Évaluer les risques : Comment un nouvel outil aide les urgentologues à mieux évaluer les risques chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque

Les crises cardiaques (ou insuffisance cardiaque) se produisent lorsque le cœur ne pompe pas le sang aussi bien qu'il le devrait. Bien que l'insuffisance cardiaque soit l'une des premières causes d'hospitalisation au Canada, les symptômes comme les difficultés respiratoires, la fatigue et la faiblesse sont aussi associés à d'autres problèmes de santé. C'est pourquoi il est difficile de diagnostiquer l'insuffisance cardiaque. Et comme il n'existe actuellement pas d'approche universelle pour évaluer, diagnostiquer et traiter ce trouble, certains patients à faible risque de mortalité pourraient être hospitalisés inutilement. Entre-temps, d'autres patients à haut risque de mortalité pourraient obtenir leur congé et retourner chez eux sans avoir reçu les soins urgents dont ils ont besoin.

Pour le Dr Douglas Lee, professeur de médecine et cardiologue, la solution commence à l'urgence.

« Le symptôme principal de l'insuffisance cardiaque est l'essoufflement. Lorsqu'ils ont de la difficulté à respirer, la plupart des gens vont à l'urgence. C'est pourquoi nos recherches se concentrent sur les urgences comme carrefour de l'éventail des soins », explique-t-il.

En analysant les données des hôpitaux pour comprendre les raisons pour lesquelles les personnes souffrant d'insuffisance cardiaque sont admises à l'hôpital, ont leur congé ou sont réadmises, le Dr Lee et son équipe tentent de normaliser les processus et d'améliorer les soins. « Les variations dans les soins prodigués ont une grande incidence sur les résultats pour le patient, et peuvent même être fatales. Par conséquent, nous voulons découvrir l'origine de ces variations et trouver des façons de les réduire », affirme le médecin.

Un outil d'évaluation rapide pour sauver des vies

Pour aider à réduire les variations dans les soins, le Dr Lee et son équipe ont mis au point un outil de diagnostic simple appelé EHMRG (Emergency Heart Failure Mortality Risk Grade ou « évaluation d'urgence du risque de mortalité pour cause d'insuffisance cardiaque »).

Les médecins peuvent utiliser cet outil Web pour mesurer dix variables comme le rythme cardiaque ou le pouls; la présence de composés chimiques comme la créatinine, le potassium et la troponine; et d'autres facteurs de risque comme la présence d'un cancer et l'arrivée du patient en ambulance. Comme l'outil se sert des renseignements contenus dans le dossier clinique du patient, il peut être utilisé en seulement deux minutes environ. Le pointage de risque généré par l'EHMRG permet de déterminer la sévérité de la maladie du patient et de calculer le risque de décéder d'une insuffisance cardiaque dans les 7 à 30 prochains jours.

« Le jugement du médecin est en général très bon. Toutefois, à l'urgence, on doit prendre des décisions très rapidement et souvent sans l'aide de l'imagerie avancée. Les patients paraissent parfois en meilleure santé qu'ils ne le sont réellement, et vice versa. Notre objectif était donc de créer un outil fiable et économique qui serait véritablement utile », affirme le Dr Lee.

Les études prospectives initiales, qui ont eu lieu dans neuf hôpitaux ontariens, ont permis à l'équipe du Dr Lee de tester les calculs de l'outil en examinant les pointages de risque et les résultats réels de près de 2 000 patients. « Nous avons découvert que l'EHMRG permettait de cibler efficacement les patients à risque faible et élevé. De plus, il était important d'établir ce degré d'exactitude, car nous voulions que les urgentologues aient confiance en l'outil. Évidemment, celui-ci ne cherche pas à remplacer le jugement clinique, mais il peut aider les médecins à prendre des décisions plus éclairées », fait valoir le cardiologue.

Les essais ont aussi permis à l'équipe du Dr Lee de comparer les évaluations cliniques réalisées par les urgentologues aux pointages de risque mathématiques générés par l'outil. Les résultats ont démontré que les médecins avaient tendance à surestimer la probabilité de décès dans les sept jours chez les patients à faible risque et à sous-estimer la probabilité de décès chez les patients à risque élevé. Autrement dit, certains patients à faible risque étaient hospitalisés, tandis que certains patients à risque élevé recevaient leur congé.

Une utilisation répandue de l'outil EHMRG aurait le potentiel d'inverser ces tendances, bénéficiant ainsi aux patients et à l'ensemble du système de soins de santé.

Nouvelles manières d'améliorer les soins aux patients

Les urgentologues s'efforcent de prendre les meilleures décisions pour leurs patients; ceux-ci sont parfois hospitalisés, car on croit que cela leur donnera accès à de meilleurs soins. Or, il arrive aussi que des patients souffrant d'insuffisance cardiaque à faible risque soient hospitalisés.

« Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les médecins hospitalisent certains patients plutôt que de leur donner leur congé. Parmi ces facteurs, on retrouve la capacité des patients à prendre soin d'eux-mêmes à la maison, les problèmes de mobilité, la présence d'autres problèmes médicaux et l'accès à un réseau de soutien dans la communauté », explique le Dr Lee.

Lorsque les options semblent limitées, l'hospitalisation peut représenter le meilleur choix. Les préoccupations et les préférences du patient peuvent également influencer la décision. C'est pourquoi un patient peut parfois être hospitalisé quand cela ne semblait pas nécessaire (à proprement parler). Et la réalité, c'est qu'il en coûte au système de santé chaque fois qu'un patient est hospitalisé.

Cela dit, le Dr Lee est le premier à souligner que les décisions et les soins centrés sur le patient ne devraient pas être sacrifiés sur l'autel des économies. « Comme cliniciens, notre responsabilité principale demeure le bien du patient. »

Le défi consiste donc à mettre au point un modèle de soins représentant une solution appropriée pour les patients souffrant d'insuffisance cardiaque à faible risque qui pourra les tenir loin de l'hôpital, tout en offrant des soins rapides et efficaces. Le Dr Lee et son équipe tentent de remédier à ce problème grâce à un essai clinique contrôlé appelé COACH (Comparison of Outcomes and Access to Care for Heart failure ou « comparaison des résultats et de l'accès aux soins en insuffisance cardiaque »). En préparation à l'essai COACH, l'équipe a inauguré une clinique d'accès rapide sur les fonctions cardiaques à l'Hôpital général de Toronto. Cette clinique externe spécialisée sert les patients atteints d'insuffisance cardiaque à faible risque dans les 30 jours qui suivent leur congé de l'urgence.

Dans l'essai COACH, le personnel utilisera une version améliorée de l'outil EHMRG pour évaluer l'admissibilité à ce nouveau modèle de soins dans la clinique d'accès rapide. La nouvelle stratégie sera comparée aux soins habituels pour que l'équipe puisse déterminer si le modèle de clinique génère de meilleurs résultats pour les patients que les modèles actuels de soins.

Commencé en 2016, l'essai COACH devrait voir des résultats vers la fin de 2022. Si le modèle de clinique fonctionne bien, il pourrait être élargi à d'autres établissements partout au pays pour prévenir l'hospitalisation inutile de patients souffrant d'insuffisance cardiaque à faible risque et faire en sorte que les patients à risque élevé n'obtiennent pas un congé prématuré de l'urgence. En plus de réduire les coûts, cela pourrait assurer aux urgentologues et aux patients qu'ils seront dans de bonnes mains après leur congé de l'hôpital.

« Notre travail cherche à prévenir les décès prématurés liés à l'insuffisance cardiaque, mais il vise aussi à trouver des solutions pour préserver l'intégrité du système universel de soins de santé. Ce type de recherche nous permet de marier ces univers et pourrait mener à la mise en œuvre de pratiques de soins durables qui fonctionnent mieux pour les patients et le milieu de la santé », affirme le Dr Lee.

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