Développer l’immunité contre le cancer : rouages d’un nouveau traitement qui apprend au système immunitaire à reconnaître et à attaquer le cancer

Le cancer est une triste réalité à laquelle beaucoup d’entre nous (et de nos proches) n’échapperont malheureusement pas. Au Canada, près d’une personne sur deux recevra un diagnostic de cancer, et une sur quatre y succombera. Il s’agit de la principale cause de décès dans le monde.

Une partie du problème réside dans le fait que notre corps ne réagit pas au cancer comme il réagit à d’autres menaces. Si le système immunitaire détecte un corps étranger, comme un virus grippal, il est programmé pour le reconnaître comme un envahisseur afin de l’attaquer et le supprimer. Le cancer est cependant dans une classe à part. Le système immunitaire, malgré ses immenses pouvoirs, ne sait reconnaître le cancer ni le combattre de la même façon.

« La principale différence entre le cancer et un virus est que le cancer n’est pas un corps étranger », explique le Dr Shashi Gujar, directeur général, Immunothérapie du cancer, Innovation et Partenariats mondiaux, à la Faculté de médecine de l’Université Dalhousie. « Le cancer est une forme altérée des cellules normales, et c’est pourquoi il peut tromper le système immunitaire en faisant passer des cellules cancéreuses pour normales. Cela signifie que le système immunitaire ne perçoit pas ces cellules comme un envahisseur à supprimer, et c’est alors que le cancer peut commencer à se développer et à se propager. »

Mais l’équipe du Dr Gujar travaille à changer cette dynamique.

Reprogrammer le système immunitaire

C’est un concept qu’on aurait pu qualifier de pure science-fiction il n’y a pas si longtemps : reprogrammer le système immunitaire pour non seulement détecter le cancer, mais aussi le combattre et le chasser pour de bon.

« Cela changerait complètement la donne, et c’est exactement dans cette voie que la recherche s’engage », déclare le Dr Gujar.

L’approche, appelée immunothérapie du cancer, est une forme de médecine de précision qui apprend à notre système immunitaire à combattre le cancer. Le traitement – composé de comprimés, de médicaments intraveineux ou de crèmes topiques pour stimuler le système immunitaire, notamment les cellules T (un type de globules blancs) – est déjà en usage au Canada et ailleurs dans le monde comme solution de rechange ou comme complément à la chirurgie, à la chimiothérapie et à la radiothérapie.

Bien que l’immunothérapie du cancer soit toujours considérée comme un traitement nouveau et en évolution, son succès est documenté pour plus d’une douzaine de cancers, dont ceux de la peau, des poumons, de la vessie et du rein, avec des résultats positifs chez environ 15 à 20 % des patients.

Les chercheurs passent maintenant à un niveau supérieur. Au lieu des comprimés et des crèmes topiques, l’immunothérapie du cancer de nouvelle génération explore une technique nouvelle et excitante faisant appel à des virus oncolytiques – c’est‑à‑dire des virus destructeurs de cellules cancéreuses – pour cibler et combattre directement le cancer dans l’organisme.

Virus destructeurs de cellules cancéreuses

Dans ses recherches, le Dr Gujar se sert d’un virus destructeur de cellules cancéreuses appelé réovirus. Le réovirus est en fait un virus humain inoffensif que la plupart d’entre nous ont déjà attrapé sans le savoir et dont les effets sont minimes ou nuls – ce qui est un point important puisque même un virus capable de détruire le cancer ne serait pas très utile s’il causait une infection invalidante pour les patients.

« Nous utilisons ce virus bénin pour attirer l’attention du système immunitaire sur le cancer », explique le Dr Gujar. Son équipe injecte directement le réovirus dans les cellules cancéreuses, où il a l’occasion de se répliquer et d’envahir encore plus de cellules cancéreuses, un comportement commun à tous les virus lorsqu’ils trouvent un hôte.

« La beauté de la chose est qu’une fois que ces cellules cancéreuses sont infectées par le réovirus, elles commencent à éveiller les soupçons du système immunitaire », poursuit-il. « Lorsqu’il réalise qu’un envahisseur s’est introduit dans l’organisme, le système immunitaire passe à l’action pour tuer non seulement le virus, mais aussi les cellules cancéreuses. »

Jusqu’à présent, cette approche thérapeutique fondée sur le réovirus s’est avérée efficace pour combattre presque tous les types de cancers testés par le Dr Gujar. Mais c’est le fabuleux effet secondaire qui l’impressionne vraiment.

 « Lorsque le réovirus commence à se répliquer et à morceler les cellules cancéreuses, il produit des fragments de cellules cancéreuses mourantes couverts d’une couche de virus, qui voyagent dans tout l’organisme, explique-t-il. Pour le cancer, cette couche signifie qu’il ne peut plus compter sur l’indifférence du système immunitaire pour survivre. Le système immunitaire se mettra à pourchasser les fragments afin d’attaquer le virus, ce qui lui apprendra du même coup à combattre le cancer. Une fois que le système immunitaire commence à percevoir un type de cancer comme un envahisseur, il peut le détecter dans d’autres parties de l’anatomie ».  

Ce résultat époustouflant laisse supposer que nous pouvons pratiquement reprogrammer le système immunitaire pour non seulement attaquer le cancer partout où il se déplace, mais aussi l’empêcher de réapparaître.  

Un avenir prometteur

Cette capacité de tuer des tumeurs cancéreuses et de les empêcher de récidiver – un phénomène documenté scientifiquement qu’on appelle immunité antitumorale – incite le Dr Gujar à exploiter encore davantage ce potentiel curatif.

« Un des défis dans la mise au point de traitements anticancer est la multitude de types de cancers », souligne-t-il. « Une fois que l’immunothérapie a fait son œuvre et que l’immunité antitumorale s’est installée, on se demande comment réagira ce système immunitaire reprogrammé s’il rencontre d’autres formes de cellules cancéreuses. Sera-t-il capable de les reconnaître ou les traitera-t-il comme des cellules normales? » 

Le Dr Gujar tente justement de répondre à cette question dans le cadre de ses recherches actuelles à l’Université Dalhousie.

« Nous savons que les divers types de cancers se différencient par toutes sortes de caractéristiques, mais ils partagent aussi des similitudes », poursuit le Dr Gujar. « Si nous pouvions décortiquer des cellules normales et des cellules cancéreuses et, à l’échelle moléculaire, déterminer quelles caractéristiques pourraient servir à distinguer les cellules cancéreuses des cellules normales, nous pourrions alors utiliser ces caractéristiques pour apprendre au système immunitaire à reconnaître et à attaquer le cancer. Comme nous recherchons des caractéristiques communes à différentes formes de cancer, l’idée serait de reprogrammer le système immunitaire pour détecter et tuer de nombreux types de cancers plutôt qu’un seul. »

Si cette idée fonctionne, le Dr Gujar voit l’occasion non seulement de traiter le cancer, mais aussi de le prévenir, par exemple par un vaccin. « Imaginez si, au cours des années à venir, nous pouvions prélever sur un patient quelques cellules immunitaires afin de leur apprendre à reconnaître toutes ces caractéristiques du cancer, avant de les réimplanter dans le patient pour traquer le cancer? Nous n’aurions plus à subir le fardeau du cancer et de ses traitements, car notre système immunitaire serait simplement programmé pour le tuer dans l’œuf si jamais il en détectait la présence », précise-t-il.

Comme le Dr Gujar poursuit ses recherches à l’aide d’une plateforme novatrice mise au point par son propre laboratoire, il est très optimiste quant à ce que les immunothérapies du cancer permettront d’accomplir. Des virus capables de détruire le cancer sont testés dans des essais cliniques partout dans le monde sans effets secondaires importants. Un de ces virus, une forme génétiquement modifiée du virus de l’herpès, a même été approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) des États‑Unis pour le traitement des mélanomes. Le potentiel de destruction et de prévention du cancer qu’il entrevoit pour les immunothérapies personnalisées et les vaccins lui donne espoir de réaliser son plus grand rêve.

« Il est rare de nos jours de rencontrer quelqu’un qui n’est pas touché par le cancer, et ce sont les patients et leurs proches qui constituent notre source de motivation au quotidien » confie le Dr Gujar. « Comme je suis conscient que guérir est un bien grand mot, je ne l’emploie pas à la légère. Je crois sincèrement que l’immunothérapie du cancer représente la solution à cette maladie, et je suis convaincu que toute la recherche en cours au Canada et partout dans le monde nous permettra un jour de concevoir des moyens de guérir de nombreux types de cancers. »

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