, affirme que l’importance accordée au savoir-faire des jeunes est l’une des forces de la Dre Salami.

« Elle donne aux jeunes un rôle moteur tout en leur offrant beaucoup de mentorat et de rétroaction, affirme Mme Idi. Sa capacité de redonner de l’influence aux communautés qu’elle étudie est vraiment admirable. »

La diffusion des connaissances et la publication de produits directement liés à ce projet devraient avoir lieu en 2024.

Ce ne sera toutefois pas la fin de l’engagement de la Dre Salami à l’égard des normes de services en santé mentale pour les jeunes noirs. Au contraire, c’est devenu le point central de sa carrière, et elle a l’intention de poursuivre sa contribution à l’amélioration des normes à l’échelle nationale ainsi qu’à leur mise en œuvre partout dans le monde.

« Les jeunes noirs sont résilients : ils parlent de leur expérience négative, puis disent : “mais quelqu’un a vécu une situation pire que la mienne” ou “le temps guérit toutes les blessures”, dit-elle. J’aspire à un avenir meilleur où les besoins en santé mentale des communautés noires du Canada seront pris en compte, tout comme les déterminants sociaux qui sont interreliés. »

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