De l’aide en un clic : améliorer la santé mentale avec une thérapie cognitivo-comportementale par Internet

La moitié de tous les Canadiens connaîtra un problème de santé mentale avant l'âge de 40 ans. Bien que ces problèmes soient courants, il peut parfois être ardu de trouver de l'aide professionnelle, particulièrement pour les Canadiens qui vivent en région rurale ou éloignée.

« J'ai tellement de patients qui ont laissé s'écouler des années avant d'aller chercher de l'aide en santé mentale, souvent à cause des barrières auxquels ils faisaient face en tentant d'avoir accès à de l'aide adéquate, explique la Dre Heather Hadjistavropoulos, psychologue agréée titulaire d'un doctorat et professeure à l'Université de Regina. Par exemple, beaucoup d'entre eux vivent en région rurale ou éloignée, ce qui complique le processus de recherche d'aide et le déplacement vers les rendez-vous. De plus, malheureusement, la stigmatisation qui entoure la santé mentale est toujours bien réelle et peut en décourager certains. »

L'existence de ces obstacles a poussé la Dre Hadjistavropoulos à examiner la possibilité de la thérapie cognitivo-comportementale par Internet (TCCi) comme solution pour les Canadiens ayant des problèmes de santé mentale, particulièrement ceux qui vivent à l'extérieur des grandes villes. La thérapie cognitivo-comportementale traditionnelle (TCC) a lieu en personne, habituellement sur une courte période (5 à 20 séances), et est extrêmement efficace pour traiter la dépression, l'anxiété, le mésusage de l'alcool, les troubles de l'alimentation et d'autres problèmes. La grande question pour la Dre Hadjistavropoulos lorsqu'elle a commencé ses recherches était de savoir si l'on pouvait obtenir le même degré de réussite en utilisant des méthodes et des outils virtuels, et quels étaient les moyens efficaces d'offrir ces services au sein du système de soins de santé mentale.

« La TCC traditionnelle vise à aider les patients à rompre leurs schémas de pensée négative habituels, à modifier leurs comportements et à développer des compétences de résolution de problèmes pour composer avec les situations difficiles, explique la Dre Hadjistavropoulos. La thérapie se fait habituellement dans un contexte de collaboration entre le patient et le thérapeute, aussi la démarche devient-elle rapidement très personnalisée. C'est en partie pourquoi ça fonctionne. Je savais donc que l'idée de reproduire ces résultats avec la TCCi, bien que réalisable, allait demander du perfectionnement pour nous assurer qu'elle peut répondre aux besoins des Canadiens et s'intégrer aux pratiques habituelles de soins de santé mentale. »

En 2010, elle a fondé et lancé l'Online Therapy Unit (Unité thérapeutique en ligne), établie à l'Université de Regina. Le modèle proposait un volet service de TCCi et un volet recherche, qui servirait à améliorer continuellement le service avec le temps.

Connecter les patients à l'aide dont ils ont besoin, virtuellement

Les premières recherches ont montré que la TCCi pouvait se révéler assez efficace, mais la Dre Hadjistavropoulos insiste sur le fait que cette méthode n'est pas universelle, c'est-à-dire que tous les programmes de TCCi ne peuvent fonctionner pour tous les patients.

« Avec la TCCi, on ne parle pas simplement de transférer la thérapie en personne à des rencontres en ligne par visioconférence pour recréer une séance traditionnelle, explique-t-elle. La TCCi, comme approche de thérapie régie par des normes, comporte un plan de leçons structuré et des exercices individuels accessibles en ligne que les patients peuvent mettre en application dans leur vie quotidienne. En ce sens, le contexte est très important; il faut s'assurer que ces ressources numériques répondent réellement aux besoins des patients, et c'est là qu'entre en jeu le gros de la recherche. »

Ses propres recherches ont commencé il y a une décennie, lorsqu'elle et son équipe de l'Online Therapy Unit ont adapté un programme de TCCi conçu développé à l'Université Swinburne, en Australie. L'objectif : tester l'efficacité de la TCCi et mieux comprendre les applications du programme en contexte canadien. Des modifications mineures ont été apportées au contenu, notamment le vocabulaire, afin de cadrer avec le contexte saskatchewanais. Les participants étaient alors invités à essayer ce modèle, qui comportait un plan de leçons structuré qui s'étendait sur 12 semaines, avec des contacts hebdomadaires par courriel avec un thérapeute.

« Nous avons commencé par proposer trois programmes distincts, explique la Dre Hadjistavropoulos. Le premier s'adressait aux personnes souffrant de dépression, l'autre aux personnes qui vivent avec de l'anxiété, et le dernier était destiné aux personnes atteintes de trouble panique. Ce premier tour de recherche a mis en évidence le fait que, malgré une certaine efficacité, les programmes ne convenaient pas à tous les patients. »

L'étude a révélé trois problèmes principaux dans cette approche : la durée, la spécificité et le niveau de communication. Bien que le modèle australien ait été conçu pour durer 12 semaines, seulement la moitié des participants saskatchewanais terminaient tous les modules, car de façon générale on percevait le programme comme trop long. De plus, ceux qui voyaient l'ensemble du contenu prenaient souvent plus de six mois pour terminer le programme. Beaucoup de participants composaient aussi avec des comorbidités, ce qui faisait que des plans de leçons séparés pour la dépression et l'anxiété ne répondaient pas adéquatement aux besoins. Et finalement, les thérapeutes qui participaient au projet avaient eux aussi besoin d'aide pour optimiser le suivi par courriel avec les patients, particulièrement pour l'organisation efficace de leur emploi du temps et la clarté des communications, qui ne devaient pas simplement être une répétition des contenus en ligne.

« C'était exactement ce qu'on avait besoin d'apprendre, se souvient la Dre Hadjistavropoulos. Nous étions résolus à améliorer nos ressources de TCCi de sorte qu'il soit envisageable d'offrir des services de TCCi dans le cadre de soins réguliers en santé mentale. »

Bâtir un programme personnalisé grâce à la recherche

Depuis le tout premier essai, les travaux de la Dre Hadjistavropoulos sont axés sur l'amélioration de l'efficacité de la TCCi que propose la Online Therapy Unit.

En 2013, son équipe a entamé une collaboration avec un groupe de recherche de l'Université Macquarie, également en Australie. Les chercheurs de cette université ont mis au point un programme de TCCi plus court (huit semaines) et transdiagnostique, c'est-à-dire qu'il touche à plusieurs problèmes qui peuvent affecter les patients simultanément, par exemple la dépression, l'anxiété, la panique et le stress.

« En gros, nous avons découvert que cette approche transdiagnostique de la TCCi est efficace », indique la Dre Hadjistavropoulos, en ajoutant que l'équipe était ravie de ce nouveau programme en voyant le nombre de participants qui l'ont terminé et son efficacité accrue par les traitements transdiagnostiques. « Cette fois, 76 % des patients ont terminé tous les modules dans les huit semaines imparties et ont montré de grandes améliorations de leur dépression et de leur anxiété. En moyenne, nous avons observé une réduction de 50 % des symptômes chez les participants entre le moment où ils ont commencé le programme et le moment où l'on a fait le suivi trois mois après la fin. Ces résultats sont très similaires à ceux des thérapies en personne, ce qui montre que la TCCi peut constituer une solution de rechange intéressante dans le traitement de la santé mentale. C'est particulièrement important pour les personnes qui habitent des communautés rurales ou éloignées et qui font face à des barrières, notamment l'accès à de la thérapie en personne. »

La Dre Hadjistavropoulos indique que cette approche réduit surtout les coûts pour les thérapeutes qui participent au programme, et la recherche a montré qu'autant les thérapeutes spécialisés en TCCi que ceux spécialisés dans le service en personne pouvaient y participer.

Avec le temps et des recherches additionnelles, l'équipe de la Online Therapy Unit ainsi que leurs stagiaires ont adapté le programme de TCCi transdiagnostique pour répondre à un ensemble plus vaste de besoins et de problèmes de santé mentale, notamment le mésusage de l'alcool, l'insomnie, l'anxiété liée à la santé, la perte de motivation face au traitement, le stress lié au travail, des problèmes liés au post-partum et le stress lié aux métiers de l'agriculture.

Le programme comme tel est conçu pour être adapté. Par exemple, on demande aux patients de remplir des questionnaires détaillés sur leur santé mentale et de se livrer à des entretiens d'accueil avec des médecins par téléphone afin de personnaliser leur plan de formation.

« Les questionnaires et les entretiens d'accueil sont la clé pour personnaliser ces cours le plus possible, indique la Dre Hadjistavropoulos. Si un patient a des troubles du sommeil, des troubles relationnels ou des problèmes de confiance en soi ou de motivation, nous avons les ressources pour approcher individuellement chacun de ces besoins. »

L'Online Therapy Unit continue de grandir

Alors que l'Online Therapy Unit célébrait les réussites du nouveau programme de TCCi, l'équipe a attiré l'attention du gouvernement de la Saskatchewan. Depuis 2015, l'équipe recevait du financement au provincial pour mener son programme de TCCi comme un service de soins de santé mentale pour les résidents de la Saskatchewan. À ce jour, ils sont venus en aide à plus de 11 000 personnes, offrant des services à 2 300 personnes âgées de 18 à 81 ans annuellement.

« C'est très gratifiant pour un chercheur de voir les bienfaits immédiats d'un programme, raconte la Dre Hadjistavropoulos. Même un an plus tard, lorsqu'on fait le suivi avec les patients, ils disent qu'ils maintiennent ou qu'ils réalisent encore des gains, et ça, c'est tout simplement incroyable. »

La recherche a relevé d'autres bienfaits aux services de soins de santé mentale par Internet. « Pour certaines personnes, les séances individuelles avec un thérapeute sont peu pratiques ou encore intimidantes, explique la Dre Hadjistavropoulos. C'est la beauté des traitements en ligne : l'information peut être téléchargée et conservée, et les patients peuvent toujours retourner à leur coffre à outils pour avancer à leur propre rythme. »

La Dre Hadjistavropoulos poursuit sur sa lancée. Au cours des dernières années, ses recherches se sont concentrées sur la meilleure compréhension des nuances dans le soutien thérapeutique, notamment la qualité et la constance du comportement des thérapeutes et la fréquence et la durée des séances thérapeutiques. « Jusqu'à maintenant, nos recherches ont montré que des contacts hebdomadaires donnent de meilleurs résultats, mais on veut s'assurer que les thérapeutes disposent des bons outils et qu'ils posent les bonnes questions pour aider les patients à appliquer les leçons de la TCCi dans leur vie quotidienne, explique-t-elle. Le fait d'avoir ces renseignements nous sera d'une grande utilité, alors que nous tentons d'étendre l'accès à des services en TCCi aux autres provinces. »

Une part de cette extension des services implique un autre projet pilote, financé par Sécurité publique Canada, qui vise à retravailler le programme de TCCi de huit semaines créé par l'équipe pour l'adapter aux besoins du personnel de Sécurité publique Canada, notamment les agents des services frontaliers, le personnel responsable des communications officielles, les travailleurs des services correctionnels, les pompiers, les ambulanciers et les policiers (municipaux, provinciaux, fédéraux). Cette adaptation met l'accent majoritairement sur les blessures de stress post-traumatique, et le projet pilote offre déjà des traitements au personnel de la sécurité publique dans cinq provinces. L'étude devrait se poursuive en 2023, mais les premiers résultats montrent déjà des améliorations dans le bien-être des participants, et 98 % d'entre eux recommanderaient le programme à d'autres.

Malgré ce succès remarquable, la Dre Hadjistavropoulos soutient qu'elle ne veut pas être la seule à proposer des services en TCCi au Canada. Elle souhaite que ses recherches actuelles servent de référence aux autres personnes qui proposent de la thérapie en ligne. Elle espère aussi que ses travaux aideront à assurer une place importante à la TCCi dans les options thérapeutiques, autant que d'autres services de santé mentale. Ainsi, elle espère que les TCCi joueront un rôle majeur dans l'avenir des soins de santé au Canada.

« Il y a aura toujours un besoin pour de la thérapie traditionnelle en personne, mais la TCCi offre une avenue de plus, indique-t-elle. Nous voulons nous assurer, par nos recherches, que cette voie est accessible au plus de Canadiens possible et qu'elle est aussi efficace que possible. Les technologies ne cessent de progresser, et le financement de la recherche qui examine comment utiliser ces innovations pour améliorer la santé mentale des Canadiens est la clé pour continuer de faire des avancées et aider les Canadiens à vivre une vie en santé. »

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