Plonger la santé autochtone dans la lumière et accompagner les femmes autochtones dans leur parcours de guérison holistique

Sous le regard d’Alexandra King, Aly Bear, troisième vice-cheffe de la FSIN, signe un protocole d’entente avec Pewaseskwan. Signée le 24 juin 2022, cette convention favorisera le renforcement des liens de recherche entre Pewaseskwan et la Saskatchewan First Nations Women’s Commission (SFNWC). Son objectif consiste à œuvrer en commun pour améliorer la santé et le bien-être des femmes autochtones de la Saskatchewan. (Photo : Sarah MacDonald)

Comme beaucoup d’autres qui ont un don inné pour aider les autres, la Dre Alexandra King a toujours rêvé d’être médecin quand elle était petite. Mais son parcours vers la médecine ne s’est pas déroulé tout naturellement.

« Je travaillais dans la gestion du développement de logiciels Web – ce qui, en apparence, est très éloigné de la médecine », se souvient-elle. « Mais les deux domaines sont en fait assez similaires : ils nous appellent à cerner un problème, puis à essayer d’y trouver la meilleure solution possible. J’ai adoré évoluer dans un environnement aussi stimulant, mais c’était dans un contexte d’impermanence. Je savais que l’objet de mes efforts serait inévitablement remplacé par une nouveauté. Avec le temps, j’ai réalisé que je souhaitais consacrer mon énergie, ma passion et mon amour à quelque chose dont l’impact serait plus durable. »

C’est vers la fin de la vingtaine que la Dre King s’est orientée vers une carrière en médecine et en recherche, un choix qui lui a ouvert de nombreuses avenues. En tant que médecin et chercheuse issue des Premières Nations et titulaire de la première chaire Cameco en santé et bien-être autochtones à l’Université de la Saskatchewan, elle collabore aujourd’hui avec des organismes, des médecins, des communautés et des aînés autochtones de toute la Saskatchewan afin de mieux comprendre les besoins des Premières Nations et des Métis en matière de santé et d’y répondre.

« Nous savons que les Premières Nations, les Inuits et les Métis connaissent généralement de moins bons résultats en matière de santé que les populations allochtones, mais il importe de se rappeler que notre état de santé ne se limite pas à notre biologie et à notre génétique individuelles », explique-t-elle. « La santé est holistique. La culture, l’histoire, l’éducation, le statut socioéconomique, les expériences vécues sont autant de facteurs qui influent sur la santé. Pour de nombreux Autochtones, ces répercussions peuvent être considérables et, malheureusement, nos systèmes actuels les rendent souvent très défavorables. Il peut toutefois en être autrement. Nous pouvons – et je dirais même que nous devons – créer de nouveaux programmes et de nouvelles structures pour favoriser la guérison. »

S’attaquer aux déterminants structurels de la santé

Les recherches de la Dre King portent sur les répercussions sociales et structurelles (systémiques) qui affectent la santé des Autochtones. Elle et son équipe du groupe de recherche sur le bien-être des Autochtones Pewaseskwan (en anglais seulement) élaborent actuellement un programme de guérison nommé Apihkatatan, qui signifie « tresser nos paniers ». L’objectif de ce programme est de soutenir les parcours holistiques de guérison et de mieux-être des femmes autochtones de la Saskatchewan qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale.

La nécessité du programme Apihkatatan découle en partie de la surreprésentation des femmes autochtones dans le système de justice pénale. Au Canada, les femmes autochtones représentent actuellement environ 48 % de la population carcérale féminine, alors que seulement 5 % de la population canadienne s’identifie comme autochtone. C’est ce que les experts qualifient de déterminant structurel de la santé. Alors que les déterminants sociaux de la santé englobent des facteurs individuels comme le sexe et le genre, la culture, la scolarité et le revenu, les déterminants structurels sont beaucoup plus complexes. Ils tendent à considérer les structures et les systèmes plus larges qui sont en place dans la société, et la façon dont ils influent sur la santé non seulement d’un individu, mais de toute une communauté ou population de personnes tout au long de leur vie.

« Il n’y a pas une seule raison expliquant pourquoi les femmes autochtones représentent une si grande partie de la population carcérale canadienne; il y a plutôt plusieurs facteurs distincts et intersectionnels en cause », poursuit la Dre King. « Ces femmes peuvent être des survivantes des pensionnats ou encore les enfants de survivants susceptibles d’avoir subi des traumatismes intergénérationnels entraînant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Nous savons également que les femmes autochtones sont plus susceptibles que les femmes allochtones de vivre dans la pauvreté, de faire l’objet d’une surveillance accrue de la part des forces policières et d’être victimes de crimes fondés sur le racisme et la violence sexiste. »

La combinaison de ces facteurs crée un système dans lequel les femmes autochtones sont injustement désavantagées d’entrée de jeu. Ces facteurs contribuent non seulement au nombre disproportionné de femmes autochtones dans le système de justice pénale canadien, mais aussi aux inégalités auxquelles elles font face sur le plan de la santé. 

La guérison holistique par le rapprochement à la terre et à la culture

Pour remédier à ces inégalités, la Dre King favorise dans ses recherches la guérison holistique des femmes autochtones au moyen du projet Apihkatatan.

« Lorsque les femmes autochtones quittent le système de justice pénale, elles portent en elles leurs expériences et leurs traumatismes », explique-t-elle. « Elles peuvent encore faire face à des difficultés – mentales, physiques, émotionnelles et spirituelles – qui nécessitent une guérison. »

Pour élaborer le plan d’études et le programme thérapeutique d’Apihkatatan, la Dre King privilégie une approche communautaire fondée sur le concept du double regard et intervient directement auprès des femmes qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale pour comprendre leurs besoins uniques en matière de santé et de guérison. Ce concept du double regard est particulièrement utile dans ce contexte, car il reconnaît les forces des systèmes de connaissances autochtones et des approches occidentales, donnant lieu à une recherche collaborative, interculturelle et adaptée à la culture.

« Dans nos recherches précédentes, nous avons appris que le lien avec la terre et la culture est vital pour les femmes autochtones afin d’entamer et de poursuivre leur parcours de guérison », dit-elle. Les peuples autochtones entretiennent depuis toujours de forts liens spirituels, physiques, sociaux et culturels avec la terre, et leur relation et leur interconnexion avec cette dernière sont profondément ancrées dans leur culture.

« Notre culture et notre terre nous procurent un sentiment d’appartenance – un sentiment d’identité », explique la Dre King. « En perdant ce lien, nous risquons de nous priver de ce sentiment d’appartenance, ce qui peut nuire à notre santé mentale, émotionnelle et spirituelle. Nous savons donc que la thérapie et les programmes que nous proposons dans le cadre d’Apihkatatan doivent être fondés sur la terre et la culture afin d’aider les femmes autochtones à se rapprocher ou à renouer avec leur culture et à retrouver ce sentiment d’appartenance. »

Lentement, mais sûrement

La recherche communautaire de la Dre King est fondamentalement différente de la recherche effectuée en laboratoire ou dans un environnement contrôlé, dans la mesure où elle a des répercussions directes et souvent immédiates sur les membres de la communauté. « Cela implique des considérations importantes pour la conduite de cette recherche », souligne la Dre King.

« Lorsque mon équipe et moi réalisons nos entrevues de recherche, nos cercles de partage ou nos enquêtes, nous devons faire preuve d’une grande prudence et veiller à ce que notre façon de faire soit éthique et adaptée à la culture », explique-t-elle. « L’intention de notre travail est de soutenir les femmes autochtones dans leur parcours de guérison, et nous ne voulons en aucun cas compromettre cet objectif en instaurant des espaces peu sûrs ou peu propices à leur rétablissement. »

Prenons, par exemple, les entrevues personnelles. Les femmes qui se portent volontaires pour participer à une étude peuvent avoir été incarcérées ou avoir connu des problèmes de santé chroniques, d’itinérance, de toxicomanie ou des traumatismes. Il importe de garder cette possibilité à l’esprit, car les questions posées ou les conversations au cours d’une entrevue peuvent être délicates ou susciter des réactions chez les participantes. Les chercheurs ont donc le devoir éthique de réduire au minimum toute douleur ou tout méfait supplémentaire chez celles-ci.

C’est pourquoi la Dre King privilégie dans son travail une approche progressive et méthodique. En forgeant lentement et de manière réfléchie des liens avec les femmes avec lesquelles elle travaille, elle crée des relations étroites et empreintes de confiance, qui lui permettent, ainsi qu’à son équipe, de les soutenir plus efficacement.

« J’ai eu le plaisir de travailler avec de nombreux aînés et détenteurs du savoir dans le cadre de mon travail, et je n’oublierai jamais le conseil d’une aînée de la Saskatchewan : “Lorsque tu amènes quelqu’un dans l’obscurité, tu dois le laisser avec un peu de lumière” », raconte la Dre King. « Ce qu’elle entendait par là, c’est qu’après avoir réalisé une entrevue de recherche et posé à une personne toutes sortes de questions difficiles sur des sujets délicats, il faut lui donner l’espace nécessaire pour qu’elle puisse assimiler ce qu’elle a dit et la laisser avec un sentiment favorable à l’égard de l’interaction. Il faut l’aider à revenir à la lumière. »

Si la Dre King et son équipe aident les femmes avec lesquelles elles travaillent à revenir à la lumière, elles les aident également à retrouver leur culture.

« La culture autochtone est belle, ancrée et profondément curative », dit-elle. « C’est un honneur pour moi de travailler avec des femmes autochtones aussi fortes et de les observer tout au long de leur parcours de guérison, alors qu’elles se retrouvent, se rapprochent de leur culture et la célèbrent. Les retombées positives de nos recherches sur les Premières Nations et les Métis de la Saskatchewan m’inspirent également, sachant que notre objectif est d’aider nos participantes à parvenir à un mieux-être physique, émotionnel et spirituel. Nous prouvons qu’il existe de meilleures façons d’avancer. »

Date de modification :