Partie 10 : Mise en banque de tissus humains en C.-B.

Recueil de cas sur l'engagement des citoyens dans la santé

Michael Burgess (UBC); Kieran O'Doherty (University of Guelph); David Secko (Université Concordia)

Introduction

Les biobanques sont de vastes réserves de tissus humains utilisés pour la recherche, mais pouvant aussi contenir diverses quantités de renseignements cliniques, médicaux et autres sur la santé des donneurs. En raison de la nature délicate de ce matériel biologique, l'utilisation des biobanques à des fins de recherche pose certaines complications éthiques. Des chercheurs du centre d'éthique appliquée W. Maurice Young, à l'Université de la Colombie-Britannique, ont organisé deux forums de discussion sur le thème de la mise en banque de tissus humains : The BC Biobank Deliberation (2007) et The BC BioLibrary Deliberation (2009). Ces événements ont été financés par Génome Canada/C.-B., les IRSC, le Centre d'excellence PPIFO (Prévention de la propagation de l'insuffisance fonctionnelle des organes) et la BC BioLibrary. Aux deux occasions, des citoyens de toute la Colombie-Britannique ont été invités à participer à deux week-ends de discussion destinés à éclairer les politiques et les pratiques en matière de biobanques. Les participants à ces forums étaient chargés d'examiner les implications éthiques et sociales de la mise en banque de tissus humains et de formuler des recommandations aux responsables des politiques.

Méthodes

Les deux discussions ont emprunté plusieurs principes et concepts fondamentaux de la démocratie délibérative. Vingt-cinq participants de toute la Colombie-Britannique ont été choisis au hasard dans diverses strates démographiques pour recevoir une invitation à participer aux quatre journées de discussion1. La première journée a surtout servi à informer les participants sur le thème et à les initier à la méthode délibérative. L'information sur le thème a été fournie dans une brochure produite spécialement pour l'événement et dans de la documentation tirée de la littérature, de même qu'à l'aide d'exposés présentés par des experts ou des représentants de groupes d'intervenants et d'outils didactiques, comme un modèle physique illustrant les processus de mise en banque de tissus humains2. On s'est efforcé de brosser un tableau complet et équilibré des perspectives existantes sur la question. Les discussions ont eu lieu dans des groupes de petit (7-9 participants) et grand (tous les participants) formats. Même si les discussions étaient orientées vers le consensus, les animateurs ont reçu pour directive de ne pas tenter de masquer les désaccords. On leur a plutôt demandé d'expliquer et de documenter clairement tout désaccord qui persiste en dépit des discussions.

Au delà de ces similitudes, les deux événements ont différé sur le plan de leurs structures et de leurs résultats. Tandis que la discussion de 2007 (Biobank Deliberation) visait à documenter les valeurs fondamentales du public pouvant guider la politique sur la mise en banque de tissus humains, celle de 2009 (BioLibrary Deliberation) avait pour but de recueillir de l'information plus détaillée pour orienter les protocoles éthiques et les structures de gouvernance de la BC BioLibrary (organisme à financement public qui chapeaute plusieurs biobanques)3. Dans la Biobank Deliberation de 2007, les participants devaient d'abord discuter de leurs espoirs et de leurs craintes par rapport à la mise en banque de tissus humains. Leur deuxième tâche, plus élaborée, consistait à créer le cadre conceptuel d'une hypothétique biobanque en C.-B. À la BioLibrary Deliberation de 2009, les participants ont abordé cinq thèmes préétablis : collecte de matériel biologique; premier contact/initiation à la biobanque; mise en corrélation d'échantillons avec des renseignements personnels; consentement; gouvernance du matériel biologique et des données connexes4. Les cinq thèmes ont été choisis en fonction des besoins particuliers de la BC BioLibrary pour l'établissement de protocoles viables sur le plan éthique, de procédures opérationnelles normalisées et de structures de gouvernance.

À l'image de leurs structures différentes, les discussions ont produit des résultats de formes différentes. La Biobank Deliberation de 2007 a produit des recommandations générales sur un large éventail de questions, avec divers degrés de convergence et de divergence dans le groupe5. La BioLibrary Deliberation de 2009 a généré des recommandations plus précises sur les thèmes particuliers débattus6. Dans les deux cas, les résultats finaux (qu'ils reflètent un parfait consensus ou un certain degré de divergence) ont été retournés aux participants pour ratification.

Résultats et impact

Les résultats, les méthodes et les analyses de divers aspects des discussions ont été publiés dans plusieurs revues à comité de pairs7. En plus des répercussions sur la littérature, les discussions ont eu des effets immédiats sur les pratiques de la BC BioLibrary, qui s'était préalablement engagée à faire participer le public à l'établissement de son organisation. Étant donné que la BC BioLibrary est responsable de la coordination de nombreuses biobanques en Colombie-Britannique, on s'attend à ce que les pratiques qu'elle adopte influencent ces différentes biobanques. De plus, comme plusieurs cadres supérieurs de la BC BioLibrary collaborent avec des biobanques partout au Canada, il est possible que les mécanismes de gouvernance efficaces utilisés en C.-B. soient implantés ailleurs au Canada. De plus, plusieurs membres de l'équipe de recherche siègent à différents comités éthiques ou consultatifs et se servent des conclusions du processus dans leur travail de réglementation des pratiques des biobanques.

Un résultat inattendu des discussions a été le recrutement de certains participants comme représentants de la communauté au sein de conseils ou de comités consultatifs de biobanques (un participant de la discussion de 2007 a été invité à siéger au comité de gouvernance de la BioLibrary et un de ceux de la discussion de 2009 siège maintenant à un comité consultatif d'éthique national). Puisque les participants ont été exposés à une variété de points de vue et de perspectives sur la mise en banque de tissus humains et ses conséquences possibles sur la société, ils sont uniquement qualifiés pour représenter un éventail de points de vue sur cette question relativement peu connue du public.

Toutefois, jusqu'à présent, il semble que les discussions aient eu pour principale influence l'adoption des méthodes d'engagement du public. Cela est logique, car les discussions visaient explicitement à permettre aux citoyens et aux résidants de la C.-B. de s'exprimer sur leurs valeurs. Pour obtenir le même degré de légitimité politique, d'autres provinces ont dû engager leur population dans des forums similaires. La formule de la Biobank Deliberation a plus tard été reproduite dans deux autres contextes avec seulement des adaptations mineures. À la fin de 2007, la clinique Mayo (Rochester, Minnesota) s'est inspirée de cette formule dans la mise sur pied d'un forum délibératif dans le comté d'Olmstead visant à guider l'élaboration des protocoles éthiques et du modèle de gouvernance d'une biobanque à la clinique Mayo. En Australie-Occidentale, l'Office of Population Health Genomics (ministère de la Santé) a été chargé d'élaborer un énoncé de position sur la mise en banque de tissus humains. Il a engagé plusieurs groupes d'intervenants dans la production de ce document et s'est aussi inspiré de la formule de la Biobank Deliberation (avec quelques changements mineurs) pour consulter les citoyens d'Australie-Occidentale en 2008 dans l'élaboration de sa politique8.

Leçons apprises

Une des caractéristiques de la formule de la Biobank Deliberation de 2007 a été son relatif manque de structure. Cela découle d'une décision consciente prise en réponse aux critiques du processus d'engagement de la UK Biobank, qui avaient fait valoir que la formulation étroite des questions avait empêché l'examen approfondi des préoccupations du public. La Biobank Deliberation a été conçue pour permettre un examen détaillé des questions ressorties des discussions des participants.

Cependant, cela a eu pour effet de produire des résultats très généraux, et donc difficiles à convertir en politiques. Par exemple, une recommandation du forum insistait sur l'importance de protéger la vie privée des donneurs, tout en s'assurant que les restrictions ne posent pas d'entrave excessive à la recherche. La tension entre la protection de la vie privée et la facilitation de la recherche est bien reconnue dans la littérature sur la mise en banque de tissus humains, mais cette recommandation n'est pas utile pour trancher la question et n'apporte que la reconnaissance de ce dilemme dans un forum public. La formule de la BioLibrary Deliberation d'avril 2009 a été quelque peu modifiée en réponse à ces problèmes et à d'autres défis.

Un autre problème cerné dans la Biobank Deliberation de 2007 avait trait à la dernière séance de la discussion. Il était prévu dans la structure de cette discussion que les participants se séparent en trois petits groupes, qui ont chacun produit leurs propres recommandations sur les questions les plus importantes à leurs yeux. La dernière séance visait à intégrer les recommandations des trois groupes en une liste de résultats cohérente. Or, cet objectif n'a été que partiellement atteint, car seulement une faible proportion des questions abordées en petit groupe durant l'activité a pu être couverte dans la séance finale. Cet échec n'est pas simplement imputable au manque de temps. De nombreux participants ont été frustrés de devoir débattre de nouveau de questions déjà couvertes en détail dans leur petit groupe. Dans de nombreux cas, les délibérations du groupe complet durant la dernière séance ont achoppé sur des malentendus, et le manque d'uniformité de la terminologie a été source de confusion et de divergences9.

La formule de la BioLibrary Deliberation de 2009 a été perfectionnée pour surmonter ce problème. En particulier, les discussions en petit groupe ont été limitées à un simple échange de vues, sans effort de l'animateur pour amener les participants à un consensus. Les discussions en petit groupe ont donc permis aux participants d'explorer des aspects particuliers de la mise en banque de tissus humains et de se forger une opinion, tout en les exposant aux opinions des autres. L'objectif de parvenir à une entente sur des recommandations particulières pour la politique de mise en banque de tissus humains a été réservé pour la séance finale avec le groupe complet. Cette stratégie s'est avérée efficace, car tous les participants ont pu partager leurs réflexions sur toutes les questions, et aucun n'a été frustré de devoir recommencer des débats ou des discussions.

Notes en bas de page

Note en bas de page 1

H. Longstaff et M. M. Burgess, « Recruiting for Representation in Public Deliberation on the Ethics of Biobanks », Public Understanding of Science, 19.2 (2010) : p. 212–224.

1

Note en bas de page 2

S. MacLean et M. M. Burgess, « In the Public Interest: Assessing Expert and Stakeholder Influence in Public Deliberation about Biobanks », Public Understanding of Science, 19.4 (2010) : p. 486-496; et E. Wilcox, « A Lego Model to Help Inform Participants at the British Columbia Biobank Deliberation », Health Law Review, 16.4 (2008) : p. 9-11.

2

Note en bas de page 3

Pour plus d'information sur la BC BioLibrary (anglais seulement).

3

Note en bas de page 4

K. C. O'Doherty et A. Hawkins, « Structuring Public Engagement for Effective Input in Policy Development on Human Tissue Biobanking », Public Health Genomics, 13.4 (2010) : p. 197–206.

4

Note en bas de page 5

M. Burgess, K. O'Doherty et D. Secko, « Biobanking in British Columbia: Discussions of the Future of Personalized Medicine through Deliberative Public Engagement », Personalized Medicine, 5.3 (2008) : p. 285-296; et K. O'Doherty et M. Burgess, « Engaging the Public on Biobanks: Outcomes of the BC Biobank Deliberation », Public Health Genomics, 12.4 (2009) : p. 203-215.

5

Note en bas de page 6

K. C. O'Doherty, T. Ibrahim, A. K. Hawkins, M. M. Burgess et P. H. Watson, « Managing the Introduction of Biobanks to Potential Participants: Lessons from a Deliberative Public Forum », Biopreservation and Biobanking (à venir prochainement).

6

Note en bas de page 7

Voir H. Longstaff et D. Secko, « Media Influence on Biobank Deliberations », Journal of Health & Mass Communication, 2 (2010) : 73; K. C. O'Doherty et H. J. Davidson, « Subject Positioning and Deliberative Democracy: Understanding Social Processes Underlying Deliberation », Journal for the Theory of Social Behaviour, 40.1 (2010) : p. 224-245; D. M. Secko, N. S. Preto, S. Niemeyer et M. M. Burgess, « Informed Consent in Biobank Research: A Deliberative Approach to the Debate », Social Science and Medicine, 68.4 (2009) : p. 781-789; H. L. Walmsley, « Mad Scientists Bend the "Frame" of Biobanking Governance in British Columbia », Journal of Public Deliberation, 5.1 (2009) : Article 6; et H. L. Walmsley, « Stock Options, Tax Credits or Employment Contracts Please! The Value of Deliberative Public Disagreement about Human Tissue Donation », Social Science & Medicine, 73.2 (2011) : p. 209-221.

7

Note en bas de page 8

C. Molster, S. Maxwell, L. Youngs, A. Potts, G. Kyne, F. Hope et coll., « An Australian Approach to the Policy Translation of Deliberated Citizen Perspectives on Biobanking », Public Health Genomics (à venir prochainement).

8

Note en bas de page 9

H, L. Walmsley, « Biobanking, Public Consultation, and the Discursive Logics of Deliberation: Five Lessons from British Columbia », Public Understanding of Science, 19.4 (2010) : p. 452-468.

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