Cheminons ensemble : comment la recherche améliore les soins intensifs

Chaque fois qu'un patient est transféré en milieu hospitalier, il y a un risque d'erreurs de communication, particulièrement lorsque l'unité de soins intensifs (USI) participe au processus. Il pourrait y avoir une mauvaise communication entre les spécialistes de l'USI et l'équipe médicale du service qui prend en charge le patient, ou encore entre les médecins et le patient au moment où ce dernier reçoit son congé de l'hôpital et s'apprête à retourner chez lui.

« Un patient qui a séjourné à l'USI a par définition été très, très malade. Qu'il y ait abouti en raison d'un trauma, d'une infection, d'un AVC ou d'un autre problème de santé, la phase suivante de son cheminement clinique et ses besoins durant le rétablissement pourraient être complexes. Il est donc primordial qu'à chaque étape du processus, toutes les personnes participant aux soins aient accès à l'information qui les aidera à soutenir optimalement le patient », explique le Dr Tom Stelfox, professeur de médecine de soins intensifs et directeur scientifique de l'Institut de santé publique O'Brien à l'Université de Calgary.

En théorie, planifier une transition et un système de soutien pour les patients à leur sortie de l'USI devrait être simple. La réalité est toutefois plus complexe.

« Nous avons observé que les pratiques associées aux congés et aux transferts de soins ne se déroulent pas aussi rondement qu'on le souhaiterait : certains dossiers passent entre les mailles du filet lors d'un transfert entre les équipes de soins de deux services. Nous nous efforçons de créer des outils fondés sur des données probantes pour éviter ces erreurs », poursuit le Dr Stelfox.

Travailler au sein du système actuel

Au départ, le Dr Stelfox s'est intéressé à la question des protocoles de congé de l'USI en raison de deux problèmes interreliés : la spécialisation constante des soins (spécialités fonctionnant en vase clos) et la baisse graduelle du degré de contrôle des patients sur leurs propres soins.

« Il y a cent ans, nous aurions probablement eu le même médecin de famille pour la majorité de notre vie. Aujourd'hui, le système de santé est plus spécialisé, ce qui est excellent si nous avons besoin d'une expertise approfondie pour différents besoins. L'envers de la médaille, c'est que le système devient alors plus fragmenté et que les patients n'ont pas souvent une relation à long terme avec un seul médecin qui est leur point de contact pour tous leurs besoins », rappelle-t-il. Le Dr Stelfox fait remarquer que beaucoup de patients doivent maintenant se débrouiller seuls pour s'y retrouver dans le système de soins de santé, un défi en apparence colossal. On s'inquiète aussi que les patients ne reçoivent pas tous les soins dont ils ont besoin s'ils ne peuvent pas se fier à un médecin ou à une infirmière de confiance pour les guider le long de leur parcours.

Pour remédier à la situation, on doit bâtir de meilleures mesures de soutien dans tout le système de soins de santé pour créer des transitions plus fluides d'un milieu de soins à l'autre. Et en ce qui concerne les soins prodigués en USI et les transitions vers l'étape suivante, le Dr Stelfox est fermement convaincu qu'il faut inclure les patients et leur famille dans le processus.

Cela dit, l'USI peut être un milieu très déroutant. La plupart des patients aux soins intensifs auront besoin d'assistance respiratoire et devront prendre des médicaments pour les aider à tolérer l'expérience; il sera donc difficile d'exprimer leurs besoins ou même de poser des questions. Dans ce genre de situation, des membres de la famille deviennent souvent les représentants des patients, un rôle qui comporte son lot de difficultés, surtout dans un contexte aussi stressant.

« Notre équipe a mené plusieurs études observationnelles sur les soins en USI, particulièrement lorsque les patients sont des adultes âgés. Il est vite devenu clair que la communication peut être un problème majeur. Le problème est toutefois encore présent au moment du congé ou du transfert hors de l'USI. Cette étape représente un changement majeur dans l'environnement de soins du patient et dans son quotidien, ce qui peut entraîner de la confusion et une certaine désorientation chez les patients et leur famille », admet le Dr Stelfox.

Lorsqu'on conçoit des mesures de soutien des soins de santé, on doit commencer par l'amélioration des communications; le Dr Stelfox et son équipe ont pris la décision explicite d'inclure les patients dans leurs initiatives. « Nous avons conçu un outil grand public pour les patients qui leur explique en langage clair ce qui leur est arrivé, les soins qu'ils ont reçus et ce dont ils auront besoin », décrit-il, ajoutant que l'outil inclut un mécanisme de rétroaction qui permet aux patients de donner à l'équipe de l'USI des commentaires sur leur expérience.

L'outil est mis à l'essai à Calgary et sera offert aux équipes de soins des USI du Canada plus tard cette année par l'intermédiaire du Calgary Critical Care Research Network [réseau de recherche en soins intensifs de Calgary].

Planifier le rétablissement à long terme

Jusqu'à maintenant, les soins en USI visaient la survie à court terme des patients. Dans le cadre de ses recherches, le Dr Stelfox veut maintenant encourager la population à penser au cheminement à long terme vers le rétablissement, même pour de courts séjours aux soins intensifs.

« Imaginez un patient hospitalisé à l'USI en raison d'une surdose. À son réveil, son niveau de conscience sera faible. Des facteurs sociaux pourraient avoir eu une influence importante sur la surdose en tant que telle, comme les conditions de logement ou de travail. Si nous n'avons pas de moyens d'aiguiller cette personne vers les experts appropriés, nous la reverrons à l'USI – ou pire, elle décédera la prochaine fois et nous ne la reverrons jamais. »

Ce sont des scénarios comme celui-ci et une multitude d'autres situations vues à l'USI qui ont amené le Dr Stelfox et son équipe à élaborer un « cheminement clinique » pour les patients après leur congé de l'USI. Le cheminement clinique est un outil de prise en charge qui énumère les différentes tâches ou interventions qui doivent être exécutées par les personnes participant aux soins, comme les médecins, le personnel infirmier, les pharmaciens, les physiothérapeutes, les travailleurs sociaux et d'autres spécialistes. Selon le modèle de cheminement, on définit d'abord les besoins précis, puis les tâches de soins sont organisées séquentiellement pour répondre aux besoins du patient de manière efficiente. Lorsqu'il est bien mis en œuvre, le cheminement est une combinaison élégante de processus normalisés et de soins personnalisés.

La création d'un outil de cheminement clinique exige un volume élevé de recherches, d'analyses et de consultations. Le Dr Stelfox et son équipe progressent à un bon rythme, mais ils ont découvert un fait surprenant : environ 14 % des patients adultes aux soins intensifs en Alberta retournent directement à leur domicile après leur congé au lieu d'être transférés dans un autre service de l'hôpital.

« À mes débuts il y a 20 ans, ça n'arrivait jamais. Lorsque j'ai parlé de ma découverte avec des collègues, ils étaient sous le choc », indique le Dr Stelfox, qui précise que les congés de l'USI se passaient habituellement en deux étapes, soit le transfert vers un autre service où le patient continuait de recevoir des soins, puis le retour au domicile.

Pourtant, fait-il remarquer, ces patients au retour hâtif à la maison ne s'en tirent pas plus mal que ceux qui restent à l'hôpital. Le retour au domicile pourrait même être bénéfique et améliorer l'efficience du système de soins de santé. En l'absence de recherches approfondies, les effets de cette pratique ne sont toutefois pas clairs.

« C'est pour cela que ce type de recherche est important. Nous devons mettre en place des outils qui facilitent les transitions fluides de l'USI au domicile, et nous devons étudier ces transitions pour valider leur efficacité. Et si on conclut que la pratique est sécuritaire, voire même bénéfique pour certains patients, on devra alors déterminer comment incorporer cette option à l'outil de cheminement clinique pour guider la transition des patients hors de l'USI », fait-il valoir.

Envisager l'avenir de la santé

Par tous ces projets de recherche et toutes ces pratiques, le Dr Stelfox vise ultimement à donner aux patients et à leur famille la capacité de superviser leur propre parcours de soins. « Nous devons faire attention de ne pas simplement ajouter de la pression sur des personnes malades qui ressentent déjà un grand stress, mais je crois que nous pourrons mettre en place de meilleures pratiques de soins et obtenir de meilleurs résultats de santé pour nos patients si nous les aidons autant que possible à participer à leurs propres soins et à avoir un certain contrôle sur ceux-ci. »

Pour ce faire, il faudra élaborer de nouveaux outils qui amélioreront les communications entre le personnel médical et les patients aux soins intensifs et leur famille, et concevoir des éléments du cheminement clinique qui leur permettront de participer aux décisions de soins, qu'elles concernent le rétablissement ou les soins de fin de vie. Le Dr Stelfox est conscient que certaines personnes pourraient ne pas vouloir participer aussi activement à leurs propres soins; les outils devront donc permettre aux patients et à leur famille de choisir le degré de participation qui leur convient.

Ce type de flexibilité pourrait grandement gagner en importance au cours des prochaines décennies. « Notre façon d'envisager les soins sera probablement différente dans 10 ou 20 ans. Nous devons nous donner les moyens d'évoluer », estime le Dr Stelfox.

On pourrait par exemple donner aux médecins de famille les moyens de discuter des besoins cliniques des patients avant qu'une urgence médicale survienne. On pourrait aussi envisager un programme fondé sur des données probantes entièrement nouveau, dans le cadre duquel on assignerait aux patients des représentants qui encadreraient leur parcours à l'hôpital.

Par ailleurs, pour bien planifier l'avenir, il faut aussi former des chercheurs en début de carrière. Le Dr Stelfox croit que, tout comme les patients devraient participer plus activement à leurs soins, le système de santé devrait encourager les jeunes cliniciens à assumer des rôles de leadership plus tôt dans leur carrière.

« Initialement, je pensais que je travaillais à former la prochaine génération de chercheurs, mais je suis de plus en plus convaincu que c'est cette nouvelle génération qui me forme. Ils m'apprennent à voir des points de vue que je n'avais jamais envisagés auparavant, et ce que j'y gagne – qui profite aussi à mes patients – n'a pas de prix. »

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