Combler les lacunes dans les politiques : comment des partenariats novateurs permettent d’améliorer la santé des populations sans rien laisser au hasard

C'est simple comme bonjour : cerner un problème qui nuit à la santé de certains groupes ou de populations entières, puis proposer des politiques pour le résoudre. Bien que l'objectif soit clair, le chemin pour l'atteindre est souvent compliqué.

« Les gens disent qu'avec les bonnes politiques, nous pouvons améliorer la santé des populations, mentionne le Dr Arijit Nandi, directeur intérimaire de l'Institut des politiques sociales et de la santé et épidémiologiste à l'Université McGill. Mais quelles sont les “bonnes” politiques? C'est une question complexe, et certainement épineuse, car la santé des populations est difficile à mesurer et soumise à l'influence de nombreux facteurs. »

Le Dr Nandi s'attaque à cette question en dirigeant le projet PROSPEREDNote de bas de page 1 (en anglais seulement), un réseau de partenaires de sept pays sur cinq continents qui étudie les effets des politiques publiques sur la santé des populations. L'équipe de recherche recense et analyse systématiquement les politiques du monde entier liées au statut socioéconomique, aux services de santé, à la santé publique et à l'environnement. En s'appuyant sur les cibles relatives à la santé des objectifs de développement durable de l'Organisation des Nations Unies, l'équipe aide à déterminer si des politiques particulières contribuent à faire évoluer la situation dans la bonne direction.

« Les politiques que nous croyons bonnes ou qui ont été conçues avec de bonnes intentions ne produisent pas toutes les résultats escomptés, indique le Dr Nandi. Notre rôle en tant que chercheurs est d'examiner non seulement si elles sont efficaces, mais aussi comment et pourquoi. Ce faisant, nous cherchons à trouver les moyens les meilleurs et les plus équitables d'opérer les changements favorables auxquels nous aspirons tous. »

Aller au-delà de la biologie pour comprendre la santé et les politiques

Déterminer les meilleures politiques est toutefois un processus complexe qui passe par l'examen de différents facteurs et approches.

« Il est désormais entendu que la santé des personnes et de populations entières est influencée par un certain nombre de facteurs. La biologie est importante, mais nous ne pouvons pas ignorer la façon dont ces autres éléments entrent en jeu, explique le Dr Nandi. Il s'agit notamment des facteurs politiques, économiques et environnementaux qui influent sur les conditions de vie au quotidien et sur la santé tout au long de la vie. »

Par exemple, le fait d'encourager les gens à s'alimenter sainement peut sembler un moyen simple d'améliorer leur santé et leur bien-être en général, mais l'accessibilité à ces aliments peut subir l'influence d'autres forces, comme le revenu du ménage (capacité de payer ces aliments) et même les facteurs environnementaux et géopolitiques qui influent sur l'approvisionnement alimentaire mondial. Ces facteurs plus généraux agissent aussi sur l'accès à un logement abordable, à des services de santé de qualité, aux possibilités d'emploi, à l'éducation et à d'autres déterminants sociaux de la santé. De plus, les impacts de ces facteurs peuvent aussi varier d'une personne à l'autre selon sa nationalité, sa race ou son ethnie, son sexe et d'autres aspects de sa position sociale et de son identité au sens large.

« Ces caractéristiques croisées ont des répercussions importantes sur l'équité en santé des populations, poursuit le Dr Nandi, ce qui explique en partie la complexité de ce travail. Il peut être difficile de prévoir et de mesurer l'impact total de réformes politiques particulières, et encore plus de comprendre comment les politiques touchent différents groupes de personnes. »

Il est aussi important de se rappeler que certaines politiques n’ont peut-être pas été conçues dans une optique de santé des populations. Par exemple, les politiques économiques tendent à porter sur les conditions économiques dans des communautés, des régions et des pays distincts, mais elles peuvent aussi être inextricablement liées à la santé des habitants. De plus, ces politiques peuvent avoir un effet variable selon les personnes touchées : une politique pourrait techniquement améliorer les niveaux moyens d’un résultat (comme l’accès des ménages à des aliments sains), mais pourrait aussi exacerber les inégalités sociales et aggraver la situation de certains groupes.

« Devant de tels problèmes multidimensionnels, il est peu probable que nous puissions un jour examiner une seule politique ou un seul programme et constater qu'il a tout réglé, observe le Dr Nandi, ajoutant qu'il peut aussi s'écouler beaucoup de temps avant qu'une politique ait un effet mesurable. Nous devons encourager un cycle itératif d'évaluation, d'adaptation de la conception des politiques, de réévaluation et de répétition, tout en mettant l'accent sur l'apprentissage en cours de route. Pour ce faire, il faut bien entendu une étroite coordination entre les chercheurs et les metteurs en œuvre, en plus de temps et de ressources. »

Établir des partenariats pour exercer un impact accru

Suivant cette approche itérative de la conception des programmes et des politiques, l'équipe du projet PROSPERED mobilise les intervenants de plus en plus tôt dans le processus de recherche.

L'équipe a d'abord suivi une approche traditionnelle pour faire connaître ses conclusions, notamment en publiant ses études dans des revues à comité de lecture et en cherchant des moyens de communiquer les recommandations à différents groupes non universitaires, dont les organisations non gouvernementales (ONG) et les responsables des politiques. Cette approche s'est parfois avérée fructueuse. Par exemple, une de leurs études portant sur 20 pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) a mis en évidence une corrélation entre le congé de maternité payé et une réduction du taux de mortalité infantile. S'inspirant en partie de cette étude, les Philippines ont adopté en 2020 une loi visant à faire passer le congé de maternité payé de 60 à 105 jours.

Cela dit, l'approche traditionnelle pour influencer les politiques est aléatoire. « Les questions auxquelles nous tentons de répondre par nos recherches peuvent ne pas être prioritaires pour certains intervenants, ou ne pas fournir les réponses qu'ils cherchent, explique le Dr Nandi. Nous avons également appris qu'il est important de profiter des “ouvertures politiques” et de communiquer les résultats dans des formats qui les rendent plus faciles à utiliser. »

L'adoption d'une approche de recherche collaborative s'est déjà révélée très prometteuse pour le partenariat de l'équipe avec Alive & Thrive (A&T), une initiative mondiale qui vise à améliorer la nutrition des mères, des nourrissons et des enfants. « Notre relation avec A&T a évolué au fil du temps, poursuit le Dr Nandi. Nous avons commencé par demander à nos partenaires chez A&T leur avis sur les questions élaborées par notre équipe de recherche, mais A&T cerne maintenant une lacune dans la recherche ou les politiques, et notre équipe essaie de concevoir des études épidémiologiques pour fournir des réponses et des renseignements fiables. »

Par exemple, au Vietnam, ils ont examiné ensemble les répercussions d'un programme destiné à encourager et à faciliter l'allaitement maternel. Les taux d'allaitement précoce, défini comme l'apport de lait aux nourrissons dans les 90 minutes suivant la naissance, et de poursuite de l'allaitement exclusif sont faibles dans de nombreuses régions du monde, malgré les bienfaits démontrés pour la santé et le développement du nourrisson. La commercialisation des substituts du lait maternel dans les PRFI y est pour quelque chose, au même titre que l'augmentation des taux d'accouchement par césarienne (qui peut rendre l'allaitement précoce difficile). Les pratiques de soins maternels et infantiles utilisées à l'hôpital peu après la naissance peuvent aussi produire un effet, et c'est là qu'A&T a voulu agir.

A&T a travaillé avec le ministère de la Santé du Vietnam pour élaborer un modèle de pratiques exemplaires en matière d'allaitement dans les maternités, lequel a ensuite été mis à l'essai dans 28 hôpitaux du pays en 2019-2020Note de bas de page 2. Grâce à leur relation, l'équipe du Dr Nandi a pu concevoir une étude qui utilisait les données d'une enquête menée auprès des patients avant et après la mise en œuvre pour évaluer si le modèle avait l'effet escompté. Les résultats ont montré que le modèle était positivement associé aux taux d'allaitement précoce et exclusif dans les 28 hôpitaux, ce qui a appuyé la décision du ministère de la Santé de passer aux étapes suivantes pour appliquer le programme à plus grande échelle.

« C'est une façon gratifiante de travailler, surtout avec un partenaire comme A&T qui peut nous aider à interpréter les résultats de la recherche et même à les communiquer directement aux responsables des politiques », affirme le Dr Nandi

Et qu'en est-il de trouver les « bonnes politiques » pour améliorer la santé des populations? « Je crois que nous devons commencer par nous poser les bonnes questions, et nous pouvons mieux le faire ensemble », conclut-il.

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