Commentaire sur le Recueil de cas de recherche interventionnelle en santé des populations

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Préparation au commentaire d'experts

Penny Hawe, directrice fondatrice du Centre de recherche interventionnelle en santé des populations de l'Université de Calgary, et Ted Bruce, directeur exécutif, Santé des populations, Vancouver Coastal Health, ont été invités à se prononcer sur la situation actuelle de la recherche interventionnelle en santé des populations au Canada, du point de vue respectivement d'une chercheure et d'un décideur en santé des populations. Compte tenu des approches variées dans ce domaine de recherche en émergence, ce Recueil de cas se termine avec leurs réflexions, pour démontrer comment les voix des chercheurs et des décideurs peuvent s'unir pour se prononcer sur le potentiel de croissance de la recherche interventionnelle en santé des populations et sur l'infrastructure nécessaire à son développement et à son soutien.

À votre avis, en quoi la recherche interventionnelle en santé des populations diffère t elle des autres approches de recherche sur la santé?

Ted Bruce (Ted) : Contrairement aux approches traditionnelles de promotion de la santé ou d'éducation sur la santé, qui ciblent souvent les facteurs de risque individuels, la recherche interventionnelle en santé des populations regarde plus en amont, vers les politiques et les obstacles qui limitent la capacité de l'ensemble de populations de faire des changements. La recherche interventionnelle en santé des populations ne consiste pas seulement à évaluer un programme spécifique à l'intention d'individus; elle envisage également le cadre stratégique global dans lequel une intervention est élaborée. C'est de tout le contexte qu'il s'agit.

Penny Hawe (Penny) : Oui, je suis d'accord, quoique les gens de la promotion de la santé diraient qu'ils sont dans l'arène politique depuis 1986, depuis la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé, et qu'ils s'occupent de questions structurales. Toutefois, pour se rendre vraiment compte de la valeur de la recherche dans des secteurs comme la politique fiscale ou l'environnement, nous devons l'encourager davantage. C'est ce que la recherche interventionnelle en santé des populations tente de faire. Elle tente d'agrandir la tente et de privilégier un type de recherche sur les solutions structurales de la mauvaise santé qui n'a pas eu beaucoup de publicité.

De quelle façon les projets présentés dans le Recueil de cas nous font ils mieux comprendre la recherche interventionnelle en santé des populations?

Ted : Cette gamme de cas nous montre que la recherche interventionnelle en santé des populations se développe et qu'elle est en train de passer à un niveau plus excitant et plus efficace.

La recherche devient plus complexe, et nous comprenons mieux comment nous en servir; nous commençons à documenter et à évaluer des modèles de pratiques exemplaires qui tiennent compte des politiques et des déterminants sociaux. On peut encore améliorer l'articulation de l'optique stratégique de l'intervention et la façon des interventions d'influer sur les déterminants fondamentaux de la santé.

L'optique de la recherche devient plus exhaustive, en passant d'un examen d'éléments de programme spécifiques à une démarche englobant les éléments complexes dans lesquels le programme se situe. Par exemple, un programme pourrait être conçu pour aider quelqu'un à entrer sur le marché du travail, mais la recherche interventionnelle en santé des populations se concentrerait sur les raisons pour lesquelles des membres d'un groupe de population donné ne pourraient tout simplement pas entrer sur le marché du travail, en essayant de remédier à ce problème là.

C'est ce passage à des interventions en amont qui est excitant.

Penny : Je vais paraître un peu plus négative! Les cas nous font mieux comprendre ce que faire de la recherche interventionnelle en santé des populations signifie, mais ils ne reflètent qu'une partie de la définition de la recherche interventionnelle en santé des populations, et c'est à cause de la façon de présenter les études de cas. Vous avez sollicité des demandes de recherche sur l'obésité et sur la santé mentale; vous avez défini les secteurs autres que celui de la santé en termes d'exemples d'écoles ou de syndicats qui collaboreraient avec des gens du secteur de la santé en vue d'améliorer délibérément la santé. Bon, ne vous méprenez pas, j'adore ça, et c'est ce que je fais dans mon propre travail, mais vous n'avez pas obtenu de descriptions de l'impact des politiques d'emploi sur la santé. Vous n'avez pas eu de chercheurs qui étudiaient les réseaux internationaux de commerce et de santé, par exemple. Je ne fais que parler de votre biais de sélection.

Cela dit, il y a des leçons à tirer de ce Recueil de cas.

Les chercheurs étaient freinés faute d'avoir suffisamment de données sur les gens et sur l'infrastructure avec lesquels ils travaillaient. C'est en partie attribuable au fait que nos systèmes habituels de collecte de données sont fondamentalement conçus pour soutenir l'administration des soins de santé. La recherche interventionnelle en santé des populations a besoin de structures de données entièrement nouvelles.

La valeur des partenariats et de la recherche pertinente est importante elle aussi. Les universitaires ont écouté les responsables de l'élaboration des politiques; ils ont posé des questions pertinentes pour ce que ces responsables voulaient savoir; ils ont fait participer leurs partenaires à l'analyse et à l'interprétation, voire à la conception de l'étude. Pour que la recherche interventionnelle en santé des populations ait du succès, il faudra qu'elle soit basée sur ces questions d'interface au niveau des politiques.

Dans une grande partie des cas, il n'a pas été possible de provoquer des changements à long terme parce que le système ne semblait pas prêt à investir pour obtenir ces résultats en matière de santé sur une base régulière, même après que les enquêteurs eurent montré comment ça pourrait être fait. C'est cette idée bizarre que nous semblons tous avoir encore en tête en ce qui concerne la prévention. Comme société, nous allouons régulièrement des ressources aux services de traitement, mais nous nous attendons à ce que les interventions préventives novatrices soient soutenues par des bénévoles de la communauté. Je veux faire partie d'une société qui commence à répartir nos ressources différemment.

De quelles compétences et de quelles aptitudes les équipes de recherche interventionnelle en santé des populations ont-elles besoin (y compris les chercheurs et les décideurs)?

Penny : L'identification des compétences et le perfectionnement des équipes de recherche interventionnelle en santé des populations est financé grâce à certaines subventions récentes de recherche sur la santé de l'Initiative de formation stratégique.1 Nous devons développer des chercheurs équilibrés ayant un vaste ensemble d'aptitudes en recherche, en communication et en analyse de politiques, même s'il est possible de faire de la bonne recherche interventionnelle en santé des populations avec des ensembles de données secondaires, ce qui signifie qu'on n'a pas besoin d'approcher qui que ce soit personnellement!

Ted : La recherche interventionnelle en santé des populations n'est pas une discipline limitée; il y aura des gens oeuvrant dans les domaines de l'urbanisme et de l'écologie, par exemple, qui vont faire de la recherche interventionnelle en santé des populations. Les chercheurs interventionnels en santé des populations doivent donc être interdisciplinaires, ou du moins capables de travailler dans un environnement où les disciplines se recoupent. Il faut donc avoir une compétence certaine et du courage. D'autres qualités cruciales sont de bonnes aptitudes d'engagement communautaire et un certain niveau de connaissance du développement communautaire, ce qui inclut l'obligation d'être un excellent communicateur à différents niveaux, que ce soit pour travailler dans la communauté ou avec différents ordres de gouvernement. Il est important aussi de savoir travailler en équipe. Ce n'est pas tout le monde qui a toute la gamme des connaissances et des compétences requises pour faire avancer certains de ces programmes.

Compte tenu de l'environnement varié, et parfois politique, le leadership est essentiel, ce qui exige des connaissances spécialisées et la compréhension des approches de défense de positions données. Il faut également comprendre les processus décisionnels dans des environnements complexes et comprendre aussi les modèles de changement.

Penny : L'autre aptitude que j'ajouterais est celle d'un journaliste. Imaginez à quel point ce serait excitant si les journalistes écrivaient sur la santé des populations, en tant que science, avec toute l'excitation qui les anime quand ils écrivent sur les gènes ou sur les astéroïdes. Je sais que le journalisme n'est pas une compétence de recherche interventionnelle en santé des populations, mais sans lui, la recherche interventionnelle en santé des populations ne sera pas florissante.

Quelle est l'importance de la recherche interventionnelle en santé des populations pour la promotion de l'équité en santé et pour faire changer les choses?

Ted : Pour moi, fondamentalement, la recherche interventionnelle en santé des populations consiste à envisager la question de l'équité—et la recherche interventionnelle en santé des populations doit envisager la répartition inéquitable du pouvoir et des ressources. Même si les programmes de promotion de la santé peuvent cibler les populations vulnérables dont la situation en matière de santé n'est pas équitable, ils n'envisagent peut-être pas le changement fondamental des relations ou de la politique de pouvoir qui va faire vraiment changer la situation en matière de santé.

Penny : Je suis d'accord. Ce qui m'inquiète aussi, c'est jusqu'à quel point de raffinement biologique certains sont prêts à aller afin d'expliquer pourquoi certains sont en santé tandis que d'autres sont malades. Avons-nous vraiment besoin de scintigraphies du cerveau d'enfants montrant comme il est horrible de se faire rudoyer ou de vivre dans des circonstances difficiles? Une action concertée s'impose ne serait ce que dans le domaine des données sur les sciences sociales et sur les sciences de la santé des populations. La plausibilité biologique, c'est remarquable, mais pas si ça retarde les mesures à prendre.

Quels sont les principaux facteurs de réussite et les principaux défis à relever pour progresser avec un programme de recherche interventionnelle en santé des populations?

Ted : Nous devons expliquer clairement ce que nous entendons par la recherche interventionnelle en santé des populations. Il faut que les chercheurs précisent l'objectif stratégique dès le début et qu'ils soient explicites quant au cadre stratégique global qui influe sur la santé de la population. En outre, nous avons besoin de plus de recherche longitudinale. Le financement tend à être temporel ou à court terme, et pourtant, le travail que nous faisons doit être longitudinal si nous voulons avoir un impact. Nous avons bien certaines initiatives de financement consacrées à des recherches tournant autour de la recherche interventionnelle en santé des populations, et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ce financement. La recherche devrait être intégrée dans la communauté, parce que c'est la communauté qui doit appuyer et soutenir l'intervention, en définitive. Le domaine doit se concentrer sur les améliorations de nos environnements social et culturel afin d'améliorer la santé des populations, de comprendre le contexte des interventions—quels sont les obstacles, ou qu'est ce qui les a fait réussir—et pour comprendre aussi les éléments nécessaires au changement des politiques avec le temps.

Penny : Je ne crois pas que nous devrions lier le financement aux objectifs traditionnels et aux facteurs de risque que nous avons toujours eus. Je pense que nous devons laisser le domaine innover un peu plus, en ayant des concours pour le financement et des possibilités où l'approche est laissée ouverte.

Nommez certains des principaux besoins, certaines des principales préoccupations ou certains des principaux problèmes de demain au Canada et dites comment la recherche interventionnelle en santé des populations peut contribuer à y répondre ou à les résoudre.

Ted : Si nous ne réglons pas les problèmes d'inégalités de revenu et de pouvoir dans notre société, nous allons en souffrir, peu importe comment nous les mesurerons, comme société et comme individus. À mon avis, ce doit être une des plus grandes priorités pour nous, en santé des populations. Je pense que le secteur de la santé est particulièrement bien placé pour pouvoir en parler en termes ni menaçants, ni idéologiques. Nous devons être à la table pour aider les gens à comprendre ce qui fait des sociétés et des gens en santé.

Parallèlement, nous devons nous concentrer sur les facteurs de protection en place dans les communautés. Nous devons chercher à comprendre pourquoi certaines communautés s'en tirent mieux que d'autres, même dans des circonstances vraiment difficiles, et explorer certains de ces facteurs de protection et des politiques telles que des systèmes de soutien social puissants.

Penny : Oui, et il faut que nous apprenions comment reformuler les déterminants sociaux de la santé pour éviter qu'ils soient rejetés parce qu'idéologiques. C'était un obstacle. Nous devons aussi commencer à incorporer plus d'études coût-avantage dans les études de recherche. Il faut que nous montrions exactement comment bâtir des sociétés équitables et un système de prévention soutenu va produire de meilleurs résultats.

J'aimerais aussi que nous repensions la priorité que nous accordons à la durabilité future comme critère de recherche des nouvelles interventions qui pourraient en vouloir la peine. En science fondamentale et en soins de santé, nous ne semblons jamais dire : «  Je regrette. Vous ne pouvez pas faire cette innovation parce que nous n'aurons peut-être pas les moyens d'en appliquer les résultats.  » Pourtant, en santé publique, nous nous tirons souvent dans le pied dès le début en disant aux chercheurs : «  Vous êtes autorisés à générer seulement un type de connaissances  », des connaissances actuellement basées sur un système sous-évalué manquant de ressources, où seuls des remèdes minimaux sont considérés comme faisables. Je pense que nous devons voir plus grand, en donnant à la société de quoi bâtir un meilleur système.

Notes

  1. Veuillez visiter le site Web l'Initiative de formation stratégique des Instituts de recherche en santé du Canada pour plus d'information.
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